Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Panurge
Dimanche 19 novembre 1882
Pages 1 et 2
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
(page 1)
SOMMAIRE :
Notes sur la vie : Maurice Rollinat …………
Harry Alis.
(…)
NOTES SUR LA VIE
Le Figaro expie bien durement la faute qu’a commise M. Mirbeau en attaquant la phalange sacro-sainte des comédiens. Après les explications de M. Magnard, après le solennel désaveu de M. Auguste Vitu, la « corporation » n’est point satisfaite. Plus d’un « second premier rôle » est parti en guerre et M. Ambroise Thomas garde un silence menaçant.
Sans doute une attaque à main armée n’est plus à craindre. On peut relever le garçon de bureau posé en sentinelle avancée dans le vestibule et autoriser MM. Albert Millaud, Chincholle – et peut être Saint-Genest – à réaccrocher aux panoplies les hallebardes qui en font le plus bel ornement.
Mais l’hôtel de la rue Drouot est mis à l’index comme un simple fabricant de meubles et tous les cothurnes de Paris ont juré de ne plus fouler les parquets du Figaro. Que penseront de ce cas si grave les portraits des souverains et le buste de Villemessant ?
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M. Albert Wolff qui est l’homme des situations difficiles a reçu la mission de faire cesser un pareil état de choses. Les nombreux succès qu’il a obtenus dans ses relations avec les peintres le désignaient suffisamment…
Un rédacteur du Figaro avait éreinté « le comédien ». On pouvait à vrai dire, réparer le mal, en exaltant « l’acteur ». C’eut été banal et peut-être insuffisant. Faire un portrait flatté ? Planter Coquelin aîné debout dans une auréole ? C’eut été raide.
M. Albert Wolff qui est malin comme un bossu pensa à élever un monument à un homme qui fut comédien – sans l’être.
Et il découvrit Maurice Rollinat.
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Nous l’avions découvert, nous autres, il y a quelque dix ans, au Quartier Latin. Et depuis, – quoique n’existant pas encore pour le grand public dont on peut dire que M. Albert Wolff tient les oreilles, – il n’a cessé d’être pour nous une personnalité intéressante, un curieux tempérament.
Nous connaissions son histoire, assez simple d’ailleurs, où marquait seulement l’amitié d’une voisine de campagne : George Sand. Simple employé dans une mairie, Rollinat avait publié, – chez un de ces éditeurs, qui sont comme des catafalques de première classe, – un volume de vers : Dans les Brandes. Il n’y avait, à vrai dire, rien de bien remarquable dans ces poésies. La note cruellement macabre, qui est l’originalité dominante de Rollinat, se révélait à peine. La forme des vers qui ne rappelle Baudelaire en aucune façon, aujourd’hui encore, était là véritablement médiocre.
Mais si le volume de Rollinat était peu connu et peu apprécié, déjà un cercle d’amis s’émerveillait des effets tragiques obtenus à l’aide de moyens simples, en dehors des ficelles ordinaires par des comédiens d’instinct.
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Tout-à-coup, on apprit que le poète des cyprès et des squelettes, le sombre amoureux du vers des cercueils et des conceptions horribles – s’était marié, marié comme un simple et vulgaire philistin. On parlait même d’un mariage riche, tout rose de soie et doré d’écus. Ce que George Lorin, le caricaturiste fantaisiste exprimait de cette façon particulière :
– Rollinat est riche, il a un château à la campagne avec de vrais vaches et des moutons et puis des poules… tout ça naturel, à lui, pour de vrai… je t’assure.
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Il fallut, pour remettre Rollinat dans la circulation, qu’un autre poète, Emile Goudeau, fondât avec quelques amis, sur la rive gauche cette fameuse société des Hydropathes dont longtemps parleront les chroniqueurs de l’avenir.
Parmi tous ces jeunes épris d’art au fond mais qui, dans leurs réunions, s’occupaient particulièrement de fumisteries, à côté d’Emile Goudeau, de Fernand Crésy un autre poète, pyrrrréneennn…, de Félicien Champsaur, un parisien du Midi, de Moynet, le monologuiste, Maurice Rollinat obtenait des succès très marqués, très sincères.
Nous avons tous conservé dans la mémoire la silhouette obsédante de Rollinat, debout, la main gauche dans la poche, la droite brandissant une cigarette fatale avec des saccades frénétiques. Sur son visage plissé ironiquement, tiré du nez vers la bouche en rides amères, le front barré de sillons sataniques, – voltigeait une mèche, une terrible mèche brune, fatidique, épouvantable, qu’un coup de tête rejetait en arrière et qui revenait obstinément mettre une barre d’ombre sur les yeux. Et, de la bouche, s’échappaient en paroles rauques, stridentes, plaintives, gouailleusement féroces, l’Enterré vif, l’Amante macabre, Troppmann.
La forme, le fond même disparaissaient devant l’art lugubre de la diction. On tressaillait d’épouvante – sans savoir exactement pourquoi.
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Et c’était bien pis quand Rollinat chantait au piano la musique qu’il avait composée sur les vers de Baudelaire. Ses doigts surosseux frappaient les touches avec des fébrilités cruelles. Sa silhouette prenait des contours anguleux, contorsionnés, et, par derrière comme par devant revenait l’inévitable, la fatidique, l’épouvantable mèche agitée d’un mouvement fou…
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M. Albert Wolff m’a paru heureusement inspiré en faisant des réserves sur la valeur des œuvres poétiques de Rollinat. Ces vers si impressionnants, lorsqu’ils sortent des lèvres de l’auteur, semblent bien pâles, beaucoup moins remarquables lorsqu’on les lit « dans le silence du cabinet ». De même pour la musique. Ces œuvres chantées ou récitées par un autre, ce n’est plus cela, comme on dit.
Je ne veux certes pas nier le talent de Maurice Rollinat, un peu exagéré par ses meilleurs amis. Mais dans ce même milieu où jadis il obtint ses premiers succès, – et sans doute ailleurs aussi – sont des poètes, des écrivains qui valent le futur auteur des Névroses. J’en ai cité, je pourrais allonger la liste. Il est injuste de les immoler pour le triomphe d’un seul, comme le fait M. Wolff.
Je pense, par exemple, qu’on se souviendra encore de la Revanche des bêtes d’Emile Goudeau, alors que les Névroses seront oubliées, parce qu’elles ne seront plus lancées par la bouche de ce comédien admirable qui est Rollinat.
Or, si nous connaissons Emile Goudeau, M. Albert Wolff ne l’a pas encore découvert.
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Et c’est ce qui m’attriste un peu, de voir à quoi tient la célébrité : Voilà deux poètes dignes d’être connus de tous. L’un est traité de génie, presque de « cher et vaillant artiste » parce que le hasard l’a mis en présence d’un chroniqueur qui n’eut jamais sans cela, parcouru une seule ligne de ses œuvres.
L’autre hélas ! peut-être ne sera jamais admis à l’honneur d’être tutoyé par M. Wolff, – à moins que la destinée clémente ne le lui fasse rencontrer dans une circonstance imprévue.
Si notre éminent confrère persévère dans cette carrière d’explorateur littéraire qu’il entreprend sur le tard, que de découvertes à faire ! Combien il trouvera de jolies choses en feuilletant les vaillantes revues littéraires de ces temps passés, la Revue littéraire, la Revue moderne – où justement Rollinat publia une partie de ses Névroses et Guy de Maupassant ses beaux vers – qui moururent de leur belle mort sans avoir été elles non plus – les pauvres ! – jamais découvertes.
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Car vous avez raison de dire, M. Albert Wolff, que vous tenez au bout de votre plume, l’avenir d’un écrivain. Cela n’est peut-être pas très logique, mais c’est exact. Ce qui le prouve, c’est que jadis, dans ce même Figaro, Félicien Champsaur parla longuement de Rollinat et des autres, ce qui ne les empêcha pas de demeurer presque inconnus. C’est que, voyez-vous, il ne tenait pas suffisamment « les oreilles du public », lui. Pourtant le public les a longues.
Aujourd’hui, trois ans après, vous refaites le même article. Voilà notre ami Rollinat célèbre – au moins pour six semaines.
Pour cette bonne action puisse la gent comédienne vous accorder gracieusement son pardon.
Harry Alis.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Harry Alis est un pseudonyme utilisé par Jules-Hippolyte Percher (1857-1895) (http://data.bnf.fr/11888451/harry_alis/).
– 2 – Harry Alis est le directeur du Panurge, dont le rédacteur en chef est Félicien Champsaur. Tous les deux ont fait partie du groupe des Hydropathes où ils ont bien connu Maurice Rollinat et où apparemment Harry Alis s’est lié d’amitié avec Émile Goudeau pour le préférer à Maurice Rollinat.
– 3 – Albert Wolff est ménagé tout au long de cet article, car Le Panurge a déjà publié deux articles de lui, dans les numéros 1 du 1er octobre 1882, et 4 du 22 octobre 1882.
– 4 – L’article d’Albert Wolff dans lequel « il découvrit Maurice Rollinat », est paru dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris », suite à la soirée chez Sarah Bernhardt du 5 novembre 1882.
– 5 – Le « château à la campagne » que Maurice Rollinat aurait possédé est en réalité la maison de campagne de ses parents, Bel-Air, sur la commune de Ceaulmont, alors propriété de sa mère Isaure Rollinat. Il ne s’agit en aucun cas d’un « château ». Gorges Lorin est connu pour ses exagérations. Mais on peut aussi indiquer que Maurice Rollinat utilisa le mot de « château » à propos de la propriété de Bel-Air dans une histoire racontée par Alphonse Ponroy : « Mon médecin, a-t-il dit, m’avait ordonné d’aller prendre l’air de la campagne. Je mangeais chez mes métayers et couchais seul, à quelques cents mètres de leur habitation, dans mon petit château, qui est assez isolé. (…) » (Alphonse Ponroy, « Maurice Rollinat – L’Homme et l’Artiste – I », L’Hirondelle – Revue littéraire, pédagogique et artistique – Organe hebdomadaire de l’Académie de l’Ouest, n° 44 du 31 octobre 1885, pages 345 et 346.)
– 6 – La Revue moderne et naturaliste a été fondée par Harry Alis en 1878. Rollinat figure au nombre des collaborateurs ; ses poèmes « L’Amante macabre », « L’Enterré vif » et « Les Roses » y seront publiés.
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