Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Revue Encyclopédique
N° 57 du 15 avril 1893
Pages 380 à 382.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
(page 377)
POÉSIE
Nature ; par M. Jean Rameau. (Albert Savine, in-18.)
La Nature ; par M. Maurice Rollinat. (Charpentier, in-18.)
Deux poètes, comme s’ils s’étaient donné le mot, M. Jean Rameau et M. Maurice Rollinat, ont fait paraître en même temps et presque sous le même titre deux recueils de vers émanant d’une inspiration à peu près identique Tous deux ont éprouvé le besoin d’aller respirer dans les champs
La fraiche odeur des foins nouvellement coupés,
comme disait Ponsard, de peu bucolique mémoire, et de nous transcrire leurs impressions. (…)
(page 380)
Portrait de Maurice Rollinat chantant.
* M. Maurice Rollinat est né à Châteauroux (Indre) en 1853. Son père, représentant du peuple en 1848, était l’intime ami de George Sand. M. Maurice Rollinat fut le filleul de l’illustre romancière, qui lui apprit à aimer dès l’enfance la nature et à qui il dédia son premier recueil de vers : Dans les brandes (1883). Ce livre, d’une inspiration sincère, où il décrit les paysages du Berri, passa presque inaperçu. Il n’en fut pas de même des Névroses (1883), où dans un rythme savoureux il nota les obsessions fantastiques de son âme inquiète, et dont le succès fut éclatant. A la fois musicien et poète, M. Rollinat récitait ses vers, chantait les mélodies qu’il avait composées, avec une originalité si extraordinaire et si troublante qu’il devint, après une soirée chez Mme Sarah Bernhardt, une des illustrations du jour. Exalté par les uns, ardemment attaqué par d’autres, il quitta bientôt Paris et retourna vivre à la campagne, dans un petit village de la Creuse, qu’il a presque constamment habité depuis. A partir de cette époque, il a publié : Abîme (1886) ; Dix mélodies nouvelles, poésie et musique (1887), et La Nature (1892). Au mois de février 1892, sur l’initiative des amis de M. Rollinat, on a donné au théâtre d’Application, à Paris, une audition d’un certain nombre de pièces choisies du poète, en partie déclamées, en partie chantées sur de la musique composée par lui.
M. Maurice Rollinat est aussi très sincèrement épris de la poésie des champs. Son premier volume, Dans les brandes, d’une bonne et fraîche saveur berrichonne, avait montré en lui un admirateur et un disciple de George Sand, s’essayant à rendre en vers des paysages semblables à ceux de La Mare au Diable et de La Petite Fadette. Il écrivit depuis Les Névroses, qui sont comme une sorte d’excursion maladive dans le macabre et dans l’horrible, du Baudelaire poussé à l’outrance. Le volume dut surtout son succès à Mme Sarah Bernhardt, qui en disait certaines pièces avec son talent consommé, et aussi au poète, en même temps musicien, qui aime à chanter ses vers en les accompagnant de mélodies originales qu’il improvise. La Nature nous le montre moins « névrosé », quoique tout aussi vibrant, et revenu à une source moins trouble d’inspirations.
M. Jean Rameau est un descriptif, M. Maurice Rollinat est un sensitif. Le premier rend supérieurement l’aspect pittoresque des choses, le second s’efforce de pénétrer leur âme. Aussi nous charme-t-il avec presque rien, comme dans ces strophes intitulées Le Champ de blé :
Bordé d’arbres très vieux où d’une patte
alerte
Geais et piverts grimpaient en mariant leurs cris,
Le petit champ de blé dormait sous les cieux gris,
Triangle jaune, au sein d’une immensité verte.
(page 381)
Portrait de Maurice Rollinat à la pêche par Cabriol.
Il était si perdu, si loin d’une maison !
A croire qu’un génie, amant de la nature,
L’avait ainsi planté pour offrir la pâture
Aux oiseaux besoigneux dans la froide saison.
Bluets, coquelicots, tiges entremêlées,
Ici, là, montaient haut presque jusqu’aux épis ;
Ailleurs, sous des chardons violets assoupis,
Le froment rabattait ses tètes barbelées.
Fac-similé du poème manuscrit « Paysage triste ».
(page 382)
Et muet et léger comme un zéphir d’été
Sur un étang cuivreux engourdi dans sa vase,
L’insecte nonchalant voltigeait en extase
Sur cette nappe d’or dans l’immortalité.
Le recueil de M. Maurice Rollinat est comme une vaste symphonie où viennent chanter, chacune à son tour, toutes les voix de la nature, le vent, la pluie, l’eau courante :
Lorsque le vent veut s’appeler
Zéphyr ou brise,
La fleurette est pour ce
berceur
Une toute petite sœur
Qu’il vient câliner en douceur
Et sans surprise.
Las de siffler et de gémir,
Certains jours, il paraît dormir :
A peine alors s’il fait frémir
La moindre tige.
Il s’endort, puis s’éveille
un brin
Souffle minuscule et serein
Qui lutine au ras du terrain
Et qui voltige.
Puis, voici qu’il fait claquer la feuille et grincer les girouettes, qu’il glisse entre les volets et s’engouffre dans les corridors :
Le vent ne commence parfois
Qu’à fendre l’air en tapinois,
Qu’à gercer l’eau, tâter les toits,
Froisser le chêne,
Coucher l’herbe et raser le
roc :
Il se tasse pour un grand choc
Et subitement, tout d’un bloc
Il se déchaîne.
Il met le feuillage en haillons,
Sabre les blés sur les sillons,
Prend l’herbe dans ses tourbillons,
La tord, la hache ;
Il livre même des combats
Aux vieux arbres de haut en bas,
Et quand il ne les pourfend pas
Il les arrache.
Et, toujours, par tout l’univers,
Par les continents et les mers,
Les champs, les cités, les déserts,
Passe et repasse,
Tour à tour tendre et
furieux,
Ce grand souffle mystérieux :
La respiration des cieux
Et de l’espace.
Mais ce qu’il faut surtout louer chez le poète, c’est d’avoir si bien rendu la vie intense de la nature. Il ne nous la montre pas seulement sous ses aspects qui changent avec les saisons, sous la pluie, le brouillard ou le soleil ; tous ses paysages sont animés : il a des couleurs ravissantes pour nous peindre l’insecte qui rôde au-dessus de l’eau, le goujon qui frétille au fond dans le sable, le brochet en quête d’une proie ; il nous dit la journée d’une cigale et le farniente d’un escargot prudemment blotti dans la lézarde d’un vieux mur. Il peuple l’ornière du chemin creux de toute une colonie grouillante :
Dans l’ornière du chemin creux
Abandonné comme inutile,
Plus de passage dangereux.
Plus de roues aux grinçants moyeux
Broyant l’insecte et le reptile,
Dans l’ornière du chemin creux.
Le frais des coins mystérieux
Couvre la paix de cet asile ;
Plus de passage dangereux.
Tout un petit monde peureux
Y trouve donc un sort facile
Dans l’ornière du chemin creux.
Il n’oublie pas l’homme non plus, et le laboureur, la bergère, le casseur de pierres, les vieux pauvres, le cimetière du village lui ont inspiré des strophes attendrissantes.
Alcide BONNEAU.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – (page 377) L’auteur cite le vers « La fraiche odeur des foins nouvellement coupés, » et l’attribue à Ponsard. S’il s’agit du poète François Ponsard (1814-1867), nous avons recherché dans ses Œuvres complètes en trois tomes (Michel Lévy frères éditeurs, Paris, 1865, 1865 et 1876) et nous n’avons pas trouvé cette expression. S’il pense plutôt à René Ponsard (1826-1894) chansonnier et poète, nous n’avons pas trouvé le texte cité.
– 2 – (page 380) Maurice Rollinat n’est pas né en 1853, mais le 29 décembre 1846.
– 3 – (page 380) Il n’est pas « le filleul de l’illustre romancière ». Sa marraine au sens religieux du terme, est sa tante Emma Didion. George Sand peut être considérée comme sa marraine littéraire.
– 4 – (page 380) Le premier livre de Maurice Rollinat Dans les Brandes, poëmes et rondels, a d’abord été édité par la Librairie Sandoz et Fischbacher, Paris, en 1877. Il sera publié avec de légères modifications chez G. Charpentier, Paris, en 1883.
– 5 – (page 380) Le titre exact du troisième livre de Maurice Rollinat est L’Abîme. Quant aux Dix mélodies nouvelles, poésie et musique (1887), il s’agit de partitions de musique.
– 6 – (page 380) La soirée au Théâtre d’Application a eu lieu le 14 février 1892.
– 7 – (page 380) La soirée chez Sarah Bernhardt s’est déroulée le 5 novembre 1882. dEux articles en ont rendu compte. Celui paru le lendemain dans Le Gaulois (Lundi 6 novembre 1882, page 1) était signé Charles Buet sous le pseudonyme « TOUT PARIS » ; il était intitulé « Une Célébrité de demain ». Puis il y a surtout eu celui d’Albert Wolff dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris ».
– 8 – (page 380) L’auteur écrit : « Le volume dut surtout son succès à Mme Sarah Bernhardt, qui en disait certaines pièces avec son talent consommé ». Nous n’avons aucun témoignage indiquant que Sarah Bernhardt a interprété des poèmes de Maurice Rollinat.
– 9 – (pages 380 à 382) Les vers « Bordé d’arbres très vieux (…) d’or dans l’immortalité. » correspondent aux strophes 1, 4, 5 et 6 du poème « Le Champ de Blé » (La Nature, pages 15 à 18). Le dernier vers est : « Sur cette nappe d’or dans l’immobilité. » au lieu de : « Sur cette nappe d’or dans l’immortalité. »
– 10 – (page 382) Les vers « Lorsque le vent veut s’appeler (…) Et qui voltige. » correspondent à la deuxième partie de la quatrième strophe et à la cinquième strophe du poème « Le Vent » (La Nature, pages 1 à 10). Il y a des différences de ponctuation.
– 11 – (page 382) Les vers « Le vent ne commence parfois (…) Et de l’espace. » correspondent aux strophes 16, 20 et 21 du poème « Le Vent » (La Nature, pages 1 à 10). Il y a des différences de ponctuation. Le dernier vers est « Ou de l’espace ! » au lieu de « Et de l’espace. »
– 12 – (page 382) Les vers « Dans l’ornière du chemin creux (…) du chemin creux. » correspondent aux strophes 1, 2, 3 et 7 du poème « L’Ornière » (La Nature, pages 193 à 198). Il y a des différences de ponctuation. Le dernier vers de la septième strophe « Plus de passage dangereux. » a été remplacé par « Dans l’ornière du chemin creux. »
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