Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Temps
Mardi 27 octobre 1903
Page 3.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
NÉCROLOGIE
Maurice Rollinat
Le poète Maurice Rollinat est mort ce matin dans la maison de santé du docteur Moreau de Tours, à Ivry, où il avait été transporté il y a quelques jours ainsi que nous l’avons annoncé. Lorsqu’il était arrivé dans cette maison, son état était déjà des plus graves. Par suite de la neurasthénie, le marasme de l’organisme était profond. Jusqu’au dernier moment, les médecins qui le soignaient avaient espéré pouvoir lui donner artificiellement quelque réconfort. Ce fut en vain. Dès hier, son état ne laissait plus d’espoir. Il est mort ce matin à neuf heures, dans une syncope.
La destinée de ce poète qui succombe, à cinquante ans, dans ces tragiques circonstances, est un saisissant exemple de l’influence que peut exercer, à un moment donné, sur la badauderie du public, le retentissement de la chronique. C’est vers 1883 que, tout à coup, fut révélée, par un article d’Albert Wolff, dans le Figaro, l’existence du poète. Sans doute, Maurice Rollinat s’était fait connaître dans les petits cénacles du quartier Latin, autant par l’excentricité, souvent macabre de ses vers, que par sa diction chantante, expressive et, en quelque sorte, onomatopique.
Mais l’article du Figaro, ce fut, tout à coup la gloire. Pendant une saison tout entière, davantage peut-être, on récita les rondels funèbres de Maurice Rollinat, et même, mis en musique, on les chanta. Qui ne se souvient de ces titres fringants et funèbres : L’Hypocondriaque, la Folie, le Mauvais œil, la Villanelle du Diable, les Yeux morts, le Rire, l’Angoisse, le Silence des morts, le Rondeau du guillotiné, la Morgue, la Ballade du cadavre, etc. ?
Nous en passons – et des meilleurs. Mais il faut du moins citer Mademoiselle Squelette :
Mademoiselle Squelette !
Je la surnommais ainsi :
Elle était si maigrelette !
Elle était de la Villette,
Je la connus à Bercy,
Mademoiselle Squelette.
Très ample était sa toilette
Pour que son corps fût grossi ;
Elle était si maigrelette.
A ce moment du développement littéraire de la jeune génération, le succès de Maurice Rollinat s’expliquait par ses ancêtres intellectuels, Edgard Poë et Baudelaire. Dans le monde, où il entrait par la grande porte de la renommée, – cette porte que lui avait inopinément ouverte Albert Wolff – ce fut surtout un succès de curiosité. Or, l’honneur impérissable de Maurice Rollinat sera précisément d’avoir senti que l’admiration soudaine dont il était l’objet n’était pas d’un bon aloi, qu’elle n’avait rien de littéraire ni de poétique.
Il sentit que ce que l’on admirait ce furent ses yeux bleu clair, l’expression de visage si blanc et si mat sous son abondante chevelure noire. Et il a raconté à notre confrère Adolphe Brisson, il y a quelque deux ans, en termes qui prennent devant cette mort un caractère de singulière noblesse, comment il était parti de Paris en plein succès, en pleine ivresse du triomphe à la suite d’une soirée où il avait « chanté » ses vers, et où un haut dignitaire de l’Etat s’était approché de lui et lui avait dit :
– Vous devez être content de votre exhibition !…
L’auteur des Névroses avait avant ce célèbre recueil, publié les Brandes ; il a dans sa retraite, à Fresselines (Creuse) composé un grand nombre d’autres poésies qu’il a publiées dans les recueils L’abîme, la Nature, les Apparitions, Paysages et paysans.
(...)
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Lorsque dans le premier paragraphe, le journaliste écrit « ainsi que nous l’avons annoncé », il fait référence à l’article « Le poète Maurice Rollinat » paru dans l’édition du 25 octobre 1903, page 3, rubrique « Faits divers ».
– 2 – Maurice Rollinat n’est pas décédé à « cinquante ans ». Né le 29 décembre 1846, il était donc dans sa cinquante-septième année.
– 3 – L’article d’Albert Wolff évoqué dans le second paragraphe, est paru dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris », suite à la soirée chez Sarah Bernhardt du 5 novembre 1882.
– 4 – L’article d’Adolphe Brisson s’intitule « Maurice Rollinat, pêcheur de truites » et a été publié dans Le Temps du 25 octobre 1899, page 2.
– 5 – Le titre exact du premier recueil de Maurice Rollinat est : Dans les Brandes.
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