Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
La Nouvelle Revue
du 1er mars 1901
Pages 146 et 147.
(Voir le texte d’origine sur Gallica)
REVUE CRITIQUE
(page 146)
(…)
Maurice Rollinat a quitté sa solitude du Berry, pour venir entendre ses vers et sa musique interprétés par Mme Yvette Guilbert. Maurice Rollinat est un poète qui s’est laissé perdre de vue, bien volontairement, mais qui eut son heure de succès, bien réel, puisque son deuxième volume de poèmes, les Névroses, obtint sept éditions (sept mille exacts). Il n’a plus, il est vrai, retrouvé cette veine, et ses volumes suivants ne valent ni en qualité, ni en diversité ces Névroses qu’Albert Wolff annonça d’un article enthousiaste. On sait que ce fut chez Sarah Bernhardt que le chroniqueur entendit le poète-musicien, car Rollinat avait, à ses vers et à des vers de Baudelaire adapté une musique qu’il chantait lui-même. L’interprète mettait en valeur son œuvre. D’aspect robuste, l’air romantique, pourvu d’une longue chevelure, partagée sur le front en deux ailes qui se relevaient, comme le montre le bon portrait de Desmoulin, qui est en tête des Névroses, Rollinat disait et chantait avec expression et énergie. Sarah Bernhardt était alors en sa forte manie des choses du deuil et d’outre-tombe, c’est à cette heure-là qu’elle se munit de son cercueil et s’y laissa photographier. Elle dut goûter
le long chuchotements de paroles funèbres
et le geste et l’accent de joie de Troppmann lorsque croyant tuer six personnes il s’aperçoit que la femme qu’il va assassiner est enceinte, et que cela fera une victime de plus, ou le fantôme qui rencontre Rollinat dans un chemin creux et lui dit : « Prenez garde car vous avez la maladie dont je suis mort », et l’Amante macabre et la Morte embaumée et tant d’autres œuvres d’un fantastique aimable poussé au paroxysme et diminué de par son excès.
(page 147)
La musique, c’était de la musique d’amateur intelligent ; elle procède un peu de Chopin, qui voisinait avec Baudelaire et Poe dans l’Olympe de Rollinat. Il la chantait, s’accompagnant lui-même, un peu partout, où il y avait des artistes ; c’était le temps de ce petit groupe qui prit plaisir à ne pas savoir ce que signifiait son nom, les Hydropathes. Beaucoup de lettrés allèrent entendre leurs vers et leur musique. Le meilleur artiste qui fréquenta à ces réunions, qui furent en un café, qui se tinrent en à une petite salle pour ces festins, et réunions dramatiques, rue de Jussieu, était Charles Cros, un errant désabusé du Parnasse, qui venait réciter aux jeunes étudiants, son admirable archet et son moins admirable « Hareng saur » : il était fêté. Mais l’organisateur, le metteur en train, l’orateur, le trouveur du titre, c’était le poète Emile Goudeau, railleur, sentimental, éloquent comme un homme politique, bonisseur même, qui disait sa Revanche des bêtes et des fleurs, ou ses Deux voitures (la voiture noire n’est rien, auprès de la voiture verte) avec un inlassable triomphe ; et c’étaient dans ces soirées du boulevard Saint-Michel où Rollinat tint sa large place, et qui lui préparèrent son succès de chez Sarah Bernhardt, la gaité d’Alphonse Allais, déjà majestueuse et profonde, la fantaisie du pauvre Jules Jouy qui détaillait les charmes d’un parterre de critiques un jour de première au Théâtre Français ; il y était question de la calvitie de Théodore de Banville (mon Dieu ! que c’est loin !). Il y avait Félicien Champsaur, et un très aimable et modeste poète, Georges Lorin qui se plaisait à décrire des bouchers féroces et des figuiers ravinés. Il y avait Harry Allis et son ami Guy Tomel, tous deux morts, qui fondèrent une revue naturaliste (moderne au surplus) dont le premier numéro (de lancement) demeura par erreur une quinzaine de jours oublié, dans la chambre l’ami Tomel et bien d’autres…
Que c’est loin, ces gaîtés et ces jeunesses d’antan.
Gustave KAHN.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Quand Gustave Kahn évoque Yvette Guilbert interprétant des vers de Maurice Rollinat sur sa musique, il s’agit des matinées à la Bodinière où Yvette Guilbert interprétait des poèmes de Baudelaire (et non de Maurice Rollinat) mis en musique par Maurice Rollinat, avec une conférence de M. Arsène Alexandre. Celles-ci ont eu lieu le vendredi 11 janvier 1901, le mardi 15 janvier, le vendredi 18 janvier, le mardi 22 janvier, le vendredi 25 janvier et le mardi 29 janvier. La presse a annoncé la présence de Maurice Rollinat le 11 janvier.
– 2 – La soirée chez Sarah Bernhardt s’est déroulée le 5 novembre 1882. L’article d’Albert Wolff est paru dans Le Figaro du jeudi 9 novembre 1882, page 1, sous le titre « Courrier de Paris ».
– 3 – Quant au groupe des Hydropathes, il a été créé par Émile Goudeau en octobre 1878 ; il a tenu sa dernière réunion fin juin 1880.
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