Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Cosmopolis

N° 9. Septembre 1896

Pages 813 et 814.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

(page 809)

 

LE LIVRE A PARIS.

 

POÈTES.

 

IL FAUT faire son métier en conscience. Je viens de lire trente volumes de vers. En est-il dix dont je vous parlerai ? Peut-être. Je vais compter à mesure. En est-il trois dont je dusse nécessairement vous entretenir ? C’est douteux. La poésie française ne brille pas, en cette fin du XIXe siècle, qui a vu les plus grands poètes français peut-être, d’un très vif éclat. Tout cela est d’une honnête moyenne. Sauf M. Henri de Régnier, qui, certainement s’est « détaché du peloton, » sans le dépasser encore de trente longueurs, les meilleurs de nos versificateurs savent faire le vers, ont de temps en temps une idée heureuse, donnent parfois une nuance de sentiment un peu nouvelle, mais ne se révèlent pas comme des « âmes divines. » Auprès d’eux Verlaine avait du génie, et, entre nous, il n’a pas écrit deux cents beaux vers, le pauvre Verlaine… Néanmoins il faut que vous soyez renseignés. Procédons à notre revue du Parnasse.

(…)

 

(page 813) (…)

 

V

M. Maurice Rollinat, très célèbre chez nous, et non sans raison légitime, n’est pas en progrès. Il se fit connaitre, voilà tantôt dix ans, par des vers assez retentissants, qui procédaient de deux inspirations principales. L’une des muses de M. Rollinat était la muse de la Description et l’autre la muse de la Terreur. M. Rollinat décrivait par le menu tout ce qu’il voyait d’intéressant dans la nature, avec un talent assez souple et une abondance indiscrète qui rappelait tout à fait Théophile de Viau. D’autre part, et c’était son véritable talent, il avait un art d’avoir peur et de communiquer au lecteur le frisson d’effroi qui l’agitait à propos d’une foule d’incidents domestiques.

Ces deux talents, il les a gardés, sans les augmenter, ni leur donner une forme sensiblement nouvelle.

Il décrit encore. J’avais noté autrefois dans ses vers un certain déroulement de vipère en quinze strophes qui n’était pas sans mérite. Je retrouve dans ce volume-ci une évolution de couleuvre en dix ou douze stances qui ne manque pas de talent.

Il a peur encore : du vent dans les corridors, d’un portrait qui le regarde, de l’armoire trop vieille qui a fini par avoir une âme qui l’obsède, de toutes choses enfin :

Nous pensons que les choses vivent
C’est pourquoi nous les redoutons.
Il est des soirs où nous sentons
Qu’elles nous parlent et nous suivent…

Mais quelquefois cette impression de terreur ne trouve qu’une forme peut-être un peu prosaïque sous la main de l’artiste. De ces « choses » qui l’épouvantent il dira :

Chacune, simple ou nuancée,
Emet de sa construction
Une signification
Qui s’impose à notre pensée.

(page 814)

Et ceci n’est peut-être pas très bien écrit. Il ne faudrait pas croire que tout le volume soit écrit ainsi. Telle pièce, intitulée la Rivière contient de vraiment beaux vers :

Voici ce qu’elle dit dans sa chanson obscure,
Tumultueuse ou lente, avec calme ou fracas :
J’aime les rochers gris, les arbres délicats
Penchant toujours sur moi leur ombreuse figure.

Entre ces bons témoins, discrets comme moi-même,
Sous le ciel flamboyant, pluvieux, noir ou blanc,
Au gré du vent, sculpteur de mon miroir tremblant
Dans la buée ardente ou dans le brouillard blême,

Je coule en me berçant de mes propres murmures
Ou mêlant mon silence à celui de mes bords ;
Et j’emporte au milieu des paysages morts
Le frissonnement vert qui tombe des ramures…

Toute la pièce a de l’allure. Je doute cependant que désormais M. Rollinat s’élève bien haut.

(…)

Emile Faguet.

 

Remarque de Régis Crosnier : Émile Faguet avait fait une longue présentation du livre La Nature de Maurice Rollinat, dans sa rubrique « Courrier littéraire » parue dans la Revue politique et littéraire – Revue bleue du 12 mars 1892, pages 343 et 344. Le commentaire était globalement positif mais comportait des reproches sur les longueurs des descriptions.