Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Soleil
Jeudi 15 juin 1899
Page 2.
(Voir le texte d’origine sur RetroNews.)
Feuilleton du SOLEIL du 15 juin 1899
CHRONIQUE DES LIVRES
QUELQUES VERS
(...)
A l’encontre de ceci, Maurice Rollinat me semble un peu au-dessous de ses précédentes poésies qui lui firent un si juste renom. Dans son nouveau volume Paysages et Paysans, il me semble sacrifier un peu trop au mauvais goût du jour, et je ne le féliciterai pas de ses vers elliptiques. En relisant lui-même son volume, ce à quoi il n’aura pas manqué, comment ne verrait-il pas les imperfections qu’un tel système entraîne ? C’est que ces élisions peuvent être facultatives et que l’auteur lui-même a bien du mal à les corriger. A la chanson, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, il faut laisser ces procédés vulgaires, et qui ne sont pas dignes de l’auteur des Névroses. Combien de vers faux, dans ce remarquable volume, rien qu’à cause de cette facture inférieure ! Et parce que Rollinat en les corrigeant, ne s’y est pas reconnu lui-même : c’est fatal. Aussi, citerai-je, à la place de choses qui valent mieux, poétiquement, ce sonnet, Magie de la nature, qui fait tableau :
Béant, je regardais du seuil d’une chaumière
De grands sites muets, mobiles et changeants,
Qui, sous de frais glacis d’ambre, d’or et d’argent,
Vivaient un infini d’espace et de lumière.
C’étaient des fleuves blancs, des montagnes
mystiques,
Des rocs pâmés de gloire et de solennité,
Des chaos engendrant de leur obscurité
Des éblouissements de forêts élastiques.
Je contemplais, noyé d’extase, oubliant tout,
Lorsqu’ainsi qu’une rose énorme, tout à coup,
La Lune, y surgissant, fleurit ces paysages.
Un tel charme à ce point m’avait donc captivé
Que j’avais bu des yeux, comme un aspect rêvé,
La simple vision du ciel et des nuages !
Le poète est là tout entier, traduisant en beaux vers une impression sincère, une impression d’artiste, dominante et impérieuse, et qui exige forcément la beauté plus complète de sa forme. Il faut bien ajouter, cependant, qu’à l’occasion, Maurice Rollinat dit lui-même ses vers, et que ces imperfections, – à mon sens, – que je signale, disparaissent généralement dans le débit. Il est possible que je m’illusionne, mais il me semble que ces choses-là sont faites pour les cafés chantants, et sont surtout affaire de mode. N’empêche que Rollinat reste un grand poète de la nature, et que nul ne l’a mieux sentie et traduite que lui, mais plutôt dans ses détails que dans son ensemble, et avec une méthode fantastique qui n’appartient qu’à lui.
(…)
Charles Canivet.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Charles Canivet, né le 10 février 1839 à Valognes (Manche) et décédé le 29 novembre 1911 à Paris, est un journaliste, poète et romancier ; il utilise aussi le pseudonyme « Jean de Nivelle ».
– 2 – Le poème « Magie de la nature » figure page 145 du livre Paysages et Paysans.
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