Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
La Petite République Française
Jeudi 21 juillet 1892
Page 1.
(Lire le texte d’origine sur Retronews)
CHRONIQUE INDÉPENDANTE
Maurice Rollinat
Les chroniqueurs sont un peu à double fond, comme les urnes de l’Empire. Je m’étais promis de vous parler un de ces jours du dernier livre de Rollinat, la Nature, en recourant à ce cher procédé qui consiste à faire venir les sujets de très loin et à les servir au lecteur, comme s’ils étaient encore tout palpitants. C’est d’une grande simplicité. La pluie, le beau temps, le récent crime passionnel, ce qui se fait ou se dit, voire même ce qui ne se dit pas, tout sert à nous véhiculer là où nous voulons retourner. Vous vous en apercevez bien un peu, que diable ! Mais vous êtes si gentils – le suis-je assez moi-même ! – que vous faites semblant de n’avoir remarqué rien du tout. Qu’on dise ensuite que la solidarité n’existe pas !
Je ne vous cacherai pas que je m’étais promis de pratiquer aujourd’hui l’excellent petit truc. L’occasion ne me ressemble guère, puisqu’elle n’a qu’un cheveu ; mais nous sommes deux vieilles connaissances, et j’allais, le plus tranquillement du monde, coudre avec ce fil blanc l’habileté de ma chronique. J’ai lu, en effet, dans quelques feuilles – au fait, l’ai-je bien lu ? – qu’un intelligent éditeur se dispose à faire une cueillette des poésies à travers les poésies de Rollinat, pour l’offrir aux enfants, sous la forme d’un joli petit volume. Là-dessus, je vous parlais tout le temps de mon poète, sans avoir tant seulement l’air d’y toucher. Ah ! l’éducation des bébés ! Le thème était tout indiqué, la tartine était dans le sac.
Eh bien, non ! j’aime mieux vous dire tout simplement que je ne vous dirai rien de la poétique et délicieuse cueillette. L’essentiel, c’est qu’elle soit faite, et elle le sera, La bibliothèque des enfants n’est pas déjà si riche en livres hautement moralisateurs ! Celui de Rollinat leur fera toucher des yeux, du cœur et de la main tout ce qui chante, pleure, vit et souffre dans l’âme universelle.
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Ah ! c’est qu’il la connaît et qu’il l’aime, la grande et belle nature, ce rêveur dont la strophe est faite avec toute la chanson des brises et toute la gloire des soleils !
Je me suis toujours imaginé qu’il a dû être un oiseau avant d’être un poète. L’oiseau va, vient, effleure tout de son aile, pose partout ses petites pattes étoilées, connaît facilement tous les secrets de l’arbre, de l’eau, de la roche, et du brin d’herbe ; mais il ne les connaît pas mieux que Rollinat.
Les autres grands artistes qui l’ont précédé dans la célébration lyrique de la nature, se sont surtout attachés à exprimer la vague, l’indéfini qui se détache d’elle. Avec Lamartine, les paysages s’étendent, se déroulent en des profondeurs de songe, où il y a plus de place pour la rêverie que pour la pensée. On entend les rames tomber en cadences sur les flots harmonieux ; mais on les voit pas plus qu’on ne voit le flot. Montagnes, vallées, sources jaillissantes, forêts, tout se mêle, tout se confond. C’est l’hymne touffue de la couleur. Les collines dansent, comme dans la Bible. Le ciel est bleu, la neige est blanche, et c’est tout : un tout grandiose, énorme, où les lignes fichent le camp, où le détail disparait, noyé dans la plénitude de la vision. Avec Victor Hugo, la nature se livre à toute sorte de fantaisies, tantôt lugubres, tantôt gaies ; mais elle n’apparait que dans un éblouissement, avec des clartés qui restent à la fois naturelles et surnaturelles.
Ce n’est ni le reflet ni le contour, c’est l’âme des choses que l’on voit. Les moineaux disent des bêtises et en font. Le calembour ne répugne pas à l’idylle. Les roses ont de l’esprit.
Chez Rollinat, la vision a l’exactitude du fait. Le détail transparait derrière l’ensemble. Pas une bête qui se soit montrée à lui telle qu’elle est, et toute. Il sait tout ce que fait dans sa journée le plus petit animal de la création. S’il s’est réveillé à l’aube pour gambader dans les lavandes, soyez sûr que le poète est là, derrière lui, le guettant, ne perdant pas un de ses mouvements, vivant pour ainsi dire toutes les sensations qu’il vivra lui-même.
Qu’il soit demain changé en grillon : il sera tout de suite un vieux routier dans la phalange des grillons. Donnez-lui un nid d’hirondelle à bâtir : rien ne me prouve qu’il n’en viendra pas à bout.
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De là, dans les poésies de Rollinat, tout un monde de petites pièces exquises qui vous font subir comme un étrange changement d’individualité. On est soi-même la petite bête, on a son trou dans les champs, sous les herbes : et on ne s’ennuie pas plus pour ça ! Ne me suis-je pas l’autre jour figuré, en relisant Rollinat que j’étais une anguille d’eau douce ?
Je vous recommande cette métempsychose à bon marché. En un tour de strophe, Rollinat vous la fera pleinement goûter. Mais il ne faudra pas oublier les bébés dans la troublante transformation, quand aura été fait le choix des pièces qu’on leur destine.
Il y aura là pour eux comme un Buffon poétique, pas fait exprès. Ce sera de la science commentée par du rêve, et quoi de plus charmant.
Rien ne sert à l’épanouissement de la bonté dans les âmes comme de montrer aux tout petits enfants ce qu’a rêvé ou pensé un grand poète. Montrez leur Rollinat évoquant la vie universelle dans la nature, et vous m’en donnerez des nouvelles !
Clovis Hugues.
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