Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
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Le Nouveau Journal
Samedi 5 septembre 1896
Page 1.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
Maurice Rollinat
Quand les regrets et les alarmes
Battent mon sein comme des flots
La musique traduit mes larmes
Et répercute mes sanglots !
M. R. (Les Névroses).
Tout le monde connaît le poète, ou, du moins. il n’en est guère qui, sans s’occuper spécialement de littérature, mais se tenant si peu que ce soit au courant des productions contemporaines, n’aient lu les Névroses, ces vers d’une si poignante acuité, et Dans les Brandes, et l’Abîme, et la Nature, et ces si sincères Apparitions dont le titre, arrêté au début de l’ouvrage, se trouve être d’une si extraordinaire actualité, par ces temps de Voyantes, d’Envoûtées et autres… hallucinées ou privilégiées, comme vous voudrez. (Je tiens à ne froisser personne, pas plus les rédacteurs de l’Intransigeant, que ceux de la Libre Parole, dont Gaston Méry en particulier).
Par contre, combien peu connaissent le musicien, et, cependant, le bagage musical de Maurice Rollinat est presque aussi considérable que son bagage littéraire. Il a, du reste, été décoré comme poète et musicien.
Il est donc triste de constater qu’à part quelques-uns, personne ne connaît ces exquises choses : la Chanson de la perdrix grise, la Mort des Fougères, le Champ de Colzas, la Pipe du poète ; ces pages si atrocement troublantes, vous poignant le cœur à vous le briser : les Yeux morts, la Maladie, l’Idiot, l’Aboiement des chiens, et surtout cette épouvantable Folie, dont l’audition vous apeure au point de vous en faire dresser les cheveux.
C’est surtout dits par Rollinat que ces morceaux conservent toute leur saveur. Comme les minutes, les heures, la journée ou la nuit même, passent avec une fantastique rapidité quand résonne cette voix ensorceleuse et captivante, chantant cette musique étrange, tantôt récitative, douce comme un bruissement d’ailes ou un frôlement de brise, tantôt hurlante ou désespérée, comme emportée dans un tourbillon de folie, au milieu d’un pandémonium de damnés !
Eh ! bien ! moi, l’ami et l’admirateur de l’incomparable artiste trop éloigné de Paris pour s’occuper utilement de lancer ses œuvres, je veux faire mon possible pour les propager.
Je sais bien que j’aurai des difficultés. Le public de concert, m’objectera-t-on, tout d’abord, goûtera-t-il ces productions un peu bien artistiques pour lui, peut-être ? C’est là l’écueil, je le sais. Et, pourtant, notre grande Yvette, il y a deux ans, eut un assez joli succès avec l’Idiot. « Elle ne le comprenait pas comme moi, me disait Rollinat, et malgré cela, en l’interprétant avec son si artistique tempérament, elle m’a quand même empoigné ! »
Kam-Hill a chanté les Corbeaux.
J. Mévisto, la Fromagère et quelques autres dont je n’ai pas les noms présents à la mémoire.
Mais il fallait la foi artistique et le talent de ces interprètes pour aborder la rampe avec ces numéros-là !
Et, pourtant, ainsi que je le disais plus haut, combien elle est empoignante, cette musique, comme elle vous fouette les nerfs et, malgré vous, vous impressionne à un si haut degré !
– Quand j’habitais Paris, me contait le maître, j’ai souvent, chez moi, vu venir en habit, avant de partir pour une nouvelle noce, quelques-uns de ces infatigables soireux, me supplier :
– Voyons, Rollinat, dites-nous encore les Yeux morts, parlez-nous de l’Aboiement des chiens dans la nuit, chantez-nous la Folie !…
Et, une fois leurs demandes exaucées, ces inlassés fêtards partaient satisfaits, remués par cette musique qui calmait leur neurasthénie invétérée en secouant leurs névroses !
Si, toutefois, la musique de Rollinat ne peut être chantée toute au concert, trop artistique et trop en dehors du déjà fait pour le public qui y fréquente, il est cependant, certaines œuvres qui plairaient à ce public, j’en suis intimement persuadé.
Entre autres, j’en sais deux bien jolies dites, jadis, dans les salons par Boudouresque, et avec lesquelles un artiste se taillerait deux succès de première grandeur : la Chanson d’automne et le Bûcheron, cette dernière de Pierre Dupont pour les paroles ; là, pas de difficultés musicales. Dans la première ce n’est pas le poète que d’aucuns traitent d’halluciné – et pourtant et par-dessus tout si sincère – Ecoutez-en le refrain, on dirait du Musset dans une de ses plus exquises pages d’amour :
Viens cueillir encore un beau jour,
En dépit du temps qui nous brise,
Et mêlons nos adieux d’amour
Aux derniers parfums de la Brise !
Depuis longtemps cette romance est faite et personne ne l’a encore dite au concert.
En causant dernièrement avec Steinlen, le merveilleux dessinateur me disait : « Il y a bien quinze ans que j’ai entendu pour la première fois, chez Krysinska, je crois, la Chanson d’automne, interprétée par Rollinat lui-même, et, comme vous, je suis persuadé que le public des concerts y ferait le meilleur accueil ».
Eh ! bien ! camarades ! voyons, un bon mouvement. On vous accuse, au concert, de chanter souvent des inepties ; montrez un peu que, lorsque vous le voulez, vous savez dire autre chose.
PIERRE-A. FRANÇOIS.
N.-B. – Je tiens gratuitement, à la disposition des artistes qui les désireraient, des formats piano de la Chanson d’automne et du Bûcheron.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Pierre-A. François est né le 24 janvier 1868 à La Celle Dunoise (Creuse). Sur son acte de mariage le 14 décembre 1895, il se déclare « sténographe ». Il est journaliste au Nouveau Journal et à partir de début 1895, secrétaire général du théâtre-concert de Ba-Ta-Clan. Également poète, il a fait paraître en 1893, Les Souffrances, livre dédié à Maurice Rollinat.
– 2 – L’auteur, à la fin du premier paragraphe évoque M. Gaston Méry. Celui-ci publiait chez E. Dentu, des fascicules sur le thème de la voyante. Les trois premiers : La voyante de la rue de Paradis et les apparitions de Tilly-sur-Seulles ; La voyante et les maisons hantées et La voyante et ses détracteurs : nouveaux prodiges dans le Calvados, étaient déjà parus à la date du présent article (une publicité pour ceux-ci figure dans l’édition du 13 juin 1896) et on pouvait lire dans La Libre Parole du 2 mai 1896, page 2 : « Le succès de la brochure de notre ami Gaston Méry, La voyante de la rue de Paradis, va toujours grandissant. Le premier fascicule atteint aujourd’hui la cinquante-cinquième édition. Quant au deuxième fascicule, il en est au trente-deuxième mille. ».
– 3 – Lors de la soirée consacrée aux œuvres de Maurice Rollinat, organisée par Armand Dayot le dimanche 14 février 1892 au Théâtre d’Application, Yvette Guilbert avait interprété « L’Idiot » et « Le Convoi funèbre ». Elle avait ensuite ajouté ces deux chansons à son répertoire. Maurice Rollinat qui était venu à Paris pour la sortie de son livre La Nature, deux jours avant cette soirée pour voir ses interprètes, n’assista pas à la séance elle-même, mais il a entendu la chanteuse.
– 4 – Kam-Hill interprétait « Les Corbeaux » lors des soirées littéraires et artistiques à l’Eldorado, en mars 1892.
– 5 – J. Mévisto a chanté des poèmes de Maurice Rollinat au Carillon en mars 1895.