Dossier Maurice Rollinat |
George Sand est-elle la marraine de Maurice Rollinat ?
Régis Crosnier, secrétaire des Amis de Maurice Rollinat. |
Version au 28 juillet 2023.
Maurice Rollinat est né 29 décembre 1846 à Châteauroux. Il a été baptisé le 20 janvier 1847 en l’église Saint-André de Châteauroux. Selon l’acte de baptême, le parrain est Auguste Barthélémy Poterlet, oncle de l’enfant, et la marraine Julie Angèle Emma Didion, tante de l’enfant. George Sand n’est donc pas la marraine de Maurice Rollinat au sens religieux du terme.
Nous lisons fréquemment les expressions « sa marraine George Sand » ou « le filleul de George Sand ». La première fois que nous avons trouvé un de ces termes, c’est dans l’article de Timothée Colani présentant le premier livre de Maurice Rollinat Dans les Brandes, paru dans Le Courrier littéraire du 10 mai 1877 : « Le fils de ce François est M. Maurice Rollinat, filleul de Mme Sand, dont un volume de vers paraîtra dans une huitaine de jours. » Maurice Rollinat, dans une lettre à son ami Raoul Lafagette datée du 20 juin 1877, précise : « Colani est un homme entier dans ses jugements, d’un abord assez difficile, et qui a besoin de connaître les gens pour leur donner signe de vie. J’ai dû le fréquenter et me rencontrer souvent avec lui pour en obtenir la critique sincère qu’il m’a faite. » (collection particulière). Est-ce Maurice Rollinat lui-même qui est à l’origine de cette affirmation ? De toute sa vie, il n’a apporté de démenti. Des amis très proches utilisent l’expression, par exemple Edmond Haraucourt : « En venant à Paris, il avait escompté la protection de sa marraine, George Sand » (La Dépêche, Toulouse du 22 janvier 1933, page 1), ou Gustave Geffroy : « [François Rollinat] fut un grand ami de George Sand, sa compatriote, laquelle fut la marraine de Maurice. » (Revue universelle du 1er décembre 1903, page 617).
Jeune, Maurice Rollinat a rencontré George Sand à Châteauroux, à Nohant ou à Gargilesse.(1) Elle l’a beaucoup influencé. Le Dr Grellety, pendant la guerre de 1871, était en garnison à Châteauroux et a rencontré Maurice Rollinat ; il raconte : « nous nous retrouvions souvent dans la vieille maison familiale [celle de la famille Rollinat], aux bruits berceurs, et délicatement imprégnée du souvenir de la bonne Dame de Nohant. C’était un culte de père en fils et la marraine a certainement eu de l’influence sur les goûts champêtres de son filleul. On lisait des lettres inédites de George Sand, et on écoutait le maître de céans, alors inlassable, (…) »(2).
George Sand a donné de nombreux conseils à Maurice Rollinat par rapport à ses poèmes, par exemple : « il me semble que vous avez du talent et que vous en aurez plus encore. Il y a de belles strophes, d’autres dont la fin tombe un peu, ou dont l’élan ne se soutient pas. Je pense qu’en devenant plus sévère pour vous-même, vous deviendrez poète comme ceux dont le vers est à la fois énergique et châtié, sans qu’une défaillance passagère dépare le bouquet. Quant à être poète par tempérament et par nature, vous l’êtes à coup sûr. Faites sortir tout ce qui est en vous. » (lettre du 14 novembre 1870)(3). Ou : « Tu as du talent, cela est certain, mon cher enfant. A présent il faut ouvrir les yeux tout grands et voir le beau, le joli, le médiocre, comme tu vois le laid, le triste et le bizarre. Il faut tout voir et tout sentir, et ne pas se retrancher dans la névrose qui rend incomplet et monotone, tu veux être imprimé, c’est pour être lu, alors il ne faut pas rebuter et déplaire. Il faut retrancher le cynique, éviter les mots qui répugnent, et ne pas se parquer dans le son de cloche funèbre. » (lettre du 21 janvier 1873)(4). On pourrait aussi citer en entier la lettre du 18 avril 1874 que Maurice Rollinat a utilisée comme préface à son ouvrage Le Livre de la Nature (1893)(5).
Maurice Rollinat sollicitera George Sand pour avoir des conseils en poésie, mais aussi pour obtenir un emploi à Paris. Il aime à se référer à l’amitié qui existait avec son père : « Le souvenir de votre puissante amitié pour mon père me donne pleine confiance dans votre appui. » (lettre du 4 avril 1871)(6) ou : « Je me plais à me répéter que vous avez remplacé mon pauvre père, pour me soutenir et me conseiller. » (lettre du 2 juillet 1871)(7). Il n’hésite pas à utiliser cette relation dans sa correspondance, par exemple, il écrit à Théophile Gautier : « Puisse l’amitié sublime qui unissait mon pauvre père à Mme Sand, me servir auprès de vous de recommandation et d’appui. » (lettre du 26 avril 1872)(8). Il dédiera son premier livre Dans les Brandes (éditions de 1877 et de 1883) : « A la mémoire de George Sand je dédie ces paysages du Berry, M.R. ».
Des similitudes peuvent être trouvées entre les écrits de George Sand et ceux de Maurice Rollinat, comme le constate Gustave Geffroy à propos du livre Dans les Brandes : « Le Berry est aussi singulier et mystérieux que la Bretagne, les brandes sont pareilles aux landes et l’on y voyait alors passer les personnages que George Sand a décrits dans ses romans et Maurice Rollinat dans ses poésies, les sorciers et les rebouteux, les preneurs de rats et les meneurs de loups. » (Revue universelle du 1er décembre 1903)(9).
Aussi, pour l’ensemble de ces raisons, nous pouvons qualifier George Sand de « marraine littéraire » de Maurice Rollinat.
Notes :
(1) Nous trouvons dans le « Journal intime » de George Sand, à la date du 19 octobre 1858 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53030272p/f150.image), le récit d’une visite de François Rollinat avec Maurice à Gargilesse, et à la date 22 juin 1869 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53030270s/f91.image) celui des deux frères Émile et Maurice à Nohant.
(2) Docteur Grellety, Souvenirs sur Rollinat, Étude médico-psychologique (Protat Frères imprimeurs, Macon, 1907, 29 pages), page 7.
(3) Lettre de George Sand à Maurice Rollinat, datée du 14 novembre 1870. Publiée dans Le Figaro du samedi 8 février 1930, pages 5 et 6, dans l’article « La jeunesse fiévreuse de Rollinat » de Jacques Patin.
(4) Lettre de George Sand à Maurice Rollinat, datée du 21 janvier 1873. Publiée par Georges Lubin dans son article « Lettres inédites de George Sand à Maurice Rollinat », paru dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 6 d’avril 1966, pages 4 et 5.
(5) Lettre de George Sand à Maurice Rollinat, datée du 18 avril 1874. Publiée par Georges Lubin dans son article « Lettres inédites de George Sand à Maurice Rollinat – Suite et fin », paru dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 7 de juin 1967, pages 4 à 7. Lorsque Maurice Rollinat utilise cette lettre comme préface à son ouvrage Le Livre de la Nature, il la date de « 1872 » ; nous n’avons pas d’explication à ce changement.
(6) Lettre de Maurice Rollinat à George Sand, datée du 4 avril 1871. Publiée dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 53 – Année 2014, pages 79 et 80.
(7) Lettre de Maurice Rollinat à George Sand, datée du 2 juillet 1871. Extrait publié dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 37 – Année 1998, page 14.
(8) Lettre de Maurice Rollinat à Théophile Gautier, datée du 26 avril 1872. Publiée dans Théophile Gautier, Correspondance générale – 1872 et compléments (Éditée par Claudine Lacoste-Veysseyre, Tome XII, Sous la direction de Pierre Laubriet et avec la collaboration d’Andrew Gann, Librairie Droz, Genève – Paris, 2000, 419 pages), pages 38 à 40.
(9) Gustave Geffroy, article « Maurice Rollinat (1846-1903) » paru dans la Revue universelle n° 99 du 1er décembre 1903, page 618.