Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
L’Évènement
Vendredi 17 novembre 1882
Page 1.
(Voir le texte d’origine sur RetroNews.)
UN POÈTE
MAURICE ROLLINAT
Le voilà bombardé poète : il a reçu ses grandes lettres de naturalisation. L’illustre inconnu de la veille est devenu célèbre en huit jours. L’enthousiasme d’une comédienne et l’influence d’un journaliste ont fait le miracle. Au reste, voici bientôt quinze ans que Maurice Rollinat attendait cette double consécration d’une soirée chez Sarah Bernhardt et d’une chronique d’Albert Wolff. Justice lui est enfin rendue.
Aussi bien, Rollinat est absolument digne du tapage qui se fera demain autour de son nom. L’homme est non moins intéressant, non moins empoignant que son œuvre.
Physiquement, le poète est encore ce qu’on est convenu d’appeler un jeune ; c’est à peine s’il frise la quarantaine. La tête est originale et expressive. Les cheveux sont longs et châtains, rejetés en arrière par un geste coutumier ; l’œil, petit, regarde fixement ; le nez est droit, la moustache rude, le menton bien dessiné, la bouche tordue dans un rictus de souffrance. Maurice Rollinat, qui a mis Baudelaire en musique, chante et dit ses vers d’une voix pleine, sonore, dont les notes souvent stridentes et gutturales produisent des effets de terreur et de frisson très curieux.
Au moral, Rollinat est un épouvanté. Il a peuplé la nature de gnomes, de vampires, de fantômes dont son œuvre est pleine et à la réalité desquels il a fini par croire. Il les voit, il les sent, il les frôle. Il lui arrive parfois, la nuit, de se réveiller en sursaut, la joue humide encore du baiser visqueux des stryges, les membres brûlés et bleuis par l’attouchement des spectres. Au demeurant, l’âme la meilleure, la plus naïve, l’ami le plus sûr et le plus entièrement dévoué.
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Maurice Rollinat est né à Châteauroux. Son père, représentant du peuple en 1848, était lié avec George Sand d’une amitié qui ne s’est jamais démentie. La famille de Rollinat possède près de trois cents lettres écrites par la grande romancière, lettres pleines de détails d’un caractère si particulièrement intimes qu’elles ne pourront jamais, malheureusement, être livrées à la publicité.
Quelques années avant la guerre, à la mort de son père, Maurice Rollinat vint habiter Paris. Il avait déjà en portefeuille la majeure partie des pièces qui composeront son prochain volume, destiné à paraître chez Charpentier dans les derniers jours de décembre. Titre : les Névroses. Le livre est divisé en cinq parties : les Ames, les Luxures, les Refuges, les Spectres, les Ténèbres. Ecrit dans une langue étonnamment puissante et personnelle, il renferme des audaces inouïes de facture et d’idées qui bouleverseront certainement le public et peut-être les magistrats.
A peine débarqué à Paris, Rollinat fit partie d’un groupe de littérateurs dont quelques-uns avant lui sont arrivés à la notoriété. Citons en tête : Richepin, Bourget, Bouchor et cet étonnant Ponchon dont on ne connaît que huit vers et qui continuera à donner des espérances jusqu’à l’âge le plus avancé. Etrange époque que celle-là !
On se réunissait, le soir, dans un petit café à femmes du boulevard Saint-Michel, disparu depuis, le Sherry-Coblers, et les heures s’écoulaient rapides à développer des théories littéraires de combat, braquées contre le clan ennemi des poètes tout-puissants alors, les Parnassiens.
Vers minuit, à l’heure de la fermeture du caboulot, la petite bande se mettait lentement en marche vers les hauteurs de la rue Saint-Jacques, devisant et discutant toujours, gravissait inconsciemment un nombre fabuleux d’étages et s’installait presque jusqu’au jour chez Rollinat, qui offrait l’hospitalité écossaise d’un lit de fer, d’une chaise, d’une malle et d’une épinette dix-huitième siècle ayant appartenu à Georges Sand !
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Le poète était alors employé dans une mairie quelconque et spécialement préposé aux décès, à raison de 118 fr. par mois. Ce fut alors qu’il sollicita et faillit obtenir le poste, mieux rétribué, de secrétaire de la Morgue ! Le détail a sa valeur, si l’on songe que Rollinat, plongé en pleine poésie macabre, produisait alors, coup sur coup, ces pièces stupéfiantes et lugubres : Le Soliloque de Tropmann, la Buveuse d’absinthe, la Légende du Guillotiné, Mlle Squelette, l’Amante macabre, qui donnent une des notes les plus originales de son étrange talent. Il est à remarquer cependant que dans son premier volume, paru en 1875, le poète rejeta de parti pris toutes ces pièces si hardies, et qu’il ne voulut ou n’osa pas les imposer du premier coup au public. Son livre n’est qu’un assemblage de pièces campagnardes et rustiques, conçues dans une note volontairement grise, d’un grand charme et d’une grande saveur néanmoins, mais nécessairement destinées à passer plus inaperçues.
En fait, les Brandes n’eurent aucun succès. Le silence se fit autour du volume, et la critique passa à côté du poète sans le deviner. Il est juste d’ajouter que le livre parut à une époque très peu favorable et où les événements politiques surexcitaient seuls les esprits.
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Désespéré de l’indifférence du public Maurice Rollinat s’enfuit en province et – s’y maria. Passons. Il est certains détails qu’il nous est interdit même d’effleurer. Quoi qu’il en soit, le poète, redevenu libre, est définitivement aujourd’hui fixé à Paris, – et seul.
Il revint dans la grande ville au commencement de l’année 1878, au moment où, sous l’impulsion vigoureuse d’un poète de talent aussi – Emile Goudeau – s’organisait au quartier latin une véritable croisade intellectuelle et littéraire. Une société de jeunes gens épris de l’art sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations venait de se fonder sous un titre bizarre et inexplicable : les Hydropathes. Parmi les de deux ou trois cents jeunes gens qui se réunissaient dans la salle d’un café du boulevard Saint-Michel, plusieurs arriveront certainement tôt ou tard à la notoriété. Bien des noms sont connus déjà du public qui n’eurent tout d’abord d’autres échos que les murs enfumés de la salle du quartier des Ecoles. – Rollinat, Goudeau. Haraucourt, Crésy, C. Cros, l’inventeur du monologue, bien d’autres y débutèrent. Dans une autre branche de l’art, Villain, Lebargy, Leloir, aujourd’hui à la Comédie française ; Paul Mounet, de l’Odéon ; Galipaux, du Palais-Royal, etc., y firent leurs premières armes.
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Ce fut aux Hydropathes, dans cette pépinière de jeunes talents d’avenir, que Rollinat eut ses premiers et ses plus grands succès. Nous sommes cinq cents à Paris qui l’y avons applaudi frénétiquement et qui attendions avec confiance que l’heure de la célébrité eût sonné pour lui. Nous ne savions quel serait le Deus ex machina de cette révélation ; il vient de se manifester dans la personne de Coquelin cadet – un hydropathe aussi. L’excellent cadet organisa, il y a une dizaine de jours, en l’honneur de Rollinat, une soirée à laquelle devait assister Sarah Bernhardt.
La comédienne fut immédiatement emballée. Ce fut un coup de foudre, une cristallisation d’admiration. On sait le reste.
Aussi bien, ce poète, qui prise et se mouche dans un énorme mouchoir à carreaux, est un diseur et un acteur merveilleux. Je ne sais personne à Paris qui soit capable comme lui de jouer ses vers et de chanter sa musique. Il y a trois jours encore, il nous était donné de l’entendre à l’une de ces réunions littéraires du petit cabaret du Chat noir qui est bien l’un des coins les plus pittoresques du Paris vivant et artiste. Eh bien ! même enthousiasme, même impression poignante et fatale qui faisait pousser à un Méridional cette exclamation inattendue : « Dans ce nom de Rollinat, on trouve celui de Rolla – et même quelque chose de plus ! » Oh ! la Gascogne !
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Telle est, rapidement esquissée, la physionomie étrange et puissante de celui dont tout Paris discutera les œuvres demain. La bataille sera rude sans doute et non sans éclats douloureux pour le poète, qui se livrera tout entier. Mais Rollinat est taillé pour la lutte, car c’est, avant toute chose, un convaincu. Et puis, quelle plus noble consolation pour l’artiste que celle de pouvoir se dire que si son œuvre doit susciter des admirateurs enthousiastes et des détracteurs passionnés, elle est sûre de ne point trouver d’indifférents.
Zanetto.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Qui se cache derrière le pseudonyme « Zanetto » ? Évidemment quelqu’un qui connaît bien et qui aime Maurice Rollinat, qui est allé à son domicile, a participé aux séances des Hydropathes et maintenant à celles du Chat Noir. C’est aussi un poète puisque sous ce pseudonyme, il a publié dans L’Évènement du 6 avril 1879, page 3, le poème « Stances à la Maison du Pont-Neuf ». Est-ce Charles Frémine ? en effet celui-ci remplit les conditions ci-dessus et on trouve dans son article « Ni cet excès d’honneur, ni, etc. » paru dans Le Rappel du 12 décembre 1882, page 3, des points communs avec le présent texte par exemple il y écrit : « Rollinat est un épouvanté ».
– 2 – L’auteur affirme : « Quelques années avant la guerre, à la mort de son père, Maurice Rollinat vint habiter Paris. » François Rollinat est décédé le 13 août 1867. Dans une lettre à son ami Joseph de Brettes, datée du 22 août 1868 (publiée par Jacques Patin dans son article « La jeunesse fiévreuse de Rollinat » paru dans Le Figaro du samedi 1er février 1930, pages 5 et 6), Maurice Rollinat écrit : « Enfin, j’ai fini ma cléricature, et j’envoie baigner le notariat ! », puis il annonce qu’il va s’installer à Paris. Il se fait inscrire aux cours de la Faculté de Droit pour l’année universitaire 1868-1869 (voir Régis Miannay, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, 1981, page 63) Mais apparemment, il n’y alla pas et continua à être clerc de notaire à Orléans. En 1869, il passa six mois auprès de son frère en garnison à Perpignan (id., page 64). Durant la guerre de 1870-1871, il résida chez sa mère à Châteauroux. Dès la guerre terminée, il se rend à Versailles en avril 1871 et enfin à Paris à la mi-juin.
– 3 – L’auteur continue par : « Il avait déjà en portefeuille la majeure partie des pièces qui composeront son prochain volume, destiné à paraître chez Charpentier dans les derniers jours de décembre. » Au cours de l’année 1871, Maurice Rollinat propose à l’éditeur Lemerre un manuscrit intitulé Les Tentations. Celui-ci est refusé sur la recommandation d’Anatole France alors lecteur chez Lemerre (le fac-similé de l’avis donné par Anatole France, sera publié dans le Supplément littéraire du Figaro du 12 avril 1924, page 3). Maurice Rollinat continuera à écrire des poèmes et dans les deux livres qu’il publiera durant sa période parisienne Dans les Brandes (1877) et Les Névroses (1883), ces derniers seront inclus et il ne fera pas figurer ceux à caractère érotique à l’origine de la position d’Anatole France.
– 4 – Au huitième paragraphe, il faut lire « le Sherry-Cobbler » au lieu de « le Sherry-Coblers ».
– 5 – L’auteur parle « d’une épinette dix-huitième siècle ayant appartenu à Georges Sand ». Il faut bien évidemment lire « George Sand ». Quant à l’origine de l’épinette, nous n’avions pas cette information. Parmi les autres récits de soirées dans la chambre de Maurice Rollinat, voici celui d’Émile Goudeau : « Rollinat ouvrit son piano. Ce piano était un clavecin aux sons aigrelets, antiques ; sans doute, il gémissait d’être réveillé si tard, lui, instrument du dix-huitième siècle, par un artiste de la fin du dix-neuvième. » (article « La jeune littérature (1875 – 1885) – Maurice Rollinat » paru dans La Presse du 22 mai 1885, page 1). Pour le mot « épinette », à l’époque il était courant d’utiliser ce terme à la place de « piano ». Maurice Rollinat par exemple, dans sa lettre à Raoul Lafagette expédiée de Châteauroux le 6 mars 1871, rêve de son retour à Paris et écrit « Inutile de vous dire que chaque fois que vous viendrez fumer un cigare au son de mon épinette, vous ferez un heureux sur terre ! », ou dans celle au même du 15 mai 1871 alors qu’il est à Versailles attendant de pouvoir rejoindre Paris : « et je trompe l’absence d’une épinette par un chantonnement… », ou encore dans celle du 28 octobre 1874 toujours à Raoul Lafagette : « J’ai un piano ! lamentable épinette, ». Il a aussi écrit un poème intitulé « Mon épinette » publié dans son livre Dans les Brandes, pages 39 à 41.
– 6 – L’auteur écrit : « Le poète était alors employé dans une mairie quelconque et spécialement préposé aux décès ». Maurice Rollinat était employé à la mairie du septième arrondissement, au service de l’état-civil, avec le grade de commis. Il pouvait traiter aussi bien les naissances, les mariages que les décès. Il n’a jamais été « secrétaire de la Morgue ».
– 7 – Son « premier volume » (Dans les Brandes) n’est pas « paru en 1875 », mais en 1877.
– 8 – L’auteur affirme : « Maurice Rollinat s’enfuit en province et – s’y maria. » À l’été 1877, Maurice Rollinat est invité par son ami Camille Guymon à passer des vacances dans une propriété familiale à Saint-Julien de Ratz près de Voreppe (Isère). Il y restera une grande partie du mois d’août. Il fait alors la connaissance de la nièce de Camille Guymon, Marie Sérullaz, et de la famille de celle-ci (voir Régis Miannay, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique, 1981, page 229). Maurice Rollinat se mariera avec Marie Sérullaz le 19 janvier 1878, à Lyon.
– 9 – L’auteur continue par : « Quoi qu’il en soit, le poète, redevenu libre, est définitivement aujourd’hui fixé à Paris, – et seul. » Après des vicissitudes de la vie familiale et des relations houleuses de Maurice avec les parents de Marie, les deux époux se séparent début 1882 (le divorce n’existait pas à cette époque-là).
– 10 – Puis l’auteur affirme : « Il revint dans la grande ville au commencement de l’année 1878 ». En 1878, Maurice Rollinat habitait Lyon et au printemps avec Marie, ils firent leur voyage de noces en Italie.
– 11 – L’auteur écrit : « L’excellent [Coquelin] cadet organisa, il y a une dizaine de jours, en l’honneur de Rollinat, une soirée à laquelle devait assister Sarah Bernhardt. » En réalité, Coquelin cadet a proposé à Sarah Bernhardt de connaître Maurice Rollinat. Celle-ci voulut l’entendre dans une soirée chez Charles Buet où elle croyait qu’il y était (Gustave Guiches a raconté le passage de Sarah Bernhardt dans Au Banquet de la Vie, pages 77 à 80), mais comme Maurice Rollinat était absent ce jour-là, elle l’invita chez elle, deux jours plus tard, le dimanche 5 novembre 1882.
– 12 – Dans la citation « Dans ce nom de Rollinat, on trouve celui de Rolla… », à quel « Rolla » est-il fait allusion ? On peut penser en premier à Alessandro Rolla (1757 – 1841), virtuose du violon et de l’alto, compositeur et chef d’orchestre italien. Il y a aussi Charles Mordacq (1861 – 1934) qui utilise pour ses poèmes et chansons le pseudonyme de « Rolla », mais en 1882 il est trop jeune pour être déjà connu. On peut aussi penser au poème « Rolla » d’Alfred de Musset (pages 305 à 330 de Poésies complètes de Alfred de Musset, Charpentier libraire-éditeur, Paris, 1840, III + 436 pages) et au tableau « Rolla ou le suicide pour une courtisane » du peintre Henri Gervex, inspiré de ce poème (ce tableau devait être exposé au Salon de 1878, mais il fut jugé immoral et retiré du programme un mois avant la manifestation par l’administration des Beaux-Arts) ; mais dans ces deux cas, le thème du jeune bourgeois qui sombre dans l’oisiveté et la débauche ne correspond pas à la citation.
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