Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Siècle
24 octobre 1903
Page 2.
(Lire le texte d’origine sur Gallica)
MAURICE ROLLINAT
Une triste nouvelle nous parvient. Maurice Rollinat, le poète admiré, vient d’être conduit dans une maison de santé d’Ivry. La mort de sa femme, avec laquelle il vivait depuis vingt ans, qui l’avait suivi dans sa solitude et prenait soin de lui comme d’un enfant, a été pour beaucoup dans la catastrophe. Déjà, une attaque de paralysie l’avait jeté au bord du gouffre et il lui en était resté une atroce névralgie qui ne lui laissait guère de repos.
Cette mort presque subite de la compagne de sa vie devait lui porter un coup terrible et décisif.
C’est à son vieil et si fidèle ami Charles Frémine que du fond de la Creuse où il s’était retiré, Maurice Rollinat écrivait ses dernières lettres avant la maladie cruelle. Notre collaborateur nous les communique, trop ému par la douloureuse nouvelle pour y ajouter le moindre commentaire :
Fresselines, juillet 1903.
Merci de ta bonne lettre, mon cher Frémine, et puisse ce petit séjour en Creuse avoir un peu ragaillardi le corps et l’esprit.
Quel malheur que tu ne sois pas resté un jour de plus à Fresselines. Tu aurais assisté avec plaisir et émotion à la prise d’un poisson magnifique que j’ai accroché au pont de Puy-Guillon, dans la grande nappe où le docteur avait pris ses anguilles. Oui, mon ami, le lendemain de ton départ, le dimanche par conséquent, j’étais allé à Puy-Guillon, en compagnie du cadavéreux Morphina – comme j’appelle notre étrange médecin vestonné de cuir – ; l’eau était forte, très troublée et tourmentée, avec des petites vagues tournoyantes qui se rabattaient et se creusaient sous les coups de rafale ; j’ai eu comme l’intuition d’une capture ; j’ai démouliné presque tout mon fil et je l’ai lancé le plus loin que j’ai pu avec une pierre bien calibrée.
Le courant qui bouillonnait devant la masse du remous m’empêchait, en dérangeant ma ligne, de voir l’effet d’une traction directe sur le scion et le moulinet, mais à un moment donné, m’apercevant que mon fil, tout là-bas, changeait de place et remontait vers les piles du pont, je ferrai vigoureusement à tout hasard, et je sentis une résistance reculeusement lourde et vivante. J’appelai le docteur qui prenant l’épuisette, pariait pour une grosse anguille, alors que moi, je l’avoue, j’espérais mieux, en tirant toujours avec une prudence inquiète et la plus stricte précaution.
Enfin, le poisson fut visible à fleur d’eau ! Je ne m’étais pas trompé ! C’était une truite superbe, qu’empocha prestement l’épuisette et qu’au milieu de l’admiration de tous les passants de rencontre, je rapportai heureux et fier à la maison. Elle pesait deux livres, était saumonée de peau et de chair, fut cuisinée onctueusement par Victorine, et nous a fait vivement regretter ton absence par la toute particulière exquisité de son goût, dont tu te serais pourléché comme une chatte.
Cela m’a redonné du courage ; mais, hélas ! les horribles chaleurs sévissent et les deux Creuses commencent à croupir avec de herbes dans le fond et de la sanie à la surface. Je n’ai plus qu’à me terrer dans l’ombre louche de mes stores, en attendant les cinq heures du soir où je descends m’asseoir dans le bois du Puy-Rajot, abreuvant mes tristes yeux de ce même verdoiement si monotone ! et retrouvé, pourtant, si neuf ! tous les jours.
Je n’ai pas de nouvelles de mon livre, – je n’y comprends rien.
Ton vieux fidèle
Maurice Rollinat
Quelques temps avant, Maurice Rollinat écrivait à Charles Frémine :
Je bûche ferme. J’ai en chantier plusieurs livres de vers et de prose. Je m’engloutis surtout dans la musique qui me donne des joies et des sensations surnaturelles. Je tâche d’exprimer avec des sons tout l’imprécis, l’informe, le flottant, l’informulable de ma pensée.
Je fais maintenant des morceaux pour piano seul et je m’ingénie à rendre, par des notes évocatrices, la magie calme ou tourmentée, le clair ou le ténébreux, l’horreur ou la suavité de la nuit, ses silences, ses murmures stridents ou plaintifs, les surgissements vagues de ses silhouettes dans des paysages de pénombre.
Je m’intéresse tellement à cette composition où le raisonnement n’a aucune part, toute de sentiment mystique, d’une pression confuse et nerveuse, que je m’oublie à travailler pendant des six ou sept heures de suite, et que je quitte mon piano comme si je sortais d’un songe !
Tu vois que je ne m’ennuie pas à la campagne et je peux bien dire que je devrai à ma passion de la musique le charme et la consolation continus dans l’inspiration de ma solitude…
Maurice Rollinat.
Maurice Rollinat avait énormément travaillé en ces derniers temps : plus de cent mélodies et deux volumes de prose. Et quelle prose ! Tourmentée, fouillée, exaspérée. Frémine en était effrayé, effrayé du labeur, de l’effort.
Hélas ! c’est à ce surmenage cérébral dont Marcel Prévost, récemment encore dénonçait les ravages, que le pauvre poète paye aujourd’hui un si terrible tribut.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Cet article a été publié vraisemblablement suite à une lettre de Charles Frémine à Paul Desachy, rédacteur en chef du Siècle, datée du 22 octobre 1903 (publiée par Georges Lubin dans le Bulletin de la Société "Les Amis de Maurice Rollinat" n° 6 – Avril 1966, page 13). Dans l’introduction de l’article, on retrouve des termes ou expressions de la lettre repris à l’identique comme : « La mort de sa femme », « depuis vingt ans, qui l’avait suivi dans sa solitude et prenait soin de lui comme d’un enfant », « attaque de paralysie », « au bord du gouffre » ou « atroce névralgie ».
– 2 – La personne qui a vécu les vingt dernières années de sa vie avec Maurice Rollinat, n’était pas sa femme, mais sa compagne Cécile Pouettre.
– 3 – L’attaque de paralysie n’est pas récente, elle date de 1896 (voir Émile Vinchon, La vie de Maurice Rollinat – Documents inédits, 1939, page 272).
– 4 – Ce n’est pas l’attaque de paralysie qui lui a donné « une atroce névralgie », car Maurice Rollinat souffrait de névralgies depuis sa jeunesse.
– 5 – Maurice Rollinat n’est pas décédé d’un surmenage cérébral mais vraisemblablement d’un cancer colorectal, un carcinome selon la terminologie de l’époque.
– 6 – Suite à la publication de cet article, Jeanne Pouettre (la sœur de Cécile) et Gustave Coulon (un ami de Maurice Rollinat habitant Paris) sont allés demander à la rédaction du journal un rectificatif (Jeanne Pouettre relate cette démarche dans une lettre à Madame Marcelle Alluaud datée du 26 octobre 1903 – collection particulière). C’est ainsi qu’un nouvel article intitulé « La maladie de Maurice Rollinat » est paru dans l’édition du 26 octobre 1903 en page 2.
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