Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Rappel

Samedi 13 octobre 1883

Page 3.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

LES LIVRES

LA POÉSIE

MAURICE ROLLINAT : Dans les brandes (1 vol., Paris, G. Charpentier). – (…)

 

C’est à l’automne qu’il fait bon parler des vers. Il semble que la poésie, qui n’a plus à paraphraser l’été, à lutter contre les grands effets de soleil et les grandes extases de la vie, se retourne vers l’homme, se penche avec plus de caresses sur lui et lui murmure plus doucement les choses apprises dans les souffles du printemps, dans les arômes de l’été.

(…)

M. Maurice Rollinat sera sans doute de mon avis. Il aime l’été ; mais il a une affinité sensible pour la saison violette et, dans ses vers, on trouve moins de tableaux d’une lumière crue, comme cette belle idylle naturelle de la Vache au taureau, que des sépias rembrunies et pleines de frissons.

Le poète des Névroses profite du succès de ce volume pour réimprimer sa première œuvre, moins bien accueillie, ou plutôt distraitement reçue. Il a raison d’en appeler au public mieux informé, et si le nombre des pièces très remarquables n’est pas aussi grand dans les Brandes que dans les Névroses, il semble que les pièces réussies dans le livre de début ont un charme plus tendre, plus universel, avec un effort moins sensible pour violer l’attention.

La Mare aux grenouilles est d’une facture excellente, et je connais peu de petits tableaux qui entraînent aussi loin l’imagination que ces trois strophes intitulées le Convoi funèbre :

Le mort s’en va dans le brouillard
Avec sa limousine en planches,
Pour chevaux noirs, deux vaches blanches,
Un charriot pour corbillard.

Hélas ! c’était un beau gaillard,
Aux yeux bleus comme les pervenches !
Le mort s’en va dans le brouillard
Avec sa limousine en planches.

Pas de cortège babillard.
Chacun, en blouse des dimanches,
Suit, morne et muet, sous les branches.
Et, pleuré par un grand vieillard,
Le mort s’en va dans le brouillard.

Je ne crois pas m’abuser en affirmant que ce petit croquis, à l’encre très noire, plaira aux amateurs de la poésie simple, qui donne l’émotion par le trait, plus que par l’épithète.

En somme, on dirait que ce volume de poésie est à sa place, en réapparaissant après les Névroses ; car s’il ne constate pas une supériorité dans la facture, il semble inspiré par un sentiment plus adouci, plus maître de lui, plus près de cette émotion universelle qui fait exhaler le soupir du lecteur dans le sanglot du poète.

M. Maurice Rollinat, après avoir forcé l’attention, tend à la justifier. Nous l’attendons à une œuvre qui, sûre d’être écoutée, n’ait plus besoin de hausser la voix et d’exagérer son geste.

(...)

LOUIS ULBACH.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – L’auteur connaissait Maurice Rollinat, il l’avait invité dans son salon. En effet, dans l’article « Bavardage » signé « Un Parisien », paru dans Le Radical du 29 octobre 1903, page 1, nous pouvons lire : « Je l’avais entendu, dans le salon de mon vieil ami Louis Ulbach, à l’Arsenal : il disait ses vers, (…). »

– 2 – Louis Ulbach fait allusion au livre Les Névroses. Il avait présenté celui-ci dans sa rubrique « Les livres » parue dans Le Rappel du 11 mars 1883, page 3.

– 3 – Dans le poème « Le Convoi funèbre », il y a quelques différences de ponctuation entre le texte publié ici et celui du livre.