Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE |
Gil Blas
24 février 1883
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(Voir le texte d’origine sur Gallica)
COURRIER DE PARIS
Décidément ce ne sont plus les gueux qui sont les gens heureux à notre époque, ce sont les poètes. Les gueux, on les fourre en prison sans leur demander ni quoi ? ni qu’est-ce ? tandis que toutes les portes s’ouvrent devant les poètes. On se les dispute, on se les arrache ; c’est à qui en aura : libraires dans leurs vitrines, ministres dans leurs bureaux, mondaines dans leurs salons ou directeurs sur l’affiche. M. Maurice Rollinat en sait quelque chose, et ses Névroses à peine parues ont été enlevées par le lecteur avec plus d’avidité que la manne jadis ne fut avalée par les Hébreux dans le désert. Aussi quel art à préparer l’avènement du bienheureux volume, à exciter la curiosité autour de ses feuillets, à le choyer, le dorloter, le fêter par avance ! Ce sont là privilèges de poète, et jamais prosateur ne trouverait patronage aussi chaud pour couver son succès. Si la gent poétique reste irritable, franchement ce n’est pas faute au siècle de lui faire l’existence ensoleillée et facile.
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Quoi qu’il en soit, en ce siècle du prosaïsme débordant, et de par la loi des contrastes qui veut que les extrêmes se touchent, la vogue est aux poètes. M. Maurice Rollinat est le lion de la librairie ; M. Richepin fait après M. Catulle Mendès les beaux soirs de l’Ambigu : M. Villiers de l’Isle-Adam triomphe au théâtre des Nations, et MM. Aicard et Delpit s’apprêtent à prendre possession du Théâtre-Français. Toutes les scènes sont à eux comme toutes les femmes aux camarades de Fortunio, et l’Académie les couvre de prix comme le public de droits d’auteur.
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Mais que la pièce empoigne vraiment et à fond le suffrage universel, qu’on sente qu’elle va s’ancrer sur la scène, accaparer de longs mois les droits d’auteur, quel changement dans les mines et comme les langues s’empressent de tourner ! Que de littérateurs proclamés « hommes de génie » qui ne sont reconnus comme tels qu’à condition d’arriver à huis-clos ! Que de réputations établies dans les cénacles littéraires qui ne doivent les fleurs dont on les enguirlande qu’à leur effacement réel dans le public ! M. de Villiers de l’Isle-Adam est accrédité depuis des années dans un certain milieu comme un poète d’un immense talent. Si son Nouveau-Monde avait le succès des Deux Orphelines, comme il passerait vite à l’état de sous-d’Ennery !... Aussi, que M. Maurice Rollinat ne se fie pas trop au pain blanc qui lui est servi en premier par la camaraderie qui l’entoure, et qu’il songe à pourvoir son grenier aux frais sérieux du public, car le jour où il sera vraiment arrivé – M. Zola et quelques autres pourront l’éclairer sur ce point, – il verra de quelle qualité seront les miches qu’on lui offrira. En dépit des belles phrases sur l’art pour l’art, la littérature n’est qu’une industrie, comme toute autre profession, et l’on ne pardonne pas là plus qu’ailleurs à la concurrence.
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SANTILLANE.
Remarque de Régis Crosnier : « Santillane » est un des pseudonymes utilisés par le journaliste Gérard (cf. Dictionnaire des pseudonymes page 33, de Georges D’Heylli, Dentu et Cie éditeurs, Paris, 1887, 561 pages).
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