Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Progrès libéral (Toulouse)
Vendredi 8 décembre 1882
Page 1.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
CORRESPONDANCES
LETTRE PARISIENNE
Paris, 6 décembre.
(…)
J’ai vu récemment le poète Rollinat, qui est ici l’homme du jour. Il est un peu surpris et ennuyé de tout le tapage que fait autour de son nom un groupe d’amis malavisés et de reporters fantaisistes. Il est même secrètement un peu vexé de s’entendre appeler chaque jour dans la presse : « le nouveau Boudelaire » ou « le poète macabre. » Peut-être se rappelle- t-il que le charmant et original Louis Bouilhet n’arriva jamais à la célébrité qui lui était due, parce que son joli conte romain de Mœlenis commençait à peu près comme Rolla, et que la foule, quoi qu’il fît par la suite, vit toujours en lui l’imitateur de Musset. Au reste, si M. Rollinat semble dans quelques passages de son livre nouveau, qui ne sera publié que vers le milieu de janvier, s’être inspiré des Fleurs du Mal (notamment dans les pièces réunies sous le titre de Luxures), le livre de Baudelaire n’est pas son livre de chevet, et les écrivains qui ont exercé l’influence la plus marquée sur son talent et fait sur son âme l’impression la plus forte, sont Pascal et George Sand. En dépit des racontars qui courent de ci de là, M. Rollinat n’est nullement un halluciné, et il ne croit à l’existence du diable qu’autant qu’il faut ; mais il a beaucoup souffert, et moralement et physiquement ; il a vu mourir la plupart des siens, et depuis lors il est hanté par l’idée de la mort à laquelle sont condamnés tous les hommes, et il est épouvanté, angoissé en présence du mystère impénétrable de notre destinée et « du silence éternel des espaces infinis. »
Il ne peut ni rire ni oublier dans ce cachot où gisent, attendant l’heure suprême où peut-être ils ne seront plus rien, les hommes d’aujourd’hui, et que nous montre Pascal dans quelques-unes des lignes les plus sombres et les plus saisissantes des Pensées. Mais, à cet effroi de l’inconnu, à ce frisson devant l’avenir, que Baudelaire connut aussi, Rollinat joint le sentiment profond, l’amour presque sauvage de la nature, des vastes champs, des horizons immenses, des grands bois mystérieux où tout vit d’une vie étrange et monstrueuse, et non plus que Victor Hugo, il ne s’y égare jamais
Sans voir tressaillir l’herbe, et, par le vent
bercées,
Pendre à tous les rameaux de confuses
pensées !
Il célèbre aussi les scènes vulgaires de la campagne avec une audace de touche et une émotion qui sanctifie ce qu’elles peuvent offrir de naïve indécence. Quand vous aurez sous les yeux la pièce intitulée : la Vache au Taureau, vous comprendrez à merveille ce que je veux dire, et la pièce du Val des Marguerites vous montrera que le poète n’est pas simplement un réaliste vigoureux, et qu’il sait rêver délicieusement dans un coin perdu de la montagne, lorsque la nuit tombe peu à peu sur les gazons verdoyants et les fleurs épanouies et noie d’ombre les rochers d’où sort le clair cliquetis d’une source. Je vous ai dit tout à l’heure que M. Rollinat ne s’égayait pas volontiers. Il l’a fait pourtant dans une idylle parisienne, la Belle fromagère, qui étonnera plus d’un parmi ceux qui ont « lancé » naguère « le poète macabre. »
Marcel Fouquier.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Attention : il ne faut pas confondre Marcel Fouquier, journaliste et ami de Maurice Rollinat, avec Marcel Fouquier (1866-1961) fils d’Henry Fouquier.
– 2 – À la place de « le nouveau Boudelaire », il faut bien évidemment lire « le nouveau Baudelaire ».
– 3 – Marcel Fouquier écrit : « il a vu mourir la plupart des siens, et depuis lors il est hanté par l’idée de la mort à laquelle sont condamnés tous les hommes ». Maurice Rollinat a effectivement été très marqué dès sa jeunesse par la mort, tout d’abord de son cousin André Bridoux (né le 13 août 1847 à Châteauroux et décédé le 5 mars 1866 à Châteauroux) dont les parents habitaient la maison voisine de celle des parents de Maurice, rue des Notaires à Châteauroux. Il lui a d’ailleurs consacré un long poème de quatorze strophes de six vers Élégie sur la mort d’André, daté d’avril 1866. Puis son père, François Rollinat, décède le 13 août 1867, ce fut un grand choc pour Maurice qui adorait son père. Enfin, son frère Émile meurt le 27 juin 1876, vraisemblablement par suicide.
– 4 – Les vers de Victor Hugo « Sans voir tressaillir l’herbe, et, par le vent bercées, / Pendre à tous les rameaux de confuses pensées ! » sont extraits du poème « A Albert Dürer » (Les voies intérieures, 1858, page 62).
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