Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Journal
27 juin 1898
Pages 1 et 2.
(Voir le texte d’origine sur Gallica)
(page 1)
MAURICE ROLLINAT
Par Gustave Geffroy
Mardi prochain, 28 juin, au théâtre de l’Athénée-Comique, une soirée de poésie et de musique sera donnée au bénéfice d’un blessé de 1870, M. Emile-Théophile Leczinski, tombé dans la plus profonde misère. Il y a toujours un public pour ces bonnes œuvres, mais encore faut-il reconnaître son empressement et sa générosité en lui offrant un plaisir et une émotion en échange de son bienfait. L’attrait de la soirée du 28 sera de qualité rare, deux organisateurs de cette représentation, MM. Joseph Montet et Armand Dayot, ayant eu l’idée de demander à leur ami Maurice Rollinat l’autorisation de composer le programme avec ses œuvres de poète et de musicien. Rollinat s’est empressé de donner cette autorisation, et voilà comment, pour la première fois, ces œuvres d’un caractère si beau et si singulier vont se trouver mises en contact avec un public nombreux, différent du public des salons parisiens de 1882, qui put entendre l’auteur lui-même, et même du public encore restreint de la Bodinière, lors de la représentation qui eut lieu il y a environ cinq ans.
Cette fois, tous ceux qui ont la curiosité de l’art de Rollinat pourront entendre les fulgurantes, graves ou plaintives mélodies, interprétées par des chanteurs et des chanteuses de l’Opéra et de l’Opéra-Comique : MM. Bouvet, Clément, Isnardon, Fournets, Mmes Carrère, Chevallier, Georgette Leblanc, Montégut-Montibert, Tarquini d’Or, Charlotte Wyns ; par le violon de Mlle Wormès, par le piano de M. César Geloso. M. de Max et Mlle Lara interprèteront des vers. Quatre artistes du ballet de l’Opéra danseront le menuet des Pêchers roses, réglé par M. de Soria. Et tout ce spectacle sera précédé d’une causerie de M. Maurice Lefèvre.
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Je suis de ceux qui aiment la personne et l’œuvre de Rollinat. Je me réjouis donc de voir ce solitaire éclairé de nouveau par un rayon de cette gloire parisienne qu’il connut il y a quinze ans. Il n’a pas été oublié. Celui qui l’a rencontré une fois, qui l’a entendu parler, dire des vers, chanter, se souvient de son langage bon enfant, pittoresque, imagé, (page 2) de son éloquence traversée de gaieté, de son don d’acteur ; de sa voix tragique et douce. Celui qui a lu ses livres sans souci des opinions toutes faites sait quels trésors de vérité, d’observation, de sensibilité, de pensée, ils recèlent. J’estime que ces fidélités doivent suffire au poète qui s’exprime tout entier, à l’artiste qui donne tous son effort. Il se crée une correspondance mystérieuse entre lui et des lecteurs qui lui ressemblent, des inconnus qui l’ont choisi comme porte-parole. Les choses sont très bien ainsi.
Ce que je tiens à dire, pour ma part, c’est que Maurice Rollinat ne trompe en rien cette sympathie d’esprit venue à lui par son œuvre. C’est bien à tort qu’il fut représenté, au moment des Névroses, comme un coureur de popularité. J’avoue avoir eu, comme d’autres, cette impression avant de lire le livre et de connaître l’auteur, et certains boniments expliquaient cet agacement et cette défaveur. Combien nous nous trompions ! Rollinat, accusé de s’exhiber, n’était en rien le cabotin de sa gloire. En déclamant, en chantant, en installant sa mimique passionnée partout où on le poussait vers le piano, il s’agissait selon la vérité de sa nature, il manifestait son don d’acteur à l’égal de son don d’écrivain, et c’est le magnifique article de Barbey d’Aurevilly qui annonça justement sa jeune renommée, bien avant la réclame boulevardière.
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Il exerça véritablement alors une immense séduction sur tous ceux qui le virent et l’entendirent : lettrés, musiciens, hommes politiques, savants philosophes, et sur ces hommes et ces femmes qui composent le singulier public à la fois sincère et snob, original et suiveur, cérébral et instinctif, d’un salon de Paris. On écouta les douleurs, les tristesses, qu’exprimait cette musique si belle ; on entendit les cris désespérés de l’homme devant le néant, les chants apaisés au spectacle de la nature immuable et indifférente.
Puis, comme il arrive d’habitude, certains voulurent se reprendre, raillèrent leur émotion, et le poète, qui se communiquait à tous naïvement et librement, s’aperçut qu’il devenait une sorte de « numéro » des soirées artistiques, et que l’on pouvait supposer qu’il jouait une manière de comédie de son art. Rollinat prit alors congé, retourna aux rivières, aux champs, aux ciels de son pays.
Là, il est l’homme simple et l’ami accueillant dont les intentions ne peuvent être falsifiées. Il mène la vie paisible du paysan et du pêcheur, il erre par les chemins creux, suivi de son chien Pistolet, et il apparaît au passant qui l’ignore comme un preneur de barbillons et de truites. Pourtant, il songe encore à d’autres sujets en regardant l’eau, la nuée et le feuillage. Il n’a pas renoncé à l’art, et le voici bientôt qui laisse là sa ligne, et qui reste, assis sur son pliant, à écrire, sur le carnet qu’il a toujours en poche, les strophes et les phrases musicales qui s’éveillent en sa songerie toujours active et inquiète.
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Ce libre travail, dans ce grand silence de la nature où l’on entend si bien les voix et les chuchotements des choses, nous a valu ces livres d’une si forte et si profonde rusticité : la Nature, les Apparitions, dont toutes les pages sont véritablement rafraîchies par les souffles de l’espace, imprégnées par les aromes de la terre, des prés, des bois, murmurantes de la coulée de l’eau. Que les animaux, que les êtres humains apparaissent, leur vie est contée avec la même grâce et la même violence de réalité que la vie des pierres, de l’herbe, des éléments. Que la volonté du poète supprime ce décor de nature, qu’il ne veuille plus voir qu’en lui-même pour connaître les mobiles secrets des actions des hommes, il écrira l’Abîme, qui est un des plus beaux, des plus profonds et des plus noirs poèmes écrits sur les sentiments, les passions, les vertus, les vices, les instincts, les hypocrisies de l’humanité.
Par là, Rollinat s’est haussé au rang des poètes de la haute spiritualité. Car il n’est pas seulement le curieux d’étrangeté, le funèbre, le macabre que l’on a voulu voir en lui, qu’il a été, en effet, parfois avec préciosité et exagération. Il n’est pas seulement en affinité avec Baudelaire et Edgar Poë, qu’il a choisis pour maîtres : il a d’autres maîtres familiers, qui sont La Fontaine et Pascal. Il a la sagacité de l’observation savante et la grande inquiétude du destin de l’homme. Ecoutez, mardi soir, sa musique, et dans ces chants, adaptés si étroitement à ces vers et aux vers de Baudelaire, vous entendrez une belle voix humaine qui interroge et se lamente, qui se désespère et qui se résigne.
Gustave Geffroy.
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