Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Gaulois
Lundi 6 novembre 1882
Page 1.
(Voir le texte d’origine sur Gallica)
Bloc-Notes Parisien
Une Célébrité de demain
On l’appelle Maurice Rollinat.
Ce nom, presque inconnu, mériterait d’être célèbre depuis bien longtemps. Le poète-musicien qui le porte a eu la mauvaise chance d’être édité par un éditeur fort endormi, du nom d’Hartmann, chez lequel il a laissé s’engouffrer ses valses et six mélodies de Baudelaire, d’un art infini, absolument étrange et saisissant.
Beaucoup de Parisiens, des plus raffinés, l’avaient déjà applaudi, soit chez Victor Hugo, soit chez Théodore de Banville, soit chez son ami Charles Buet, où il se retrouve, le mercredi, avec Barbey-d’Aurevilly, François Coppée, Ernest Hello.
Maurice Rollinat est Berrichon, tout ainsi que George Sand, qui fut la grande amie de son père, et qui lui prédit, à lui, sa vie tourmentée, indiciblement mélancolique, toute pleine de regrets et de souvenirs.
C’est une légende du quartier Latin, propagée par certain roman à sensation de M. Félicien Champsaur, qui a montré Rollinat comme un bohème, le bohème macabre de la lassitude et de la mort. Bohème ! Il ne l’est non plus que le premier bourgeois venu. Il vit, paisible et laborieux, dans son modeste logis du quartier des Invalides, loin des bruits, des tapages et de la réclame. Il possède la médiocrité dorée qu’enviait le poète latin : il vit de peu, et content, avec son chat Tigroteau et son chien. Son intérieur est celui d’un homme de famille : il est entouré de souvenirs, et, près du portrait de George Sand, on voit chez lui celui de son père Rollinat, représentant du peuple en 1848.
Maurice Rollinat, que parfois l’on a comparé à Edgar Poe, à Baudelaire, à Hoffmann et à Chopin, n’est ni l’un ni l’autre de ces poètes et de ces musiciens, avec lesquels il n’a que de lointaines affinités. Il est lui, et c’est assez.
D’une puissante originalité, d’un esprit profondément imbu des plus hautes pensées, il chante les désenchantements de la vie, les horreurs de la mort, la paix du sépulcre, les espérances futures, les déchirements du remords. La musique avec laquelle il interprète la Mort des pauvres, la Cloche fêlée, le Flambeau vivant, l’Idéal de ce grand Baudelaire que je vis mourir, n’appartient assurément à aucune école « conservatoresque », dit-il lui-même en son langage singulièrement imagé.
C’est le cri de l’âme, c’est l’envolée de la conscience, c’est une mélodie extra-humaine, toute de sensation, de raffinement, qui parle aux cœurs ensevelis dans le scepticisme égoïste du siècle, et qui fait, sous sa voix aiguë, jaillir la douleur. Comme poète, il est moins étrange peut-être, mais non moins puissant. Il a publié le premier recueil de tout nourrisson des muses : Dans les brandes. Mais il a chez Charpentier, un beau volume sous presse, les Névroses, qui devrait être dédié à monseigneur Satan.
Il a traduit le Corbeau, le Palais hanté, le Ver conquérant, et qui ne lui a pas entendu dire ces trois poèmes ne sait rien du pouvoir de la parole.
Maurice Rollinat est condamné, paraît-il, à être son propre rapsode. Il dit avec un art qui s’ignore, tout naturellement, des choses surnaturelles. Il a le geste en spirale des diaboliques ; il a le regard fulgurant des hantés. Nul mieux que lui ne comprend la nature ; nul ne la décrit d’un pinceau plus net, plus rapide. Il a le mot juste, l’épithète picturale et je crois, ma foi ! que, pour expliquer ce diable d’homme, – qui est peut-être l’homme du diable, – il faudrait lui emprunter son langage pittoresquement fantastique, bourré d’images inouïes, et qui est, à proprement dire, la langue des sensitifs.
Sensitifs, ils étaient ses auditeurs d’hier soir ! C’était chez Sarah Bernhardt, si fraîchement jeune, dans une admirable robe bleu, pâle et rose, lamée d’argent ; je me garderai bien de décrire l’atelier tant de fois décrit de la grande artiste où se pressaient Albert Wolff, le peintre Alfred Stevens, Hector Crémieux, l’auteur d’Orphée aux Enfers, Julien Turgan, M. et Mme Jean Richepin, M. et Mme Charles Buet, Catulle Mendès, Mlle Louise Abbéma, Mlle Arnaud, l’auteur de Jane Grey, ce chef-d’œuvre qu’on applaudira l’an prochain au Théâtre-Moderne ; M. Peyronnet et sa charmante femme, en toilette blanche ; M. Cheramy ; enfin l’inévitable Coquelin cadet, escorté de plusieurs monologues.
Poètes, dramaturges, peintres, journalistes, tous applaudissaient le Soliloque de Troppmann, dit par Rollinat, avec une verve enragée, et c’était, en vérité, un contraste délicieux, que cette poésie funèbre et grandiose, régnant en souveraine fantomatique dans ce rare salon.
TOUT-PARIS
Remarques de Régis Crosnier :
- 1 - Cet article a été fini d’écrire dans la nuit, avant la fin de la soirée de la veille chez Sarah Bernhardt le 5 novembre, pour pouvoir être publié dès le lendemain. "TOUT-PARIS" est le pseudonyme de Charles Buet qui reprendra cet article dans son livre Médaillons et camées pages 275 à 278.
- 2 - Le "roman à sensation de M. Félicien Champsaur" est Dinah Samuel paru en 1882, dans lequel Félicien Champsaur s’est inspiré de Maurice Rollinat pour décrire le poète et musicien Michel Maury ; les descriptions qui figurent pages 119 à 121 et 170 sont très négatives.
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