Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Voltaire
Mercredi 29 Mars 1882
Pages 1 et 2.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
(page 1)
CES POÈTES !
Des personnes, qui ont voulu faire croire que les réceptions à l’Académie étaient amusantes quelquefois, ont trouvé que l’entrée de M. Sully-Prudhomme dans le temple manquait absolument d’entrain. Le poète, a-t-on dit, a traité comme des malades ces immortels, dont peu de gens pourraient réciter la liste depuis A jusqu’à Z. Il est entré doucement, sur la pointe des pieds, en murmurant à voix basse : « Bonsoir. Ne vous réveillez pas : ce n’est qu’un poète qui va s’asseoir. Ne vous dérangez pas ; je trouverai bien mon fauteuil tout seul. »
N’est-il pas étrange qu’on reproche à un homme d’avoir la modestie de son talent et de rechercher la célébrité sans le bruit, la musique sans la grosse caisse ? Assez de gens font la parade devant leurs œuvres et crient :
– En vérité, je vous le dis. Il n’y a que moi ; il n’y en a pas d’autres. Je suis un homme en iste et j’ai fondé une littérature en isme. J’ai bâti tel personnage qui tient tout le clavier humain. Qui n’est pas avec moi n’est pas !
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Celui qui a voulu trouver la formule de la justice et qui a tenté de « conquérir l’horizon sur l’ombre et sur le doute » peut ne pas emboucher lui-même la trompette de sa renommée. Nous allons vers lui, plutôt qu’il ne vient vers nous. C’est ce que M. Maxime Du Camp a fort bien traduit – une fois n’est pas coutume – en disant à l’académicien : « Etre populaire ou être célèbre, ce n’est pas la même chose. Vous êtes célèbre. »
M. Sully Prudhomme est un des rares poètes qui soient restés dans les templa serena dont parle Lucrèce, qui n’aient rien sacrifié au désir d’être applaudis et qui n’aient pas pris mesure aux acteurs à la mode de quelques poésies faciles à placer, même en voyage.
Pourtant le fameux Vase brisé a fait son petit tour du monde. Lesueur lui-même le savait par cœur et il en a donné une variante :
L’œil est au fond : n’y touchez pas !
Ce n’est pas, je pense, pour cette raison que M. Zola a dit de M. Sully Prudhomme qu’il s’agitait en pleine évolution naturaliste.
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Ce n’est qu’un poète ! Mais d’autres vont suivre qui ne sont que des poètes. J’entends Coppée qui monte l’escalier de l’Académie. Il essuie sur le paillasson son « petit épicier de Montrouge » ; il sonne. J’entends Leconte de Lisle qui s’arrête à la douzième marche et reprend haleine, ayant forgé un alexandrin.
Barbier est mort. Vive Coppée ! vive Leconte !
Ces poètes sont étonnants. Ils s’arrangent entre eux et se réservent des fauteuils. Il y a quelques jours, Sully Prudhomme disait à Coppée : « J’ai sur vous la supériorité de l’âge ; c’est pourquoi j’ai été élu. Je vous donne rendez-vous sous la coupole. Je vous attends. Dépêchez-vous. »
Oui, il y a encore des poètes, il y en a même beaucoup. L’avenir est à eux, aussi bien qu’au commun des immortels ; à condition, toutefois, qu’ils descendent du Parnasse et ne s’abîment pas dans l’adoration perpétuelle de la forme, ce nombril de la poésie.
Hugo affirme que la poésie tient de l’oiseau. Donc il faut que nous entrevoyions les ailes. Sully-Prudhomme, qui a le culte de la forme, avoue, lui, qu’il a dans le dos deux ailes géantes qui palpitent sans cesse en l’accablant toujours. Il y a des jours où ça doit bien le gêner. Baudelaire, dont les vers sont d’une structure si raffinée et si savante, a comparé le poète à l’albatros :
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Aujourd’hui les poètes s’efforcent de (page 2) tirer la poésie des choses et des gens qui les entourent. Ils dégagent l’inconnue, l’X qui pleure et qui rit. Ils sont tous atteints de modernisme : c’est pourquoi, s’ils acceptent des ailes, c’est à condition qu’elles ne les empêchent pas de marcher.
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Ils sont là, les jeunes et les tout-jeunes, formés en bataillon serré.
Pour les connaître, il suffit d’avoir assisté à quelques séances des Hydropathes devenus aujourd’hui les Hirsutes. Tous ont passé par ce cercle, le seul qui leur fût ouvert et sympathique. Tous ont dit des vers dans cette salle enfumée de la rue Cujas.
Les débutants avaient la bonne fortune de coudoyer Richepin, Maurice Bouchor, Félix Frank, Paul Bourget, Gill, les deux Coquelin, Alphonse Daudet, Théodore de Banville, Coppée, Albert Mérat, Léon Valade, Gustave Rivet et jusqu’à Sarah Bernhardt.
Oui, la légende affirme que Sarah est venue en chair et en os – surtout en os. Mais personne ne l’a vue : elle est si diaphane.
Chacun pouvait entrer, monter sur les planches et « y aller de sa petite machine. » On applaudissait tous les genres, hors le genre ennuyeux.
Emile Goudeau, le président au visage de prêtre assyrien, veillait au maintien de l’ordre et des bonnes mœurs. Son volume de vers très personnel en imposait aux amateurs de « chahut. »
Voici Fernand Icres qui raconte, avec son accent bizarre, les amours fauves et nous montre la jeune Parisienne anémique, en contemplation devant le mitron à son travail, et rêvant « de quelque hercule nu, debout à son chevet. » Rollinat, le poète macabre, qui nous fait assister aux visions de Troppmann ou nous dit les impressions de la cuvette d’une mondaine ou encore nous joue sa musique si étrange, derrière laquelle on perçoit un certain au-delà, qui donne le frisson. Quand une fois on a entendu Rollinat, on ne l’oublie plus. Il a la voix et le geste de ses vers, ce qui est fort rare. Le public le jugera, quand auront paru ses Névroses qui seront comme les fleurs du nouveau mal.
A côté de ces outranciers, des doux, des amants des idylles champêtres, Frémine avec ses Pommiers, Le Mouël avec ses Feuilles au vent, Duvauchel avec sa Clé des champs, Auguste Dorchain avec la Jeunesse pensive, – un chaste, celui-là – puis du Costal qui peint D’après nature et à qui Coppée, dans une préface charmante, donne le coup de plat d’épée sur l’épaule.
Voici encore les trois fournisseurs brevetés de Coquelin cadet : Charles Cros qui s’est fait pardonner le Hareng saur par son volume le Coffret de Santal, coffret très ciselé, pleins de senteurs troublantes ; Paul Bilhaud aux vers rimés à la bonne franquette, mais empreints d’une sorte de poésie naturelle et dont plusieurs des Choses à dire sont des choses à lire ; Grenet Dancourt, l’intarissable Grenet, qui sert à volonté du doux ou du violent, du comique ou du sentimental, auteur dramatique et acteur à ses moments qui ne sont pas perdus.
Tous portraiturés par Georges Lorin, le caricaturiste monologuiste.
Et bien d’autres encore ! Et des inconnus, des passants dont on ne sait pas le nom et.que demain la muse prendra par la main.
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Les jeunes voient les ainés endosser l’habit vert et se coucher dans l’immortalité qui sera peut-être l’immobilité. Il est si difficile d’être immortel sans être mort.
Ils pensent qu’il est temps de paraître, de se nommer, de se montrer et ils jouent des coudes. Ils ont le courage de dire à leur siècle pratique et documenteux, alors que quelques-uns traitent la poésie de Victor Hugo de gâtisme humanitaire, ils disent : « Messieurs, je m’appelle poète. Je fais la chasse aux rimes riches. Les larmes qui tombent de mes yeux se cristallisent et étincellent dans les facettes d’un sonnet. Je monte mes douleurs en épingle. Je chante. »
Eh ! oui, ils chantent, mais non plus du haut de la Tour d’ivoire ; ils ont rompu avec l’art pour l’art. Ils ne forment pas une petite église. Ils mangent avec tout le monde et ne demandent pas de table à part.
Ils descendent dans la plaine, se mêlent à notre vie et en traduisent toutes les aspirations, les mauvaises comme les bonnes. Ce sont des naturalistes, dans la saine acception du mot. Ils ont l’ambition de faire vrai et humain. Ils prennent leur part de la lutte quotidienne et ils la chantent, sachant, comme l’a dit le nouvel académicien
Qu’un héroïque appel sonne mieux dans la rime.
Gustave Vautrey.
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