Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Revue politique et littéraire – Revue des cours littéraires (3e série)

15 septembre 1883

Pages 349 et 350.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

CAUSERIE LITTÉRAIRE

(…)

(page 349)

III.

Nous avons vu, il y a quelques temps, M. Maurice Rollinat en proie à sa maladie de nerfs : considérons-le aujourd’hui détendu, reposé, respirant l’air des champs dans les paysages et parmi les paysans chantés par George Sand. Dans les brandes (1), tel est le titre de ce nouveau volume qui ne sent plus l’air enfermé des villes ni les âcres parfums du Chat noir. Cependant sommes-nous bien absolument aux champs ? Oui, à ne considérer que le cadre. Des collines molles dessinent leurs contours vagues à l’horizon ; le fleuve aux eaux claires et paisibles coule doucement dans la vallée ; les vieux châtaigniers abritent le merle qui salue l’aurore. Oui ; mais la voix de la nature est un peu comme le son des cloches. Chacun entend des notes différentes selon ses goûts et ses préoccupations : Rousseau entendait ce que Boileau n’avait jamais entendu, et Lamartine ce que n’avaient entendu ni Despréaux ni Jean-Jacques. M. Rollinat, lui aussi, a une conformation particulière d’oreille ; ou plutôt cette oreille est encore obsédée du fracas qui l’irritait et l’exaspérait dans la grande ville. Quand vous avez roulé une longue journée en chemin de fer, vous conservez, pendant plusieurs heures, dans la tête le grondement des roues et le tam-tam de la machine. C’est ce qui arrive à M. Rollinat. Il a emporté aux bords de la Creuse le souvenir des bords de la Seine ; il s’est emporté lui-même, avec ses nerfs surexcités et ses humeurs sombres et ses amertumes.

Je ne m’en plains qu’à moitié. Ses tableaux champêtres risqueraient d’être monotones si les peintres n’avaient pas leur façon propre de voir et de sentir les beautés de la nature. M. Rollinat a ce signe particulier, comme disent les permis de chasse, qu’il s’évertue à goûter le calme des champs plus qu’il ne le goûte en réalité. On sent l’effort, comme de quelqu’un qui est venu là exprès pour guérir ses nerfs et ne veut pas perdre son temps. Il semble qu’il fasse une saison de Vichy. C’est une cure au petit lait. Je suis en ce moment en Suisse, sur des hauteurs couronnées de sapins aux parfums salutaires. Cette odeur, moi, bien portant, je la respire ; à côté de moi un malade la hume, le nez dilaté, la bouche ouverte. Ainsi M. Rollinat : il ne respire pas, il hume.

De là une certaine exagération et de sentiment et d’expression, un parti pris d’enthousiasme qui me met en défiance. Une telle passion pour les champs devient suspecte. Quand on les aime à ce point-là, ne serait-ce pas qu’on ne les aime qu’à moitié ? M. Rollinat adresse des déclarations à la nature entière ; il est en extase devant l’ânon poilu qui tette sa mère ; il contemple d’un œil amoureux les yeux ronds de la grenouille ; à l’égard de la cane qui barbote, c’est du délire. Quant au coucou, il l’adore. Ne croyez pas que j’exagère :

(page 350)

Et nous adorons le coucou
Qui pleure dans les bois si tristes.

Il n’est pas jusqu’au crapaud visqueux sur le fumier qui ne le ravisse :

Lentement un crapaud se traîne,
Horrible et doux, sur le fumier.

Horrible le crapaud, oui, mais doux, Et voyez : cet amour pour les batraciens et le fumier n’est-il pas caractéristique ? Le poète qui les chante avec le même enthousiasme qu’il chante le papillon voltigeant de fleur en fleur obéit-il à un sentiment naturel et spontané ? N’y a-t-il pas là un effort fait sur ses répugnances afin de suivre, même aux champs, la consigne d’une école littéraire pour qui l’horrible est doux ? Sur les bords de la Creuse le poète n’oublie pas le Chat noir. Il a beau fuir au loin :

Le Chat noir monte en croupe et galope avec lui.

Ah ! le réalisme ! Passe encore pour le crapaud ; mais quand M. Rollinat, couché sous les saules, pense à une jeune fille de la Creuse à la chevelure d’ébène qu’il a adorée – car il n’adore pas que le coucou, – quand il revoit par l’imagination la nuit fatale où est morte la femme aimée et qu’il s’écrie avec des larmes dans la voix :

J’aimais ses cheveux noirs comme des fils de jais
Et toujours parfumés d’une exquise pommade,

j’avoue que cette pommade me porte sur le cœur. Mais cette pommade venait de Paris assurément, et voilà ce qui gagnait le cœur du poète, toujours Parisien, même aux champs, toujours Parisien, même dans ses colères contre Paris, colères d’amoureux.

Et après avoir signalé ce qui donne à ces idylles un parfum particulier, j’ajoute avec plaisir qu’il y a un certain nombre de pièces très vives d’allure, très délicatement tournées ; mais les plus jolies ont, elles aussi, sur leurs cheveux soi-disant rustiques, de la pommade de Paris.

Maxime Gaucher.

 

(1) Maurice Rollinat. Dans les brandes. – 1 vol. Paris, 1883. G. Charpentier et Cie.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Maxime Gaucher a écrit cet article alors qu’il était en séjour en Suisse. Hormis, l’allusion en première ligne, il a certainement oublié le contenu de ses deux critiques précédentes parues sur les livres de Maurice Rollinat : Dans les brandes chez Sandoz et Fischbacher (La Revue politique et littéraire du 14 juillet 1877, page 43), et Les Névroses (La Revue politique et littéraire du 10 mars 1883, pages 311 et 312). Il était alors très négatif bien que terminant à chaque fois sur une note positive.

– 2 – Pour Dans les brandes, il parle « de ce nouveau volume », alors que les différences avec l’édition de 1877 sont minimes.

– 3 – Quand l’auteur écrit « une jeune fille de la Creuse à la chevelure d’ébène », il oublie que le poème « Les cheveux » avait été publié dans Le Parnasse contemporain en 1876. À cette époque, Maurice Rollinat n’imaginait pas que sept ans plus tard il habiterait dans la Creuse.