Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Paris-Journal

Mercredi 20 septembre 1876

Page 3.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

LES LIVRES

 

(…)

Dixains réalistes. – Librairie de l’Eau-Forte.

En tête de la pléiade réaliste qui a droit de revendiquer la création des dixains ci-dessus désignés se trouve une femme, Mme Nina de Villard ; après elle, MM. Jean Richepin, Antoine Cros, Maurice Rollinat, Germain Nouveau, Hector l’Estraz et Charles Frémine viennent à leur tour offrir à un public restreint, puis que l’album renfermant l’œuvre collective n’a été tiré qu’à deux cents exemplaires, ces différents auteurs, reprenons-nous, viennent offrir le spécimen le plus curieux et le plus parfait de talents aussi incontestables qu’étranges.

La muse inspiratrice de tous ces poëtes ne les conduit pas au Parnasse à travers l’azur d’un ciel de printemps ; elle dédaigne le parfum des fleurs et le chant des oiseaux, autour d’elle on ne voit pas partout,… « neiger des plumes de tourterelles » ; mais elle s’en va bravement, son pied robuste et nu à demi caché par une chaussure éculée remplaçant, le cothurne antique, le corps enveloppé d’une robe d’indienne en loques, tunique réaliste, qu’elle relève hardiment aux yeux du lecteur étonné de voir une si belle fille habillée de la sorte, elle s’en va bravement, au plus profond des ruelles sombres, humant la brume des soirs d’hiver, dilatant ses narines à l’odeur âcre et nauséabonde que laissent après elles la misère ou la boue, regardant défiler de ses grands yeux d’immortelle matérialisée tout ce qui grouille, geint, rit ou se tord dans les milieux vulgaires et attristants de la vie.

Ce recueil est-il fait pour les délicats à l’esprit dénué d’éclectisme ? Non certes, mais il est destiné à intéresser et à captiver les amateurs quand même de ce qui possède un caractère d’originalité littéraire puissamment accentué.

Fils de Balzac et de Gavarni, les osés et les hardis qui ont écrit cela sont les adeptes d’une école où la plume a mission de se faire tantôt scalpel et tantôt crayon ; poëtes, ils savent donc en même temps être anatomistes, moralistes et caricaturistes.

Il n’y a point de types odieux qu’ils ne mettent en scène, point de laideur morale ou physique qu’ils ne signalent ; ils ne reculent ni devant le dégoût, ni même devant l’écœurement ; mais qu’importe ! le feu purifie tout, et la flamme qui jaillit du vrai talent n’est-elle pas le feu sacré par excellence ?

Bien vite, nous allons citer de Mme Nina de Villard une pièce charmante, où le sentiment s’allie heureusement au réalisme :

Quand la lampe carcel sur la table s’allume,
Le bouilli brun paraît escorté du légume,
Blanc navet, céleri, carotte à la rougeur
D’aurore, et doucement, moi, je deviens songeur.
Ce plat fade me plaît, me ravit, il m’enchante :
C’est son jus qui nous fait la soupe succulente,
En le mangeant, je pense avec recueillement
A l’épouse qui, pour nourrir son rose enfant,
Perd sa beauté, mais gagne à ce labeur austère,
Un saint rayonnement trop pur pour notre terre.

Si nous avions pu copier encore ici le Noircisseur de verres pour éclipses, une étude en dix lignes, poëme de la misère touchante, et si nous avions pu ajouter comme repoussoir et contraste le dixain dans lequel M. Charles Cros a pétri de fangeuse argile la statuette cyniquement ressemblante d’un Adonis du ruisseau, on aurait pu juger jusqu’à quel point est attrayante la diversité de facture de ces poëtes, au talent exubérant, jeune et vivace ; mais la place nous manque, et à l’impossible nul n’est tenu.

(…)

Hippolyte Fournier.

 

 

Remarque de Régis Crosnier : Sur la fiche de la BnF concernant Hippolyte Fournier, il est indiqué comme date de naissance : 1931 (https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb124431886). Il est critique littéraire à La Patrie et à Paris-Journal, mais aussi avocat. Il a publié un roman Les Lendemains de l’amour (Librairie Dentu, 1877).