Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
La Presse
Jeudi 3 mars 1892
Page 3.
(Voir le texte d’origine sur Gallica.)
LIVRES NOUVEAUX
Chez CHARPENTIER et FASQUELLE
Dès longtemps, dès ses premiers vers, je connaissais le grand talent de Maurice Rollinat, alors ignoré des journalistes, et que Sarah Bernhardt n’a pas peu contribué à mettre en lumière. Il sera beaucoup pardonné à l’illustre tragédienne, parce qu’elle a beaucoup aimé les poètes.
Rollinat récitait ses vers avec une âpre, étrange, très personnelle diction. Mais ceux qui attribuaient à cette diction la plus grande part de son succès ont été déçus dans leur jalousie : on sait quel triomphe vient de saluer une audition, par divers artistes éminents, de poésies et de compositions musicales, choisies dans l’œuvre, déjà considérable, de l’ami des Brandes. Je n’en puis dire plus long sur cette solennité, à laquelle M. Bodinier ne m’a pas convié ; je le regrette pour lui et pour moi.
Dans le nouveau livre du jeune maître la Nature, le talent de Maurice Rollinat, bat son plein.
Je cite la Journée divine, qui résume l’âme de l’œuvre entière :
Mon odieux corps a fait trêve
Et, devenant un pur esprit,
Dans le végétal qui fleurit
Je circule comme la sève.
Mon extase monte, s’élève,
Jusqu’en l’azur s’épanouit,
Je suis un peu l’herbe qui luit,
L’eau qui court, le rocher qui rêve.
Comme l’air, le zéphyr, l’arôme et la clarté,
Ma pensée est éparse en cette immensité
Dont elle voit, raisonne et vit l’architecture.
Le soir vient : Je reprends ma bête et mon
chemin,
Mais, je sais l’infini bonheur d’un être humain
Qui fut pour un instant l’âme de la nature.
Il y a un sentiment analogue dans un des plus beaux monologues du Faust de Goethe.
La même librairie nous donne un livre nouveau d’Abel Hermant, Ermeline, dont l’action se déroule sous le Directoire. Curieuse par sa reconstitution historique, d’une aussi subtile analyse que Serge, du même auteur, dont j’ai fait l’éloge ici, l’œuvre récente du bon romancier témoigne d’une grande variété dans son talent. L’éloge n’est pas mince, à une époque où tant de littérateurs n’ont qu’une note et nous chantent, pendant vingt ans, le même la bémol.
P. E.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Dans le premier paragraphe, l’auteur fait allusion à Sarah Bernhardt ; il pense alors à la soirée chez Sarah Bernhardt du 5 novembre 1882, et à deux articles parus dans la presse : celui publié le lendemain dans Le Gaulois (Lundi 6 novembre 1882, page 1) signé Charles Buet sous le pseudonyme « TOUT PARIS », intitulé « Une Célébrité de demain », et celui d’Albert Wolff publié dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris ».
– 2 – Dans le second paragraphe, il parle d’une « audition » des poèmes de Maurice Rollinat. Il s’agit de la soirée du 14 février 1892 au Théâtre d’Application, également appelé La Bodinière (salle créée en 1888 par M. Charles Bodinier).
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