Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Revue lyonnaise

Mars 1883, inclus dans :

Troisième année – Tome cinquième, Janvier-Juin 1883

Pages 289 et 290.

(Voir le texte d’origine sur le site de la bibliothèque municipale de Lyon.)

 

 

BIBLIOGRAPHIE

(…)

(page 289)

 

LES NÉVROSES, par Maurice Rollinat. – Charpentier éditeur, Paris, 1883

1 vol. prix : 3 fr. 50.

Les Névroses, « un livre célèbre avant d’avoir paru, » disait, il y a trois mois, le feuilletoniste du Gil Blas, viennent de voir le jour chez l’éditeur Charpentier. Il semble, quand on ferme ce volume, que l’on sorte d’un mauvais rêve. La poitrine haletante n’a pas encore secoué le poids étouffant du cauchemar, le cerveau est hanté de visions spectrales, éclairées d’un jour fantastique, et l’on croit respirer une vague odeur de cimetière. Pour se remettre de cette funèbre impression, il ne faut rien moins qu’une promenade au bon soleil printanier et quelques pages de la reine de Navarre.

Je sais bien qu’on ne doit pas discuter des goûts et des couleurs : mais la prédilection de M. Maurice Rollinat pour les charniers, la Morgue et les cadavres, quoiqu’elle ne soit pas nouvelle, n’en est pas moins singulière. Baudelaire a déjà exploité cette mine ; il l’a fait avec le succès que l’on connaît. Était-ce une raison suffisante pour que M. Rollinat recommençât les Fleurs du Mal en forçant la note ?

Il faut faire des Névroses deux parties bien distinctes : l’une, comprenant les poésies qui ont pour titre : Les Refuges ; la seconde, de beaucoup la plus considérable, embrassant le reste des pièces.

C’est dans cette dernière que l’imitation de Baudelaire est flagrante, indéniable. Dans le ton, dans les idées, dans le rythme, l’on sent l’influence inconsciente du maître, et si les limites d’une courte notice bibliographique me le permettaient, il me serait facile d’accumuler les exemples à l’appui de mon assertion.

M. Rollinat affectionne les néologismes ; il ne me semble pas avoir été toujours très heureux dans le choix des mots qu’il a créés : parfums asphyxieurs, enlinceulement, jaspure, attirance, tortuosité de la fièvre, voix infiltreuse d’espoir, etc., ne sont pas, je crois, des conquêtes dont la langue française doive se montrer bien fière. J’aime mieux : les bruits susurreurs des ruisseaux, la grâce tournoyeuse des fuseaux, le rougeoiment des feuilles de buis.

Les crudités du poète sont parfois hardies. La Vache au Taureau, par exemple, quoiqu’une des pièces les plus remarquables du volume, est une idylle d’un naturalisme poussé à l’extrême. Pour lire, sans que le cœur se soulève, La Belle Fromagère, il faudrait posséder les narines robustes d’un épicier ou celles de M. Zola qui, nouveau Guy d’Arezzo, a découvert la gamme des fromages, est même certains morceaux dont la conception sadique ne déparerait pas un ouvrage franchement érotique.

(page 290)

Heureusement il y a : Les Refuges, cette première partie que plus haut je séparais nettement du reste du volume.

C’est une galerie de tableaux, d’esquisses, de pastels, d’eaux-fortes champêtres du charme le plus exquis. Là M. Rollinat ne cherche plus à imiter personne, il est lui-même, et je lui en fais mon bien sincère compliment. La nature, cette grande enchanteresse, l’a merveilleusement inspiré. Il s’est servi avec bonheur de plusieurs vieilles formes de vers français. Qu’on lise la Ballade de 1’Arc-en-Ciel, celle de la Reine des Fourmis et du Roi des Cigales, celles du Vieux Baudet, de la petite Rose et du petit Bluet, des Lézards verts, des Nuages, du Châtaignier rond, des Barques peintes ; la villanelle du Soir, celle du Ver de terre, on est captivé par cette poésie émue, pénétrante. Quelles délicieuses bluettes aussi que ces courtes pièces : Les fils de la Vierge, le Liseron, les Pâquerettes, la Petite souris, la Mort des Fougères. Quels tableaux achevés que : Les Roses, les Grives. Je m’arrête, parce qu’il faudrait presque tout citer.

Que M. Rollinat revienne donc sans retard à cette Muse rustique qui lui a dicté ces Refuges si véritablement poétiques. Qu’il rejette loin de lui les oripeaux malsains de croque-mort dont il a eu la malencontreuse idée de s’affubler. Son jeune talent n’a pas besoin de ces exagérations qui prendraient les apparences, d’une gigantesque et compromettante réclame. Sortez de l’ombre, poète : votre place est sous le grand soleil de Dieu. Vous avez assez chanté les morts : chantez maintenant celle qui ne meurt pas, l’éternelle, l’impérissable Nature. Elle vous tressera de vertes et odorantes couronnes qui siéront mieux à votre front que la noire guirlande du cyprès.

C. Lavenir.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Dans la revue Lyon-Horticole de 1896, nous avons vu que C. Lavenir était secrétaire-adjoint de l’Association horticole lyonnaise. Il n’est alors pas étonnant qu’il préfère le côté nature de Maurice Rollinat au côté macabre.

– 2 – L’expression « un livre célèbre avant d’avoir paru, » est extraite de l’article « ULRIC POITRINAS » signé « Chose et Machin » (un des pseudonymes utilisés par Abraham Dreyfus), paru dans le Gil Blas du 27 novembre 1882, page 1.

– 3 – Guy d’Arezzo est un moine italien (992 – après 1033, ou vers 975 – 1040 ou 1050, selon les sources) célèbre pour ses recherches sur un système de notation musicale (portée, intervalles musicaux…), que nous pouvons appeler « gamme ». On considère qu’il est à l’origine du système de notation musicale actuel. D’où le parallèle fait par l’auteur du texte avec « la gamme des fromages, » et « certains morceaux ».