Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Revue Encyclopédique
N° 304 du 1er juillet 1899
Pages 506 et 507.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
(page 503)
REVUE LITTÉRAIRE
Romanciers et conteurs : (…).
Poètes : Rollinat. Paysages et Paysans (Fasquelle). – (…).
(…)
(page 506)
POÈTES
Paysages et Paysans. – Je désespérais de M. Maurice Rollinat. Nous avons su par cœur, à l’âge des méprises, ses brutales Névroses. Les volumes suivants (L’Abîme, La Nature, Les Apparitions) nous apportent un franc désenchantement. Ce rimeur excessif, non content de se calmer et de devenir sage, se refroidissait tristement. Le mouvement rapide de ses Frissons tombait. Il ne se sentait plus. Il cessait de peindre. Il se faisait descriptif. Si l’on veut voir les phases de cette déchéance, qu’on lise dans le dernier recueil de M. Rollinat toute la patie des « paysages ». Cela est anguleux et sec. Cela est mort. Bien qu’amoureux de son Berry et de ses brandes au point d’y passer l’année entière sans mettre les pieds à Paris, M. Maurice Rollinat ne réussit point à verser son amour dans ses vers : minutieux et photographiques, ils énoncent des teintes, définissent des lignes, ils ne fournissent ni une vision vivante, ni un sens profond et charmant.
Heureusement, près de ces fades Paysages, M. Rollinat a su placer des Paysans qui sont pleins de saveur. Comme M. Hu-(page 507)gues Lapaire (1), il a fait parler ses rustiques dans le dialecte de la campagne et, bien que je me sente ennemi, de principe, de ces sortes de déformations linguistiques, je suis forcé de convenir que la tentative n’a point échoué. Les rusticités berrichonnes de M. Rollinat sont heureuses et riches en effets curieux. Le père Éloi, fossoyeur, haranguant les mânes de sa femme morte, le bon vieux laboureur gouvernant ses bœufs au sillon par le seul moyen des chansons, à condition que ce fussent des chansons tristes,
(Mais c’est pas tout encor : dans l’air de
la chanson,
I v’laient d’la même tristesse ayant toujou l’mêm’
son,
A cell’ du vent et d’l’arb’ toujou ben
accordée.
Mais d’la gaieté ! jamais i’n’en voulur’
un brin !
Ça tombait ben pour moi qui chantais mon chagrin.
Y’a donc des animaux qu’ont du choix dans l’idée…)
la rude harangue testamentaire du père Lucas à ses quatre fils (Croisez et multipliez), le soliloque de l’Enjoleur de filles,
(… Ell’s ont beau s’défendre,
Moi, j’ai la natur’ dans mon jeu,
J’gratt’ la cendre et j’découv’ le
feu ;
Seul’ment i faut savoir s’y prendre.)
et enfin la chanson du vieux braconnier sourd,
Moi qui, d’fait, n’entend rien, q’ça criaille
ou q’ça beugle ! –
On dit q’chez les aveugl’, homm’ ou femm’,
jeun’s ou vieux,
L’astuce de l’oreill’ répar’ la mort des
yeux…
Voyez c’que c’est ! chez moi c’est au r’bours
des aveugles !
Tout l’vif du sang, d’l’esprit, tout’ l’âme
de mes moelles,
La crèm’ de ma prudence et l’finfin d’mon jug’ment,
La fleur de mon adress’, d’ma rus’, de mon d’vin’ment
Et d’ma patienc’ ? je l’ai dans l’jaun’
de mes prunelles.
C’en est sorcier tell’ment q’j’ai l’œil sûr
à toute heure,
Pendant l’jour comme un aigl’, la nuit comme un
hibou,
De loin j’peux voir rentrer un grillon dans son
trou,
Et ramper sur la mouss’ le filet d’eau qui
pleure.
Des gens, l’air naturel et la bouch’ pas pincée,
Médis’ de moi ? je l’sens avec mes deux
quinquets,
Et, quand j’les r’garde, alors, ils sont comm’
tout inqu’ets
D’mon sourir’ qui leur dit que j’connais leur
pensée.
Voilà les signes manifestes d’un renouvellement dans la manière de M. Maurice Rollinat. Avec quelques lettrés, qui ne peuvent s’empêcher de reconnaître la présence d’une vraie muse naturelle dans cette imagination, je m’en réjouis volontiers.
(…)
(1) Chansons berriaudes.
CHARLES MAURRAS.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Charles Maurras, né le 20 avril 1868 à Martigues (Bouches-du-Rhône) et décédé le 16 novembre 1952 à Saint-Symphorien (Indre-et-Loire), est un journaliste, écrivain et homme politique. À l’époque où il écrit cet article, il est connu pour ses prises de position royalistes et nationalistes, ce qui le fait se ranger dans le camp des antidreyfusards.
Il est un défenseur du classicisme, aussi, il n’est pas étonnant qu’il n’aime pas la poésie de Maurice Rollinat ce qui l’amène à utiliser le mot « déchéance » dans le premier paragraphe de cet article. Par contre, la sauvegarde de la manière de parler des paysans berrichons ou creusois l’intéresse.
– 2 – Les vers « Mais c’est pas tout encor (…) du choix dans l’idée » sont extraits du poème « Tristesse des bœufs », page 48.
– 3 – Les vers « Ell’s ont beau s’défendre, (…) faut savoir s’y prendre. » sont extraits du poème « L’Enjôleur », page 89.
– 4 – Les vers « Moi qui, d’fait, n’entend rien, (…) j’connais leur pensée. » sont extraits du poème « Le Sourd », page 113.
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