Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Conseiller du bibliophile

1er juin 1877

Pages 91 et 92.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

(page 91)

 

PETITE LORGNETTE POÉTIQUE

 

Dans les Brandes, par Maurice Rollinat, I vol. in-i8, chez Sandoz et Fischbacher.

Voici venir un jeune poëte à l’allure dantesque, aux conceptions mâles, aux intenses vigueurs.

Sans appartenir à aucune autre école que celle qu’il se crée, M. Maurice Rollinat, outre un talent des plus colorés, possède l’heureux don d’une originalité marquée au sceau de la personnalité la plus saisissante.

Parcourt-on ses vers, on ne peut se défendre de songer à Baudelaire et à Edgard Poë dont on sent les hantises créatrices : les approfondit-on, au contraire, on découvre que le poëte est bien lui et que sa manière a pris naissance dans ces fantômes d’inquiétude et de torpeur qui forment l’air ambiant de tout artiste qui éprouve vivement. Le ciselé des vers, le fini de leur élégance, rattachent le genre de M. Rollinat au Parnasse contemporain : mais, moins efféminé que ses confrères, il s’en éloigne par la ferme exubérance de visions plus profondes.

M. Rollinat ne drape pas à plis corrects les péplums de lin des divinités plus ou moins mythologiques, il ne chiffonne pas la tunique aux Muses banales : il s’adresse à la verte nature, et, s’il avait à choisir ses Muses, il invoquerait les sombres Euménides ou les Parques édentées : Tisiphone (page 92) et Mégère deviendraient belles sous ses caresses, et, courtisées par lui, Clotho, Lachésis et Atropos disposeraient du fil des humains pour en former sa lyre.

Le premier volume de poésies que M. Rollinat vient de publier chez Sandoz n’est qu’un frais avant-coureur d’œuvres plus énergiques. Il a lâché hors de leur cage quelques oiseaux amoureusement couvés...., mais comme les fripons ont gaillardement pris leur volée dans les Brandes !

Ce volume est rempli de choses exquises dans leur apparente brutalité. – Théodore Rousseau rêverait devant la Mare aux grenouilles, si largement peinte ; et, dans ces Rondels qui ont pour titre le Petit coq, le Convoi funèbre, le Chien enragé, les Loups, il y a des frissons à fleur de peau qui se changent en angoisses lorsqu’on arrive aux pièces magistrales de la Morte et Où vais-je ?

O lecteurs bénévoles, si la poésie pommadée des Mourants du jour vous a, comme nous-même, trop souvent affadis et énervés, lisez Dans les Brandes : vous saluerez dans M. Rollinat un poëte d’avenir, qui, sous l’impulsion vigoureuse d’un talent solide, a fièrement réagi contre l’eau de rose distillée de l’amphore Parnassienne.

Louis de Villotte.

Paris, juin 1877.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Louis de Villotte est un pseudonyme utilisé par Octave Uzanne.

– 2 – Théodore Rousseau (1812-1867) est un peintre et graveur français. Il est connu pour ses paysages et pour son observation de la nature. Il est considéré comme l’un des fondateurs de « l’École de Barbizon ». C’est un défenseur de la nature et il s’oppose à l’abattage d’arbres centenaires en forêt de Fontainebleau ; avec l’aide d’amis dont George Sand, il obtient en 1853 la création de « réserves artistiques ». Nous ne savons pas si Maurice Rollinat avait entendu parler de Théodore Rousseau par son père ou par George Sand, mais la fin de son poème « Les Arbres » (Dans les Brandes, pages 112 à 115) a des points communs avec ce combat. Quant au poème « La Mare aux grenouilles » (Dans les Brandes, pages 52 à 56), nous trouvons une finesse d’observation de la vie comme aimait le faire Théodore Rousseau avant de la traduire dans ses tableaux. Nous pouvons penser par exemple à « La Mare » (huile sur toile, 1842-1843, Musée de Reims), tableau peint dans le Berry près du hameau du Fay (commune de Parnac), où Théodore Rousseau séjourna de juin à décembre 1842 ; ou à « La Forêt de Fontainebleau : matin » (huile sur toile, 1851, Wallace collection) où nous voyons des vaches s’abreuver à un point d’eau.