Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

L’Ordre

Dimanche 21 mai 1939

Pages 1 et 5.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

(page 1)

 

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

La vérité sur la mort du poète Maurice Rollinat

par Louis MANDIN

 

Rollinat, disciple de Baudelaire, est mieux partagé que son maître. Après deux monuments successifs à Fresselines, dans la Creuse, où il habita, on inaugure aujourd’hui, à sa mémoire, un monument à Châteauroux, où il est né. Récemment, Jacques Lynn évoquait dans l’Ordre la tragédie, encore mal éclaircie, qui hâta sa fin. Au mois d’août 1903, le poète des Névroses était très malade, neurasthénique depuis toujours et miné par une tumeur cancéreuse de l’intestin, quand la femme qui lui était chère par vingt années de vie commune fut légèrement mordue par un chien. Rollinat, qui avait fait plusieurs poèmes sur des bêtes hydrophobes, avait une horreur aiguë de la rage. Suggestionnée par lui, sa compagne, dont la santé était délabrée par l’abus de certaines drogues, mourut bientôt, non de la rage qu’elle n’avait pas, mais de l’angoisse, du bouleversement, du traitement auquel on l’avait soumise. Resté seul dans sa solitude de Fresselines, Rollinat y languit et s’y dessécha une partie de septembre, puis fut emmené à Limoges par un ami. C’est là que, désespéré, ne pouvant presque plus s’alimenter, il essaya, à deux reprises, de se suicider. Ce sont sans doute ces deux tentatives qui, connues du public, firent répandre le bruit qu’il était fou.

Transporté dans une clinique, à Ivry, le 21 octobre, il expira le 26, et les journaux parisiens, en annonçant sa mort, accréditèrent la version de la folie. Pourtant, les personnes qui avaient assisté à ses derniers jours affirmaient qu’il avait conservé toute sa lucidité et que même, avec une scrupuleuse conscience, il s’était préoccupé de menus détails domestiques, de petites dettes qu’il laissait impayées, etc.

Quand le drame avait commencé, j’étais dans une localité de la Creuse, nommée Bussière-Dunoise, où Rollinat, plusieurs années auparavant, était venu une fois, en visite chez le médecin du pays, le docteur Durand. C’est la seule fois où j’ai vu le poète. En 1903, je n’avais encore presque rien publié. Ignorant la tragédie qui venait d’éclater à Fresselines, j’eus l’idée d’envoyer à Rollinat un poème et de lui demander son avis. Or, le hasard me fit écrire ma lettre vers le moment où la compagne de Rollinat succombait. Elle était morte le 24 août. Il me répondit six jours après :

Fresselines, le 30 août 1903.

Mon cher poète,

Je vous retourne, avec toutes mes félicitations votre manuscrit que je n’ai pu lire que très hâtivement.

J’ai, en effet, passé, depuis un mois par de telles tribulations de toute nature, que je suis malade, en traitement des plus sérieux, et que, sur l’ordre formel des médecins, je ne dois plus de longtemps m’occuper de littérature ni recevoir personne.

Excusez-moi donc, je vous prie, et veuillez agréer l’assurance de mes meilleurs sentiments.

Maurice ROLLINAT.

 

(page 5)

Cette lettre est écrite d’une main ferme ; elle ne manque pas de ponctuation, elle ne trahit aucun désordre de l’esprit. On aura remarqué avec quelle politesse, quelle délicate attention, Rollinat s’est donné la peine de répondre à ce débutant qui lui était presque inconnu et dont l’importunité tombait au moment le plus accablant de son deuil. Il n’oubliait pas de me retourner mon manuscrit et d’y joindre de touchantes excuses. Il n’y a rien là d’un homme dont la raison chavire.

Avec son émotivité exaspérée, sa hantise des monstres de la mort, son organisme épuisé par le cancer rongeur, j’admets que le malheureux poète ait pu avoir des hallucinations et que, par exemple, comme le rapportèrent des gens de Fresselines, il lui soit arrivé de monter tout habillé sur son lit pour fuir des bêtes qu’il imaginait rôdant dans sa chambre. Sa littérature qui, longtemps nourrie d’horreur et d’épouvante, avait été prise pour un produit artificiel et quelque peu mystificateur, se révélait là trop sincère. Certes, l’auteur des Névroses a dû souffrir des affres cruelles ; mais, d’après ce qu’on en peut savoir, je ne crois pas qu’il ait sombré dans la démence où l’homme devient le jouet du délire et ne sait plus ce qu’il fait.

 

 

Remarque de Régis Crosnier : Louis Mandin, né le 14 avril 1872 à Paris et décédé en déportation le 28 juin 1943, est un poète. Dans sa jeunesse, il a vécut à Bussière-Dunoise où il a été six ans clerc de notaire, puis secrétaire de mairie.