Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Monde illustré
9 juillet 1898
Page 22 (deuxième du numéro).
(Voir le texte d’origine sur Gallica)
COURRIER DE PARIS
Nous avons eu depuis quelque temps et surtout en cette fin de juin, qui s’en est allé emportant tous nos regrets et par conséquent n’en laissant à personne, toute une série de réapparitions qu’on pourrait presque qualifier de résurrections.
Chez nos voisins d’Italie, ce fut la Ristori qui remonta sur la scène, alors que personne ne s’attendait plus à la revoir. Ici, c’est un poète-musicien dont la personnalité fit grand bruit un moment et qui soudain, pour une bonne action, est sorti de l’oubli provincial dans lequel il paraît se complaire. Vous avez nommé M. Maurice Rollinat.
La Ristori ! Dans quelle brume se perdent déjà les rayonnements de sa gloire peut-être un peu surfaite jadis, mais en grande partie méritée ! Je relisais tout à l’heure quelques-uns des articles qui saluèrent sa première arrivée à Paris.
C’était à l’époque où le Théâtre-Italien, devenu aujourd’hui une succursale de la Banque de France, était le rendez-vous préféré de la très noble compagnie. Vous pensez quelle émotion se propagea dans ce monde, quand on annonça qu’une marquise authentique, Mme del Grillo, allait paraître sur les planches d’une scène française. Elle arrivait précédée par ce renom toujours un peu tapageur que les Italiens se plaisent à faire à leurs notabilités. Et certes elle avait de quoi justifier l’emballement que provoquèrent ses débuts chez nous.
Cet engouement parvint à son comble quand la Ristori interpréta Médée, œuvre d’un de nos compatriotes. Ce compatriote, c’était M. Legouvé, qui, je crois, est aujourd’hui le doyen de la littérature.
Combien les chiffres, en pareil cas, ont une éloquence mélancolique !
Combien mélancolique aussi, le spectacle de la triomphatrice d’autrefois, courbée par l’âge, mais ayant le courage d’affronter, pour s’associer à une bonne œuvre, la comparaison du passé radieux avec le présent inexorable !
Le cœur, en pareil cas, doit être serré par une terrible émotion qui ne rend que plus méritant le dévouement de celle qui l’affronte.
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Quant à M. Maurice Rollinat, c’est une bonne œuvre aussi qui, comme je l’ai dit, l’a ramené pour un jour parmi nous.
Si je reviens sur la représentation par lui organisée au bénéfice d’une infortune vraiment attendrissante, c’est que le cas de M. Maurice Rollinat fournit une très curieuse antithèse démontrant combien, en quelques années, l’orientation d’un cerveau humain peut changer.
Jadis, quand on lut pour la première fois son nom dans un journal, il semblait s’être fait une spécialité du macabre et du bizarre, et l’on en pouvait conclure qu’il cherchait surtout à étonner.
Je ne répondrais même pas encore aujourd’hui que tel ne fut pas son souci d’alors et qu’il ne comptait pas un peu sur la badauderie qui s’attroupe autour des excentriques pour conquérir une plus rapide notoriété.
Combien autre est le Rollinat d’aujourd’hui !
Il ne suit même pas le vieux précepte : Cache ta vie et montre tes œuvres. Il cache ses œuvres aussi bien que sa vie. Il s’est empaysanné là-bas, là-bas, sur les bords abruptes de la Creuse. Grand pêcheur devant l’Eternel, il s’en va, chaussé de sabots, parfois même vêtu d’une blouse, errer solitaire et ne disant qu’à lui-même les vers ou les mélodies que le hasard de ses songeries fait naître.
Combien peu il s’en soucie, du Paris qu’il mit en émoi par ses audaces funèbres ! Tout cela n’est plus qu’un souvenir.
Et voilà qu’il est retourné, après un soir sans lendemain, aux moutons bêlants, aux bergers presque sauvages, aux grands chiens qui hurlent dans le silence des nuits.
Nul ne pourrait douter de la sincérité de ses nouveaux goûts, nul n’a le droit de les critiquer. Chacun ne prend-il pas son plaisir où il le trouve ?
Pourtant, j’ai comme une vague idée que plus d’une fois il songera aux longs bravos qu’il a récoltés l’autre soir et que la solitude silencieuse lui paraîtra parfois moins riante.
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(…)
Pierre Véron.
Remarque de Régis Crosnier : La représentation à laquelle Pierre Véron fait allusion dans cette chronique, est la soirée du mardi 28 juin 1898, à l’Athénée-Comique, consacrée aux œuvres de Maurice Rollinat après une conférence de Maurice Lefèvre, et donnée au bénéfice de M. Théophile Leczinski.
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