Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Le Feu Follet
N° 72 du 1er décembre 1884
Pages 265 à 269.
(Voir le texte d’origine sur Gallica)
(page 265)
L’ALBUM D’UN FANTAISISTE
PRÉAMBULE
A Gloomy.
MON cher ami, je suis allé, avenue de Breteuil, porter la lettre que vous m’aviez donnée pour m’introduire auprès de votre ami Charles Buet. Il n’était point rentré, mais on me pria d’attendre, et je fus introduit dans son cabinet.
Sur les tentures rouges, des armes d’Afrique, des poignards du moyen-âge, des éventails chinois, une collection de statuettes indoues ; des chasse-mouches en ivoire, des cravaches en peau d’hippopotame, des fruits de boababs, tout un assortiment de bibelots exotiques. Puis des peintures indiennes, des faïences, des médaillons sculptés, des fers forgés, une vierge russe dans un cadre de vermeil, un crucifix en émail byzantin sur du velours pourpre. Puis des portraits : Baudelaire, Daudet, Coppée, Banville ; Barbey d’Aurevilly, en pied, avec cette dédicace à l’encre rouge : « Ressemblant pour qui ne m’aime pas… mais pour qui m’aime, non ; » le maître du logis, belle gravure de Soupey ; Sarah Bernhardt, en reine d’Espagne, délicieuse aquarelle d’Adrien Marie, avec dédicace du peintre et dédicace du modèle : A mon ami Charles Buet sa plus reconnaissante, Sarah Bernhardt ; d’autres portraits, des amis, les parents, la femme et les trois jolis enfants du romancier.
Sur une étagère, partout, des barbotines, des (page 266) émaux, des vases cloisonnés, des potiches, des candélabres en fer forgé, des coffrets incrustés de nacre ; une belle armoire en laque de Chine, offerte le jour de la première du Prêtre ; des bibliothèques en bois noir débordant de livres aux reliures étranges. Aux fenêtres, des draperies en étoffe d’Orient. Sur le bureau un énorme encrier en bronze, œuvre originale de Sarah Bernhardt qui s’y est représentée en chauve-souris. Sur la cheminée, en face, le buste de l’Innocence. Bizarre rapprochement ! Des guéridons, chargés de brochures : tout un attirail de travailleur acharné.
Sur une table ronde, couverte d’un splendide tapis de Perse, un gros cahier relié, portant ce titre singulier : « C’est icy le livre où il n’y a presque pas de mensonges. » J’ouvre le livre. Des autographes, des vers, des pensées, des dessins, tout un monde d’écritures curieuses. J’avise un cahier de papier jaune, un porte-plume à tête de nègre, et me voilà à copier, çà et là, quelques pages dans ce curieux album.
Charles Buet entre. J’explique ma présence, mon indiscrétion. Je donne votre lettre.
– Est-ce pour vous ce que vous copiez là ?
– Ce sera pour Feu Follet, si vous le permettez.
Un bon sourire.
– Je le permets.
Et voilà pourquoi je vous envoie ces quelques pages.
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* *
Sous un portrait de Barbey d’Aurevilly à dix-huit ans, ce quatrain de l’illustre écrivain qui ne sera jamais de l’Académie française :
Ce portrait n’est pas un chef-d’œuvre.
Mais cependant, ne croyez pas qu’il ment.
C’était bien là mes yeux innocents de couleuvre,
Avant que je fusse un serpent.
(page 267)
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Quand nous en sommes à mépriser tout le monde, il ne nous reste plus qu’à nous mépriser nous-mêmes. Il serait pourtant beaucoup plus logique de commencer par là.
Baron de Frohesbert.
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Un quatrain de Jules Vallès dédié à la statue de Napoléon Ier sur la place Vendôme :
Tyran, juché sur cette échasse,
Si le sang que tu fis verser
Pouvait tenir sur cette place,
Tu le boirais sans te baisser.
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Di chi mi fido, mi guarda Iddio.
Di chi non mi fido, mi guarderò io.
(Proverbe italien).
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La gloire, les sots… Le talent, c’est moi.
Jules Barbey d’Aurevilly.
Je dis que ce glorieux est un modeste.
Léon Cladel.
Amitié : l’opportunisme du sentiment.
Chevalier de Crollalanza.
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* *
J’étais un fainéant tragique,
Un déguenillé pathétique,
Un imbécile d’esprit fort ;
Dans ma dégoûtante tanière
Je maudissais la terre entière ;
Dans mes bras, je serrais la mort,
L’effroyable mort des rebelles.
Et dans mon cœur, las d’espérer,
La luxure aux langueurs mortelles,
Grandissait pour me dévorer.
(page 268)
Le sublime est un trône d’ivoire au ras du sol ; pour s’y asseoir, le génie a trois mille marches à descendre, le talent, soixante mille.
Léon Bloy.
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* *
Comment voulez-vous avoir des ennemis, vous qui n’avez jamais rendu de service à personne ?
Anonyme.
Si coupables que nous puissions être, nous n’avons jamais mérité ce qu’une passion vraie nous cause de douleurs.
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Il faut bien que les bons, les innocents et les justes payent pour les pécheurs en cette vie, car, s’ils ne payaient pas, qui donc, le jour des comptes, acquitterait la rançon des coupables devant le Seigneur ?
Jules Barbey d’Aurevilly.
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Quand vous ne parlez pas à Dieu, c’est au Dyable que vous parlez… et il vous écoute dans un formidable silence !
Un trappiste raté,
Léon
Bloy.
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Bloy, raffale du cri ! Tourbillon de cyclones
Qui souffle sa colère à des lyres de feu,
Et va, répercutant au fond des Babylones
L’anathème sorti de la bouche de Dieu !
Maurice Rollinat.
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Rollinat !… le seul poète qui m’ait bien compris.
L. B.
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Un bruit court dans la capitale,
Je ne sais s’il est controuvé– :
On dit que Ferry s’est lavé…
– Grand Dieu ! que l’eau doit être sale !…
Anonyme. (A l’encre jaune.)
(page 269)
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Je n’aime plus l’argent depuis que je me suis aperçu qu’il ne sert qu’à payer.
Anonyme.
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L’amour a été donné à l’homme pour qu’il ait la mesure de ce qu’il peut souffrir.
Anonyme.
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Les enfants ne commencent à parler que très tard, parce que le bon Dieu veut qu’ils aient oublié d’où ils viennent.
Anonyme.
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Ce qu’il y a de meilleur dans la vie de l’homme, c’est le passé.
Anonyme.
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Dites, cher ami ? Ai-je eu tort d’être curieux ? Ai-je eu tort d’être indiscret ? Ai-je eu tort de bien regarder ? – Non, n’est-ce pas ? Et ces notes, griffonnées au retour d’une soirée qui me laissera plus d’un souvenir, ne sont-elles pas une amusante chronique pour notre chère revue ?
SALTABADIL.
Remarque de Régis Crosnier : SALTABADIL est un personnage de Le Roi s’amuse de Victor Hugo.
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