Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Voltaire
Dimanche 15 février 1880
Page 1.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
SÉANCE AUX HYDROPATHES
Qu’est-ce que c’est d’abord que les Hydropathes ? J’ai entendu, pour ma part, un certain nombre de définitions de ce mot baroque. M. Sarcey a voulu l’expliquer scientifiquement et n’y a pas réussi. Le plus clair est que le mot ne signifie rien du tout. Quant à la chose indiquée par ces quatre syllabes, c’est une grande affaire.
Les Hydropathes sont des artistes, jeunes pour la plupart qui, une fois par semaine, s’assemblent pour se débiter les uns aux autres des vers, pour jouer et chanter de la musique. Leur club est une sorte de beuglant où les auditeurs seraient eux-mêmes acteurs. Il est situé près du Jardin des Plantes. Au fond de la salle est une scène petite, rétrécie encore de moitié par un piano, éclairée par une rampe fumeuse. Les Hydropathes, gens à très bonnes têtes, montent sur cette scène pour faire s’envoler de là, comme des passereaux point effarouchés, des hémistiches et des airs modernes.
Il faut l’avouer. Les strophes ne sont pas toujours neuves. Souvent ce sont des variations plus faibles sur des chansons de maîtres. Je me suis rendu, dernièrement, au club des Hydropathes. Plus de deux cents jeunes gens étaient venus, poètes, étudiants, peintres, sculpteurs. Les hydropathes étaient tous assis devant des bocks. Les hommes célèbres de l’endroit se nomment Georges Lorin, Harry Alis, Goudeau, Fernand Icres, Rollinat, Taboureux, Coquelin cadet, Fragerolle, Charles Cros, Fauvel, Paul Vivien. Tous ont du talent. Icres a du talent, Goudeau a du talent, Rollinat a du talent, Fauvel a du talent ; mais ils n’en ont pas souvent.
Mürger disait :
– Il y a des années comme çà où l’on n’est pas en train.
La séance est ouverte par Charles Leroy qui parle aux hydropathes du divorce. Cette question n’intéresse pas seulement M. Naquet, M. Dumas fils, le Père Didon, M. Paul Féval – et les femmes honnêtes qui pourront, légalement, connaître plusieurs hommes. M. Leroy prend une des causes principales du divorce, l’adultère, et suppose que Mme Vertefonce est poursuivie pour avoir accordé ses faveurs à son voisin. Il prononce une plaidoirie tintamarresque que je reproduis aussi exactement que je puis me la rappeler :
« Messieurs de la cour,
» Messieurs les jurés,
» Que nous reproche-t-on ici ? Ma cliente a préféré son voisin à son mari. Après ? C’est notre affaire à nous et non la vôtre. Est-ce que nous nous mêlons de vos affaires, nous ?
» D’abord, un mari doit être fier d’être trompé. En effet, sachez-le, messieurs, n’est pas trompé qui veut. Dans ce siècle d’ambition, où l’on veut être en vue à tout prix, rien n’est meilleur que l’adultère. Tout le monde se moque du mari, mais on le remarque. Il devient quelqu’un. Ensuite cela est flatteur et prouve qu’on a eu bon goût, puisqu’on a su prendre une femme qui plaît à d’autres.
» Pour l’amant, que vous ne plaignez pas, avez-vous bien pesé l’humilité de la situation de ce malheureux qui laisse le mari se servir le premier ! Au contraire, l’amant donne la sécurité au mari. Que celui-ci parte en voyage, il sait qu’il y a un homme à la maison.
» Du reste, un amant procure toujours quelques petites douceurs dans le ménage. Tenez. Un malheur peut arriver au mari. Il peut être écrasé par un omnibus ou une voiture de laitier. On n’a pas le choix. Alors on le porte à la Morgue et, s’il est connu, il a des chances pour être remarqué par le premier passant venu qui, en le voyant, s’écriera :
» Tiens ! c’est le mari que trompe un tel. Tout le quartier sait son nom.
» Cela est un avantage. Je me résume. L’adultère est un bienfait pour un mari, et loin de s’en fâcher, il doit s’en enorgueillir. Aussi, j’ai la certitude, messieurs de la cour, messieurs les jurés, que vous apprécierez ce cas mieux qu’à l’ordinaire et que vous voudrez étendre le beurre de la clémence sur le pain dur de l’accusation. »
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Les hydropathes, tous célibataires, applaudissent. Leurs bravos continuent très bruyants lorsqu’ils voient un dandy, tiré à plusieurs épingles, aller s’asseoir au piano. C’est M. Georges Fragerolle, compositeur de mérite. Il chante, d’une voix cuivrée et sonore, une mienne poésie.
La voici :
Quand celle qu’il aimait, après avoir, six mois,
Sans se plaindre, souffert, avec douceur fut morte,
Comme mourait l’avril, il ferma bien la porte,
Et revint près du lit, sans raison et sans voix.
Sentant frapper sur lui les implacables lois,
Il ne pleura pas, mais, rêveur d’étrange sorte,
Près du cadavre blanc, paré pour qu’on l’emporte,
Il écrivit des vers, les yeux fixes parfois.
Dans ces vers, il plaça son âme, l’être même,
Pour la femme adorée, il fit un long poème,
Douloureux et poignant, un monde, un univers.
C’était un pur chef-d’œuvre, élégie
immortelle.
Dans le cercueil béant, lui, muet, mit ses vers
Pour qu’ils ne fussent lus de personne, autre qu’elle.
Sur ces rimes M. Fragerolle a composé une musique pleine de sentiment. Elle pleure ainsi qu’une élégie. Les hydropathes bissent la musique de mon ami.
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Un poète à peine barbu, mais très chevelu, est venu ensuite dire des vers colorés et réalistes : la Sorcière. Ce jeune homme, qui a une grande vigueur d’inspiration, est l’ami de M. Léon Cladel, le romancier au style tourmenté et rude comme le sol du Quercy. Pendant que M. Icres déclame ses hémistiches on me raconte une anecdote sur Baudelaire, qui fut le maître de M. Cladel comme Cladel est le maître de M. Icres. Voici l’histoire :
Baudelaire allait souvent au café de la Belle-Poule, et Cladel l’y rencontrait parfois. Un soir, Cladel attendait son maître, comme il l’appelle, lorsqu’une femme, très belle et très blonde, s’assied en face de lui, babille, et le prie de la présenter à Baudelaire.
Cladel, en riant, ne s’y refuse pas. Baudelaire arrive et Cladel fait la présentation. On offre à la femme une consommation, puis au bout d’une heure, Baudelaire s’en va tout seul. Le lendemain, la femme se plaçait à côté de lui. Ainsi de suite pendant un mois. Enfin, Baudelaire, sur des prières réitérées, amène la femme chez lui. Cladel était avec eux. On cause. La femme devient lascive, Baudelaire répond qu’il est amoureux des belles formes et qu’il ne veut pas s’exposer à une déception. La femme se déshabille lentement. Elle était magnifique et elle avait des cheveux si longs qu’en se penchant un peu elle pouvait mettre son pied nu sur l’extrémité. Du doigt, elle s’appuyait au dos d’un fauteuil. Cladel sort. Il n’avait pas formé la porte qu’il entend Baudelaire, vieux et usé, dire :
– Rhabille-toi.
Dernièrement, Cladel traversait les Halles, lorsqu’il fut reconnu par une marchande qui vint à lui. C’était la femme du café de la Belle-Poule. Elle prit les mains de Cladel, et, les serrant, elle lui demanda :
– Et Baudelaire ?
Depuis longtemps Baudelaire est mort. Il a laissé, dans le Club des Hydropathes, quelques imitateurs : Rollinat, Icres, Georges Lorin. Ce sont de bons vivants et des poètes funèbres qui jonglent avec des idées de mort comme avec des osselets.
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Elle vient de frapper, la mort, parmi les Hydropathes. J’ai entendu leur président annoncer le trépas de l’un d’eux, Victor Zay, mort à l’âge de vingt-deux ans. C’était un poète élégant et parisien. Tout finit – et parfois avant l’heure.
Cela me remet en mémoire des vers de Goudeau, débités par lui-même pendant cette séance :
Qu’il vienne donc, parmi la bande académiste,
Un Prométhée, un grand astrologue ou chimiste,
Qu’il comprenne que tous nous allons à la mort
Avec dégoût, avec terreur, avec effort,
Et qu’après il n’y a plus rien, rien que la
fange.
Puisqu’il nous est prouvé que la Vierge, l’Archange,
Jésus et Jéhovah sont des mythes fanés ;
Et que c’est pour jouir que les hommes sont nés,
Qu’il se lève vengeur et rende l’espérance
Aux lits d’Eve en tuant la Mort et la
Souffrance !
Qu’il trouve en sa cornue un élixir divin,
Un composé de sang, de soleil et de vin
Qui nous fasse immortels : tous dieux, toutes
déesses,
Sur des éternités promenant nos jeunesses.
Il faut s’arrêter. Dans cette chronique, il ne s’agit presque que de la camarde – à propos des jeunes.
Félicien Champsaur.
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