Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT RACONTE SA VIE À FRESSELINES

Portrait de Maurice Rollinat pêcheur d'après Allan Osterlind, par Catherine Réault-Crosnier.

 

Recherche documentaire

non exhaustive, réalisée par Régis Crosnier.

 

Version au 19 mars 2023.

 

 

– Quatrain composé par Maurice Rollinat figurant, écrit de sa main avec sa signature, en bas du tableau d’Henry Laurent représentant la maison de Maurice Rollinat à La Pouge (tableau exposé à Paris en 1900, actuellement visible dans la mairie de Fresselines). Ce quatrain a été reproduit sur de nombreuses cartes postales anciennes :

Ma maisonnette montre aux horizons tranquilles
Ses volets verts, ses clairs carreaux extasiés,
Le lierre et le moussu de sa toiture en tuiles
Et ses murs lumineux tout fleuris de rosiers.

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Jules Barbey d’Aurevilly, datée du 9 décembre 1883, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 246 à 250.

(page 248) (…)
Je m’y plais en vérité dans cette solitude rocheuse et ce n’est certes pas le dégoût qui m’y a cloîtré. Je suis bien trop le maniaque de mon art pour souffrir de la bêtise ou de la rage humaine. Je n’ai ni mépris ni amertume, et je vis quant à la plupart de mes semblables dans une sorte de neutralité somnambulique. En somme, avec l’intime consolation de vos livres et des quelques rares qui sont aussi mes bréviaires, avec mon labeur tenace et mon amour de la campagne, je me suffis à moi-même et j’allongerais volontiers les heures trop courtes pour me sentir vivre davantage.

J’ai dû quitter Paris pour conjurer la détente nerveuse et ramener un peu de force dans mon organisme épuisé. En dépit de ma résistance, j’étais vaincu par le mal physique. Il n’était que temps ! Aujourd’hui je suis encore faible, aphone, valétudinaire, mais tout mauvais symptôme a complètement disparu.

Je suis si dénué d’ambition, et je tiens si peu à ce qu’on ne m’oublie pas, que je trouve dans mon désert un apaisement singulier. Je connais deux ou (page 249) trois braconniers, espèces de songeurs en blouse, qui ont un langage grogné, mimé, très furtif et coupé de longs silences. Leur gesticulation ressemble à des mouvements d’arbre, leurs yeux luisent comme ceux des loups, et leur son de voix tient assez de ce vague murmure qui sort des objets inanimés. Avec eux, j’excursionne, je chasse, je pêche au filet, et la nuit, qui vient sitôt maintenant, nous a surpris plus d’une fois sur des berges scabreuses ou dans des vallées inquiétantes. Chemin faisant, ils m’instruisent de leurs observations vulpesques et satanisent le paysage par les diableries qu’ils me content au bruit claquant, lourd et régulier de leurs grands pas saboteux.

J’agis beaucoup et je travaille dans presque toutes mes occupations corporelles : ainsi se passe mon existence, sobre, ponctuelle, quasi monastique, à part la continence que je bigarre çà et là de luxures d’occasion.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat utilise l’adjectif « vulpesque » vraisemblablement dérivé du nom latin « vulpus » qui se traduit par « renard ».

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Léon Cladel, datée du 17 décembre 1883, publiée par Judith Cladel, dans Portraits d’Hier, n° 31 – 15 Juin 1910, Maurice Rollinat, page 21.

Ici, je rêve en travaillant ou je travaille dans le rêve selon l’influence de l’heure et le caprice de ma disposition. Le fait est que mon nouveau livre L’Abîme avance peu à peu, péniblement mais sûrement et que les cruelles idées que j’aborde ne déconcertent pas ma patience. Au contraire je trouve un attrait farouche et délicieusement barbare dans cette espèce d’autopsie morale que je pratique sur moi-même et que j’étends à l’humanité, car, à part les pauvres monstres criminels, je crois tous les hommes jumeaux du mal et d’une parfaite égalité dans l’abominable douleur.

Je cuisine, je bêche, je me véhicule, j’excursionne et une fois sorti de mon gîte, on ne me rencontre guère que dans les coins et recoins sauvages d’un abandon immémorial et d’un inquiétant particulier : la désolation de la Nature est un calmant pour la mienne, et j’engourdis toutes mes révoltes quand je considère sa résignation. En somme, je vais déjà mieux : l’action me réconforte, le Paysan m’instruit, j’ai mon chien pour comique, mon chat pour sorcier et le temps passe quand même en dépit de la saison rude.

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot, datée du 11 décembre (1884), publiée dans Fin d’Œuvre, pages 252 à 254.

(page 252) (…)
Je travaille et retravaille, et toujours en vers, car à mon avis, c’est la seule langue que le cœur, (page 253) l’esprit et les nerfs puissent parler à l’unisson, et sans laquelle on ne saurait exprimer la vision de ce qui est, ou plutôt, l’apparence de ce qui n’est pas, puisque jusqu’à nous-mêmes, les indiscrets de la vie, tout n’est que fantôme sur la terre. Mon corps se repose, mais constamment mon cerveau rumine ; pas d’orgie de travail cependant ; rien qu’un effort patient et soutenu par sa tranquillité ; en un mot, la lente gestation du sujet choisi et la recherche à temps perdu de l’expression qui échappe.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Mévisto Aîné, non datée, publiée dans Fin d’Œuvre, page 255.

(…) Et puis, à cet été ! – Si j’en augure par les pluies diluviennes qui ont l’air de vouloir continuer, nous aurons, l’année prochaine, deux rivières coulant à pleins bords et abondamment fournies de poissons de toute espèce. Vous aurez donc chance d’avoir du plaisir et des émotions.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Frantz Jourdain, datée de septembre 1885, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 257 à 260.

(page 257) (…)
Mon ermitage est situé dans un paysage de rêve : par devant, serpente une petite route rocailleuse et (page 258) blafarde enfouie dans de buissonneuses pénombres, à la façon des chemins creux. Ses bords étroits en fouillis d’herbes folles sont le pâturage des moutons pauvres, et c’est peu souvent que les branlantes carrioles y viennent profiler leur silhouette. Mais derrière la maison s’étend la grande campagne verte et rocheuse avec tout le fantastique du mystère et de la solitude. Je suis à deux pas du ravin de la Creuse et l’âme de la rivière emplit toute ma chambre. Des arbres dans du ciel, du ciel dans des arbres, des taillis dégringolants, des pacages caverneux, çà et là, quelques bouts d’horizon fané couleur de très vieilles tapisseries, voilà la vue sauvage qui tous les jours me considère autant que je la regarde, car bien des fois l’un avec l’autre nous devons être en parfaite communion de stupeur et de mélancolie. Quant aux bruits qui m’arrivent, ils sont si plats à fleur de terre, ou si furtifs dans les feuillages, que je n’entends guère en vérité que le murmure du silence. Ah ! sans l’horrible souffrance physique, comme je serais satisfait dans mon désert ! Quelle vie calme j’y mènerais au milieu même de mes labeurs, puisque, pour qui sait la comprendre, la nature l’inspire en le tranquillisant : j’aime ses larmes de pluie, ses rires de soleil, ses douleurs d’orage, et je lui vois tant de grandeur, dans l’accomplissement de sa fatalité que sa fréquentation (page 259) me procure une espèce d’enchantement monotone qui féconde ma patience et purifie ma tristesse !

Enfin si j’ai perdu la santé de mon corps, je conserve encore celle de l’esprit, et tout en piochant l’ « Abîme Humain », je suis un bon régime qui pourra peut-être me soulager. Mais comme il était temps pour moi de renoncer au monde, et que j’ai donc bien fait de quitter Paris !

Savez-vous ce qu’il faut faire, mon cher Jourdain ? il faut venir me voir cet automne, vers le 15 octobre environ, je ne vous engage pas avant cette époque, ma maison jusque-là devant être plus ou moins encombrée, et je tiens à ce que nous soyons tout à notre aise pour causer, flâner, excursionner, comme bon nous semblera. Vous aurez une chambre ouverte sur la Creuse, mon petit attelage vous épargnera l’ennui des longues marches, et si saint Pierre et saint Hubert favorisent mes braconniers fidèles, vous mangerez certainement de la perdrix rouge et de la truite saumonée. Arrivez donc au 15 octobre : votre bonne visite me ferait tant plaisir, et ce petit séjour en pleine campagne vous retremperait si bien pour les rebatailles de la vie.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy datée de janvier 1886, publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 130.

(…)
« Par ce temps humide et froid (on est en janvier 1886), mes flâneries d’observateur sont difficiles ; je me résigne donc à travailler au dedans, les pieds sur les grands chenets, entre mes trois chiens et mes trois chats somnolents à l’ordinaire ou qui font juste assez de bruit pour ne pas troubler mon silence.

« Ma besogne est rude : j’écrème, je raffine, je réduis, je perfectionne tant que je peux. Enfin ! j’ai la patience de l’esprit sans laquelle une pareille tâche ne serait pas continuable » (Lettre à A. Ponroy).
(…)

 

– Extraits d’une lettre de Maurice Rollinat à Louis Mullem et Gustave Geffroy, datée du 17 août 1887, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 265 à 268.

(page 266) (…)
Depuis votre départ, la température a changé : l’horizon prend l’air automnal, le vent défeuille les arbres, et le ciel gris s’abaisse plus arqué sur les paysages qui s’altèrent. Les deux Creuses roulent déjà plus jaunes, et maintenant, par les chemins pleins d’eau, on n’évite l’embourbement qu’en mettant son œil au bout de son pied. La mélancolie commence à renaître au fond des vallées où le pelage des troupeaux perd la crudité de sa teinte sous les morceaux de nuées qui traînent dans l’espace. C’est presque triste, et pourtant, Cécile et moi continuons nos promenades piscatoresques au bord de la Creuse. Je me suis mis à pratiquer la pêche à la sautille, et j’ai failli prendre un chevenne d’une bonne livre. Mais il faut laisser bien mordre, et ferrer juste à temps. Cela va me demander un certain apprentissage que facilitera ma patience. Griselle semble regretter son bienfaiteur Mullem qui lui portait chaque matin de si bonnes rations (page 267) de pommes crues. La gaillarde engraisse tandis que le pauvre petit cheval s’émacie. Enfin hier, il avait la respiration moins sifflante, et sa toux résonnait d’une façon moins lugubre. Margot est en train de faire ses petits. Pluton lèche avec infiniment de complaisance le dessous de son excessivement bonne queue. Cerbère court la charogne et Turc, la femelle. Satan est toujours le quémandeur miaulichottant, Tigreteau, le taciturne engouffreur, et Blanc, le cendrillon de la cuisine. Chacune de ses bêtes vous envoient à leur manière une très affectueuse caresse.

(…) (page 268)

Vous nous donnerez de vos nouvelles, n’est-ce pas ? et vous tâcherez d’amener Clémenceau à l’époque en question. D’excellents chasseurs me disaient, ce matin même, que le pays est pourri de perdreaux et que le lièvre ne sera pas rare. Clémenceau venant avec vous, vous serez plus à l’aise pour allonger votre séjour chez de vrais amis qui vous aiment bien tous les deux.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat utilise l’adjectif « piscatoresque » vraisemblablement dérivé du nom latin « piscator » qui se traduit par « pêcheur ».

 

– Extraits d’une lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée de janvier 1888, publiée dans la Revue du Berry, janvier 1905, pages 7 et 8.

(page 7) (…)
Je suis absolument de ton avis. La nature doit être la mine poétique où je fouillerai l’observation ; je travaille par quintes, (page 8) on ne peut plus douloureusement, mais enfin je m’acharne et je m’acharnerai en conscience à poursuivre cette tâche Naturiste que je me suis imposée. Quant aux jaloux, chercheurs de poux et autres acarus de la critique liliputienne, je me contente de les plaindre en rigolant de leur impuissance.
(…)

J’attends avec impatience le 1er février pour me servir de ta belle ligne. L’autre jour, pêche merveilleuse à la râclure de boyaux de porc. 5 livres de chaboisseaux en 11 minutes. (4 poissons ! dont un de 2 livres ½ : c’est ma plus belle capture de l’année !)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée de 1888, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 268 à 270.

(page 268)

Fresselines, mercredi, 1888.

Mon cher Saint-Paul,

Ta lettre m’a fait grand plaisir en me prouvant une fois de plus que ton esprit s’intéresse à mon (page 269) art : je suis très touché de ta délicate attention et je te remercie de tout cœur.

L’effet de cette température abominable s’est particulièrement fait sentir dans notre cerveau qu’elle a pour ainsi dire obscurci et vidé : encore quelques mois d’une pareille rigueur et notre hypocondrie deviendrait de l’idiotisme ! Mais voici le beau temps qui va t’amener ici, et je compte sur ta bonne influence pour nous remettre dans notre état normal.

J’attends pour Pâques MM. Geffroy et Mullem (ce si extraordinaire pianiste !) S’il peut t’être agréable de faire la connaissance de ces deux artistes on ne peut plus simples et bons garçons, je t’enverrai un télégramme, aussitôt que je serai fixé sur leur arrivée : cela en raison du court séjour qu’ils peuvent se permettre à cause de leurs constantes occupations journalières. Cette fois-ci pourtant, je compte obtenir d’eux trois ou quatre jours.

On me dit partout que la truite monte aux raides, et qu’elle va pulluler cette année : tu sais qu’avril est le meilleur mois pour cette pêche : si tes rhumatismes ne te font pas trop souffrir, arrive donc le plus tôt possible.

Au revoir, mon cher Saint-Paul, si tu viens sur mon télégramme, avise-moi de la même manière, et j’irai te prendre à Dun, avec un vrai cheval, cette fois.
(…)

 

Remarque de Régis Crosnier : En 1888, le jour de Pâques se situait le Dimanche 1er avril. La lettre a donc été envoyée en mars (ou en février, mais c’est moins vraisemblable) 1888.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée du 15 avril 1888, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 270 à 272.

(page 270)

15 avril 1888.

Mon cher Saint-Paul,

Des empêchements imprévus ont obligé ces messieurs de la Justice à rester à Paris pendant les vacances de Pâques. De là mon silence. Du reste, la température abominable de ces derniers temps n’était véritablement pas engageante pour un voyage à la campagne.

Mais voici que le vrai printemps se réveille et que les beaux jours s’organisent ; nous t’attendons dès maintenant avec impatience. Arrive le plus tôt possible, et apporte tes lignes à brochets. Il paraît qu’il y en a beaucoup dans la Sedelle, particuliè-(page 271)rement dans une certaine écluse très profonde, à quelques lieues de Fresselines. A présent, les longues excursions nous deviendront faciles, commodément véhiculés que nous serons par le bon trot d’un vrai cheval qui abat sans se gêner ses vingt kilomètres à l’heure.

A tout à l’heure, n’est-ce pas ? mon cher Saint-Paul. Profite du beau temps, et toi qui t’es improvisé si fin pêcheur de truites, dis-toi bien qu’avril est la meilleure époque pour les nombreux accrochements de ce joli poisson. Pas plus tard qu’hier dans la Sedelle, Cécile en a pris une toute mignonne, mais bien dodue, dont ma sauce au beurre chapeluré a fait un mets délectable.

Voici ce que nous te proposons si cela ne doit pas te fatiguer : tu t’arrêterais à Saint-Sébastien où nous serions avec la voiture. De là à la Sedelle, il n’y a qu’une petite trotte. Nous pourrions déjeuner au bord de l’eau et pêcher la truite jusqu’au soir. Il est bien entendu que je me serais muni de toutes les provisions nécessaires pour que ce petit-déjeuner en plein paysage soit une réconfortante et savoureuse opération. Si tu préfères venir directement par Dun, à ton gré. J’irai te chercher à l’endroit que tu me désigneras. Cécile se joint à moi pour te biger bien affectueusement.

Ton vieux cousin et ami.

(page 272)

N’oublie pas d’apporter ton violon. Qui sait ? Mullem pourrait peut-être bien venir pendant ton séjour, et c’est pour le coup que tu aurais un accompagnateur extraordinaire.

J’embrasse ma tante de tout cœur.

 

Remarque de Régis Crosnier : L’expression « ces messieurs de la Justice » concerne Gustave Geffroy et Louis Mullem. Gustave Geffroy a été secrétaire de la rédaction de ce journal du 2 septembre 1882 au 14 décembre 1885 ; Louis Mullem lui a succédé et est resté à ce poste jusqu’au 9 octobre 1888.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy, datée du 16 juin 1888, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 272 à 274.

(page 272)

Le 16 juin 1888.

Mon cher Geffroy,

Nous vous attendons très prochainement comme votre bonne lettre nous le fait espérer.

Tâchez d’amener Jourdain et Claude Monet : grâce à la mère Baronnet on trouvera toujours le moyen de loger tout le monde. Jourdain me doit une visite depuis cinq ans, et je serais bien heureux de faire la connaissance du maître-peintre que j’admire profondément. Je vous envoie ci-joint les deux strophes du « Ciel » que j’avais changées, pour enlever la répétition du mot tout : ainsi modifiées, j’évite cette répétition, et je conserve l’ex-(page 273)pression tout charbonneux qui est évidemment d’une vérité plus âpre et plus pittoresque. Les deux strophes se suivant, vous n’aurez qu’à les coller sur les autres.

Je crois vous avoir dit que j’avais acheté un bon attelage : charrette anglaise légère et solide avec jument pourrie de sang, très douce et trotteuse infatigable. Nous allons donc pouvoir nous véhiculer au gré de notre fantaisie par tous ces merveilleux paysages : j’aurai d’ailleurs, selon le nombre de personnes, les voitures nécessaires. Je regrette beaucoup que vous n’ayez pu venir pendant que mon cousin était là, vous auriez fait la connaissance d’un dilettante on ne peut plus subtil, et vous auriez mangé des truites matin et soir. Mme Baronnet vous est bien reconnaissante et je me joins à elle pour vous remercier cordialement.

L’abbé Daure vous réclame et le vicomte de la Celle serait enchanté de vous revoir. Il vient souvent à la maison jouer le 31 avec le curé. Une fois désengourdi de sa tristesse, il devient hilare et communicatif. C’est un très bon homme qu’il faut connaître et dont j’apprécie de plus en plus le voisinage distingué.

Entendez-vous donc bien avec Mullem et Bonnetain, pressez Jourdain et Claude Monet, et arrivez-nous le plus tôt possible. La pêche est ouverte (page 274) depuis le 15 courant, nous pourrons agrémenter notre flânerie lézardesque de quelques coups de ligne dans les dormants, les raides et les remous.

A tout à l’heure, mon cher ami, poignées de main cordiales à Mullem et Bonnetain, et recevez notre plus affectueux souvenir. Pour vous décider à venir respirer sur place la bonne odeur de son jardin, Cécile vous envoie une petite boite de roses.

Votre ami qui vous attend tous et qui compte bien vous garder longtemps.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy, datée de janvier 1889, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 274 à 276.

(page 274)

Fresselines, janvier 1889.

Mon cher Geffroy,

Rien ne peut nous faire plus de plaisir que la nouvelle de votre prochaine venue avec Mullem et Rodin : entendez-vous donc sûrement et arrivez-nous à la fin du mois. Je comprends d’autant mieux (page 275) vos tristesses, que moi-même je suis fortement englué dans le marasme. Le goût de la pêche m’en décolle un peu en ressuscitant pour quelques heures ma défunte activité. De temps à autre aussi, je travaille ferme, soit d’observations, soit de formules. Ne faut-il pas que j’évite le plus possible le face à face avec moi-même, ce moi-même si narquoisement funèbre et nihiliste, inutilisant jusqu’aux choses qui pourraient le distraire, ramenant tout à la mort et pourtant si cramponné à la rampe de la vie !

Au moins, pendant que je pêche et que je compose, je n’entends pas ricaner l’à quoi bonisme, et je trouve excellentes les siestes du coin du feu, de la table et du lit, après que j’ai longuement fatigué mon corps ou ma pensée.

Je voudrais arriver à bien équilibrer mes labeurs et mes distractions. Le jour où mon existence serait réglée de la sorte, l’ennui qui me ronge actuellement tournerait au profit de mes occupations dont il deviendrait le piment artistique.

Au revoir, et à bientôt, mon cher ami ! Merci du fond du cœur pour tout le dévouement que vous nous montrez.

Poignées de mains affectueuses à vous, à Mullem et à Rodin. Amenez donc Monet dont je serais si désireux de faire la connaissance.

(page 276)

Veuillez présenter mes respectueuses amitiés chez vous.

Merci encore et tout à vous.

P.-S. – Je compte envoyer prochainement au Figaro une fantaisie en prose. L’article est long : je crois qu’il pourra tenir environ 5 à 6 colonnes.

A la fin du mois !! sûrement, n’est-ce pas ! et surtout ne manquez point. Affectueusement.

 

Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat parle d’envoyer au Figaro « une fantaisie en prose ». Il s’agit de Pêcheurs de truites qui sera publié dans le Supplément littéraire du Figaro, du 26 janvier 1889, page 1.

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson datée du 5 février 1899, publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 135.

« La pêche à la raclure m’est très favorable et je commence à connaître les bons endroits. Je suis persuadé que vous sortirez des monstres des petits gouffres que je vous indiquerai. »

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy, datée du 11 février 1889, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 276 et 277.

(page 276)

Fresselines, 11 février 1889.

Mon cher ami,

Je tiens dès maintenant à vous exprimer toute ma reconnaissance pour l’étude que vous m’avez consacrée dans le Figaro du 9 courant : ces lignes sont si sauvagement intimes et pittoresques qu’elles semblent avoir été dictées par la chaumière qui m’abrite ou par tel ou tel arbre et rocher coutumiers (page 277) de mon passage. Je suis profondément touché et je vous remercie de tout mon cœur.

Même d’une façon anonyme le fait de figurer dans un article du Figaro a pénétré l’abbé Daure d’une joie considérable, et je suis sûr qu’il attachera encore plus de prix à mes musiques dans son église maintenant que vous en avez parlé si artistiquement.

Remerci encore mille et mille fois, poignées de main vigoureuses à vous, à Mullem et Rodin, et à très bientôt n’est-ce pas, gare de Dun le Palleteau ?

Cécile se joint à moi pour vous envoyer à tous ses meilleures amitiés.

Votre bien reconnaissant et affectueux,

 

Remarque de Régis Crosnier : L’article de Gustave Geffroy, intitulé Poète aux champs, est paru dans le Supplément littéraire du Figaro du 9 février 1889 (pages 2 et 3). Il décrit la vie de Maurice Rollinat à Fresselines et analyse la genèse de son livre L’Abîme.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet, datée du 28 février 1889, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 277 et 278.

(page 277)

Fresselines, 28 février 1889.

Mon cher Monet,

Nous sommes ravis de savoir que vous allez bientôt revenir dans notre belle solitude : aujourd’hui, elle est toute blanche, mais on sent pointer le prin-(page 278)temps sous la neige, et je crois que vous aurez de magnifiques journées pour peindre la plaine, la colline et le ravin.

Vous trouverez facilement une voiture à la Souterraine, et le trajet sera de trois heures environ. Sur ce parcours, le paysage est intéressant ; à moins que vous ne préfériez venir en voiture d’Argenton ; c’est à peu près le même trajet et le site est plus varié.

Nous avons gardé Mullem qui nous console d’être bloqués par la neige avec sa manière admirable d’interpréter Chopin.

Lui et le curé se joignent à nous pour vous envoyer une cordiale poignée de main.

Donc à bientôt, et mille amitiés.

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet, datée du 25 mai 1889, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 278 à 281.

(page 279)

Fresselines, 25 mars mai 1889.

(Remarque de Régis Crosnier : Cette lettre n’a pas pu être écrite le 25 mars car à cette date Claude Monet était encore à Fresselines, d’où il envoie ce jour-là deux lettres, l’une à Alice Hoschedé, l’autre à Auguste Rodin. Vu les faits décrits, il s’agit du 25 mai.)

Mon cher Monet,

Votre départ a fait le vide dans notre solitude, et c’est heureux pour nous que Saint-Paul nous (page 279) ait juste à ce moment-là rendu sa visite annuelle, sans quoi nous tombions dans le marasme au milieu d’un papillonnement d’idées noires. Ne cherchez pas à médire de vous-même : en même temps que vous réalisez le type absolu de l’artiste sincère, vous êtes le meilleur homme que nous ayons connu, doué toujours, même quand vous êtes le plus triste ou le plus préoccupé, de la parole ultra-sympathique, du bon sourire et du bon regard.

J’ai à vous remercier du réconfort moral et intellectuel que m’ont donné vos exhortations et votre exemple ! Grâce à vous, j’ai pris l’habitude de me coucher de bonne heure et je m’en trouve très bien à tous points de vue. Depuis que vous en avez fait ressortir les avantages, j’apprécie mieux mon séjour en pleine campagne, et vraiment à tout bien considérer, je me trouve plus heureux que le commun des mortels, puisque j’ai la liberté du travail et de la paresse : je me fais l’effet à moi-même d’être le roi de la fantaisie dans le sans-gêne de la nature. Nous vous regrettons tous, et Pistolet aussi, je vous le promets. On n’a qu’à lui dire : « Ah ! voilà Monsieur Monet ! » pour qu’aussitôt il se mette à piaffer, tourniquer, sauter, le tout entremêlé de moucheries et d’aboiements moitié plaintifs, moitié joyeux ; il court aux portes, renifle l’air du chemin (page 280) que vous aviez l’habitude de prendre avec lui, et fait encore maintes fois de fréquentes perquisitions dans l’escalier de la mère Baronnet. L’autre jour, j’ai revu votre arbre : toute la partie donnant sur la rivière s’est complètement refeuillée. Actuellement, la campagne est splendidement étoffée, jusque sur les côtes les plus sauvages où les genêts foisonnent si jaunes, que de loin on les prendrait pour d’immenses cimetières inclinés dont les croix seraient cachées sous des pullulements d’immortelles. Déjà, dans certains fonds, on remarque ce noircissement de la verdure dont je vous avais parlé, sur les hauteurs, les horizons enchantent les regards : c’est un infini d’ombre verte dans une immensité de fumée bleue.

Je me suis mis très sérieusement à la pêche à la truite dans les ruisseaux, et j’ai réussi au-delà de toute espérance. Hier, j’ai capturé quatre de ces jolis poissons, et je constate qu’avec un peu d’exercice j’arriverai prochainement à la dextérité qui se joue des obstacles. Nous vous remercions de tout cœur pour l’envoi des pommes que Ribaud le boucher doit nous rapporter aujourd’hui. Marie va se surpasser dans la cuisine gratinée de ces fruits succulents, et nous n’aurons qu’un regret, c’est que vous ne soyez pas là pour les déguster avec nous. Puisque le pays vous plaît et que vous ne vous êtes (page 281) pas ennuyé à Fresselines, nous comptons bien vous revoir à l’automne.

Au revoir mon cher Monet, bonne santé, bon travail. Donnez-nous de temps en temps de vos nouvelles et recevez avec tous mes remerciements, l’expression de notre plus sympathique amitié. Saint-Paul, Monsieur le Curé, la mère Baronnet, vous envoient leur meilleur souvenir, et Pistolet me fait comprendre qu’il voudrait vous donner une poignée de patte. Les Margots elles-mêmes remuent de la queue à votre intention, Tigreteau et le petit Satan vous miaulichotent leurs cordialités.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson datée d’avril 1890, publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 135.

« Les pêches aux goujons et à la truite sont déjà commencées, et bien que la température ne soit pas encore très favorable, nous aurons peut-être la chance de faire quelques jolies captures » (Lettre à A Sainson d’avril 1890).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet, datée de janvier 1891, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 291 à 293.

(page 291)

Fresselines, janvier 1891.

Mon cher Monet,

Je suis très touché ainsi que Cécile de votre affectueux souvenir : nous aussi nous parlons de vous bien souvent, et peu de jours se passent sans que Pistolet nous entende dire d’une voix surprise et précipitée : « Le voilà ! son monsieur Monet ! »

Ici le froid, comme partout, sévit terriblement, la campagne est littéralement couverte de neige : aussi loin que s’étendent les regards, on ne voit qu’une nappe blanche, plus ou moins plate ou mamelonnée, d’où émergent seulement les grands arbres maigres. Les deux Creuses, depuis deux mois, continuent à garder leur carapace de glace : sur leurs bords on coupe des bois que l’on débite au milieu des écluses gelées à une profondeur de dix-huit centimètres. Par conséquent, plus de pêches praticables : j’en profite pour travailler au coin de mon feu. Le Figaro prend bien mes poésies, mais ne les publie (page 292) pas souvent ; j’en ai fait un certain nombre depuis quelques temps, et je les tiens à sa disposition. Je vais aussi prochainement lui envoyer des articles en prose.

Si je m’enferme dans la campagne, c’est pour trois raisons : d’abord mon goût de la nature, ensuite ma santé, et enfin, mon budget qui réclame la plus grande économie. Que mes amis me trouvent une place de 3.000 francs appropriée à mes aptitudes, et je pars immédiatement pour Paris, car vraiment, avec les températures si détestables depuis quelques années, le séjour constant à la campagne devient très dur à pratiquer.

C’est entendu ! nous comptons absolument sur votre bonne promesse de venir au printemps prochain, et je souhaite qu’il soit beau pour que nous puissions visiter tout à notre aise les coins les plus mystérieux de mes solitudes. J’attends donc vous et les amis.

Cécile s’est occupée du vin gris en temps et lieu, mais, cette année comme l’autre, la gelée de septembre a détruit la récolte : on n’a pu s’en procurer nul part. Detroy est à Paris depuis deux mois. L’abbé Daure vous envoie comme tout le monde ses bons souvenirs. Au revoir, mon cher Monet ! Bon travail, bonne réussite et solide santé !

En attendant le plaisir de vous recevoir au prin-(page 293)temps, nous vous envoyons tous deux nos meilleures amitiés.

Bien affectueusement à vous,

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette, expédiée le 30 août 1892. (collection particulière).

(…) Je ne le sais que trop, moi qui vous parle, et si maintenant ma tristesse n’est plus corrosive, c’est qu’à moins d’appliquer ma Pensée sur des sujets purement naturistes, je la supprime à l’ordinaire par les occupations toutes matérielles.

Si, chaque jour, quelque temps qu’il passe, je vais m’asseoir au bord de la Creuse et pêcher pendant des heures, C’est qu’en agissant de la sorte, je suis sur de rembarrer le regret : je suis trop distrait par l’attention de mes yeux pour subir même un instant le face à face avec moi même. Je me surprends à revivre mon enfance, tant je m’amuse et m’émerveille aux plus petites choses. Je me fais l’effet d’un collégien en éternelles vacances, attiré surtout par ce qui éloigne les gens graves. La plastique et les nuances des choses suffisent à ma contemplation : je m’assoupis de leur immobilité ; je me distrais de leur bougerie. Je suis sans cesse le curieux d’un petit coin d’herbe où je trouve toujours quelque chose de neuf à observer. Au milieu de mes besognes rustiques, j’ai maintes fois, l’évocation de mes défunts particuliers. Ils m’apparaissent placides, bons fantômes familiers, en parfaite harmonie avec le calme de ce qui m’entoure, et moi je les regarde doucement, et je continue à m’occuper en leur présence impalpable. Cette vision là me console au lieu de m’attrister, parce qu’elle m’arrive tout naturellement suscitée par une songerie où le regret, sans rancune contre le sort, ne met seulement que sa piété. En somme, bien que toujours maladif, je me sens plus fort dans la vie. La campagne m’a sauvé de l’Ennui qui se ronge sur place ; elle m’a communiqué sa mélancolique sérénité ; je lui dois ma bonne philosophie toute simple, et ma résignation de plus en plus inclinée devant les lois de la Nature. Oh ! Si vous pouviez vous adonner à ce genre d’existence, comme je répondrais de votre pacification. Pêcher, chasser, cuisiner, canoter, etc. – tout ce qui fait travailler les membres et les yeux en ne réclamant que de l’Instinct ou de l’Intelligence sans pensée, voila les seuls vrais remèdes contre l’obsession du chagrin. Mais surtout, dans l’intervalle, pas de lecture troublante – aucune musique qui pleure, aucune conversation qui fouille ! rien qui puisse donner aux rêves noirs la moindre occasion de s’agiter. Essayez de ce régime, mon Cher Ami ; vous vous sentirez bientôt soulagé de vos idées funèbres, et vous reprendrez goût à la vie.

Tâchez donc de venir me voir à Fresselines : je suis presque sur qu’au bout de quelque temps passé avec moi, vous aurez le moral moins abattu.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Eugène Alluaud datée d’août 1893, dont le fac-similé a été publié dans Limoges illustré n° 147 du 1er décembre 1905, page 1974.

Châteauroux
août 93.

Mon Cher Alluaud

Je me doutais bien que les Vosges ne valaient pas notre pays.

Assurément, les campagnes de Creuse sont les plus complices du rêve, les plus communiantes dans leur intimité mystérieuse avec l’œil du peintre et la songerie du poëte.

Faites-y donc provision d’études et de santé.

Pour moi, je travaille en me résignant à souffrir toujours plus ou moins de mon rhumatisme sur lequel le prétendu si bon effet des Eaux d’Evaux ne s’est pas encore fait sentir.

Bien affectueusement à vous,

Maurice Rollinat.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot, non datée mais avant novembre 1897, publiée par Raoul Aubry dans son article Le suicide de Maurice Rollinat, paru dans Le Temps du 3 novembre 1903, page 3.

(…)
Je suis profondément touché de votre excellente lettre et je vous en remercie bien affectueusement. Quand irai-je à Paris ? Je ne sais trop ; je suis ici selon mes goûts dans la solitude ! – Et puis, il me faut la vision du plein ciel, des arbres et de l’eau. Et de quelle rivière, de quels arbres : encavés ravineusement au fond d’un paysage de roches, si effacé, si mort, dans un murmure que je ne sais pas au juste s’il couvre le bruit du silence ou le silence du bruit. C’est là, dans ce site couleur de ruines, que je creuse et recreuse les sujets entamés qui braillent à ma poursuite. J’y fais des ruminants pèlerinages, des haltes obsédées, et je n’en sors guère, le plus tard possible, que pour rentrer dans mon gîte non moins mystérieusement.

Voilà mon existence, et ma santé, s’en trouve bien. D’ailleurs, je n’ai pas la préoccupation de la renommée : j’abandonne cette denrée vide, et je laisse brouter l’égoïsme de ma pensée dans le bon coin de la fantaisie. Je ne travaille que pour moi, plutôt par hygiène morale que par besoin d’esprit ; je ne songe donc pas, de longtemps encore, à aucune espèce de publication nouvelle, et je me contente de manuscrire consciencieusement, au jour le jour, sans nul souci de l’avenir.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy datée du 3 janvier 1897, publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, page 199.

« Pour le moment, je me laisse vivre et je m’en trouve bien, je constate que la sagesse et la tempérance en toutes choses sont pour les malades nerveux les seules conditions du calme du corps et la patience de l’esprit. D’ailleurs, jusqu’à présent, le froid ne sévit guère et je peux encore, de temps à autre, aller prendre un chaboisseau sur le bord de mes deux rivières. »

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Georges Lenseigne, datée du 31 mars 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 298 et 299.

(page 298) (…)

Hélas ! je suis toujours souffrant, et comme j’ai dû renoncer au travail intellectuel parce qu’il me fatiguait trop, il m’arrive souvent de trouver la vie fade et le temps bien long ! Heureusement, il me reste l’amour du plein air, le goût de la promenade et la passion de la pêche à la ligne, qui me permet (page 299) tout à la fois d’exercer mon activité physique, et de cueillir au passage quelques jolies rencontres et observations naturistes.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot, datée du 9 novembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 305 à 307.

(page 305)

Mon cher vieux,

Merci de ta bonne lettre. Je ne vais pas trop mal grâce à mon régime que je suis avec la plus stricte (page 306) méticulosité. J’ai repris un peu mon travail que j’entremêle sans fatigue à mes pêches toujours pratiquées avec un nouveau plaisir, et dont le charme constant indemnise la fréquente infructuosité. En somme, tout compte fait de mes souffrances – épreuves et désillusions – j’ai encore du goût et de la curiosité à vivre au milieu des choses éternelles, apaisé par la solitude, distrait et consolé par la monotonie même de mon petit train-train et de mes occupations poético-piscatoresques.
(…)

Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat utilise l’adjectif « piscatoresque » vraisemblablement dérivé du nom latin « piscator » qui se traduit par « pêcheur ».

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat, datée du 24 novembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 303 à 305.

(page 303)

Ma Chère maman,

Voici maintenant seulement les brouillards d’hiver, mais sans froid vif. Ici jusqu’à présent il avait fait un temps exceptionnellement printanier : (page 304) Comme aux jours des plus fortes canicules, les mares s’étaient desséchées, la Creuse avait baissé, et on hésitait à mettre le bétail au pacage, par le plein soleil, tellement la mouche, assez rare cet été, fourmillait rageuse et mauvaise, par cette fin d’automne miraculeuse. A Fresselines, d’ailleurs, les feuillages se conservent plus longtemps que dans les pays de plaines, si bien que par ces journées chaudes, embrasant l’espace et illuminant le fond des ravins, j’avais vraiment la sensation d’un magnifique et interminable mois de juillet. Comme la pêche était devenue à peu près nulle par ces temps si clairs, j’en ai profité pour écrire quelques musiques et pensées, tout en entremêlant mon travail de flâneries et d’excursions. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée de décembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 307 à 309.

(page 308)

Fresselines, décembre 1897.

Mon cher Saint-Paul,

Nous sommes bien touchés de vos bons souhaits, et à notre tour nous vous envoyons les nôtres du fond du cœur, pour tout le meilleur possible, pour (page 308) la santé surtout qui est encore la fée souveraine de la misérable humanité.

Merci avec gourmandise du fin gibier que tu nous expédies. Il sera mangé savoureusement en pensant à vous autres, et pour cette fois, je ferai un écart de régime en remplaçant la tasse de thé par un verre de vin.

La mort de Béthune m’a mis du noir dans l’âme, et les trépas successifs de plusieurs de mes camarades et connaissances de Paris achèvent de m’ôter toute espèce d’illusionnement, et, si je m’écoutais, me rendraient lugubre à moi-même. Enfin ! je me résigne et je lutte par le travail et l’exercice : de temps à autre j’inscris une pensée, une mélodie, je prends un chaboisseau, j’empile des hameçons, je confectionne une sauce ; et, réglementée, adoucie par la monotonie des habitudes et l’invariabilité du régime, ma pauvre vie s’écoule tranquillisée et consolée, pour ainsi dire, par sa propre mélancolie. J’enregistre ta promesse et je compte absolument sur ta bonne venue au printemps prochain. Depuis un an, l’eau s’est maintenue suffisamment grande, et tout fait présager qu’il y aura beaucoup de truites à cette époque. N’oublie pas d’apporter ton violon qui interprète si bien ce que j’ai tâché de mettre dans ma musique. C’est au beau temps seulement que l’écriveur de la maison Heugel (page 309) pourra venir chez moi. Le « Ciel » et les « Visions roses » seront certainement les premières mélodies que je lui ferai écrire.

Donc, à ce printemps, n’est-ce pas, mon cher Saint-Paul ? Encore tous mes souhaits et remerciements à vous tous.

Je t’embrasse bien affectueusement ainsi que Nelly et le petit André.

Ton vieux cousin et ami.

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Hugues Lapaire, non datée, publié dans la Revue du Berry, 1904, page 66 dans l’article « Maurice Rollinat » d’Hugues Lapaire.

(…)
A deux cents mètres du bourg de Fresselines, ma maison qui est plutôt une chaumière, regarde une jolie petite route et un marais verdâtre fort animé en ce moment par le foisonnement des grenouilles. Elle est située dans un pays des plus pittoresques, ayant terres, prairies, châtaigneraies, vastes bruyères accidentées avec fouillis d’énormes ronces et de hautes fougères, ravineux pacages et montagneuses forêts. Toute la contrée est sillonnée d’eaux de source ruisselant dans des caves d’ombre et de verdure, à même l’amas moussu et lierreux des rocs et des racines d’arbres qui sont pêle-mêle sur leur parcours. Ajoutez à tout ce charme de sauvagerie que je suis à deux pas du confluent des deux Creuses au bord desquelles je vais maintes fois travailler en pêchant la truite et le barbillon.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Paulin de Vasson, datée du 8 octobre 1898, publiée par Georges Lubin dans la Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 10, juin 1971, pages 23 et 24

(page 23) (…)

Nous te remercions mille et mille fois du beau gibier que tu nous a (sic) envoyé. Qu’il soit un Zeube ou un Lèbe, il sera converti en un pâté élaboré par moi-même consciencieusement, tout comme un poème ou comme une Musique !

Je regretterai votre absence car j’aurais eu autant de fierté que de plaisir à vous présenter ce hachis onctueux dans ma vaste terrine jaune et verte que j’appelle à cause de sa forme violonesque : le Stradivarius de La Gourmandise. En tout cas, en la dégustant, nous boirons de tout cœur à vos bonnes santés.

Vous nous aviez promis de venir ce mois-ci avec M. le sous-préfet et sa femme. Laissez-vous donc tenter, et organisez ce petit voyage. Je vous montrerai de merveilleux paysages encore plus romantiques par ce temps de métamorphose des feuilles. Avisez-nous par un mot, et nous vous trouverons le nécessaire pour vous et vos amis.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat, datée du 25 octobre 1898, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 316 et 317.

(page 316)

Fresselines, le 25 octobre 1898.

Ma chère maman,

Depuis votre dernière lettre, la température a fort heureusement perdu de sa rigueur chaude ; les pluies ont un peu rafraîchi la pauvre terre crevassée et non moins avide de boire que les corps, les plantes et les pierres. Moi, si nerveux, si impressionnable, j’ai senti une amélioration dans mon état presque subite aussitôt que j’ai pu reprendre mes promenades et mes pêches sans avoir à me cacher du soleil comme je l’avais fait tout l’été. Malheureusement mes rivières sont de plus en plus dévastées par les braconniers du bourg et des environs. Cette pauvre Creuse qui, malgré son nom, est à l’ordinaire très peu profonde, se défend mal contre le tramail, l’épervier, la nasse, et tous les filets qu’on y tend, sans compter la pêche à la main et les barrages qui, pratiqués jour et nuit par des professionnels du (page 317) brigandage, arrivent à la dépoissonner totalement. Mes promenades, siestes et songeries au bord de l’eau, furent autrefois agrémentées par des surprises et des émotions de capture ; mais maintenant, je suis forcé de me remettre à la pêche du goujon, si je veux absolument prendre quelque chose. Encore, ces malheureux petits poissons, à force de râfles perpétuelles, ont-ils fini eux-mêmes par devenir tout à fait rares ! Si le pays n’était pas si beau et si commode à tout point de vue, il y a longtemps que j’en aurais cherché un autre avec une rivière moins dévastée. Enfin ! j’en ai pris mon parti, et je me résigne à cela comme au reste. Je me soigne et je travaille, je me sens devenir de plus en plus le philosophe campagnard. Au revoir, ma chère maman, bonne santé je vous souhaite. Suivez bien votre régime et prenez de la quinine quand vous vous sentirez fiévreuse. Je vous embrasse de toute mon âme.

Votre fils respectueux et dévoué.

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy datée de mai 1899, publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, pages 134 et 135.

« Je n’ai guère l’occasion d’aller à Crozant depuis surtout que je n’ai plus de voiture et que je remplace pour la pêche à la truite la Sédelle si lointaine par la petite Creuse et les ruisseaux qui sont à ma porte. »

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Albert Chantrier, datée du 25 octobre 1899, publiée dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 1 de novembre 1948, pages 4 et 5.

(page 4) (…)
Je bûche toujours dans des tons peut-être moins difficiles, mais je m’ingénie à truffer les chants, à étoffer les accords, je rêve de sens littéraires, je tâche d’inoculer à mes harmonies de contrebande tout le sens des mots, tout le retors de la pensée, je m’occupe aussi de prose et de poésie : la seule besogne artistique étant, par sa magie absorbante, par son pouvoir d’illusionnement, la plus vraiment efficace des consolations !

Je compte que l’été prochain vous viendrez passer au moins un mois à Fresselines, ainsi que vous me l’avez promis, alors, nous pourrons abattre de l’ouvrage sans fatigue, et prendre des journées en-(page 5)tières de récréation aux bords des deux Creuses, pêchant, fumant, contemplant, causant dans la bonne sauvagerie flânante et lézardeuse.
(…)

 

– Article d’Adolphe Brisson, « Maurice Rollinat, Pêcheur de truites », paru dans Le Temps du 25 octobre 1899, page 2.

(…) Devant nous se dressent les tours blanches du château de Puyguillon, que soutiennent dans les airs des blocs de rochers cyclopéens. Le spectacle est magnifique ; le poète ne se lasse pas de l’admirer ; et quoique ses yeux en possèdent tous les détails, il goûte un nouveau plaisir à me les décrire.

– Distinguez-vous là-bas, cette cabane, au milieu des arbres ? Je l’ai d’abord habitée. J’y ai composé mon volume des Apparitions. Puis, la trop grande humidité et la menace des rhumatismes m’ont contraint de regagner le sommet du coteau. Mais je redescends chaque mois dans ce vallon. C’est le lieu que je préfère entre tous. Je remonte le cours du torrent. A cinq cents mètres d’ici je trouve la solitude, le désert ; je suis loin des hommes, loin du monde, seul avec la nature ; je me couche dans les herbes je place mes lignes ; je tire de ma poche un crayon et un carnet ; je pense, je rêve, je jette des idées et des rimes sur le papier.

D’un geste immense, il embrasse l’horizon, les cîmes et les plaines, les pâturages et les forêts :

– Est-il rien de plus beau ? Et cette beauté est à ma mesure. Les Alpes et les Pyrénées m’oppressent, l’Océan m’écrase. Ce coin de paysage m’est un délice ; j’y suis chez moi ; je le comprends et il me pénètre ; il est assez large pour m’ouvrir l’imagination et assez intime pour ne pas l’effaroucher. J’aime tout ce qu’il renferme, les bêtes et les gens, les bœufs et les laboureurs. Les buissons des sentiers me sourient quand je chemine et les cailloux de la route sont mes amis.
(…)

 

Remarque de Régis Crosnier : Adolphe Brisson rapporte les paroles suivantes de Maurice Rollinat dites pendant la promenade au bord de la petite Creuse : « Distinguez-vous là-bas, cette cabane, au milieu des arbres ? Je l’ai d’abord habitée. J’y ai composé mon volume des Apparitions. Puis, la trop grande humidité et la menace des rhumatismes m’ont contraint de regagner le sommet du coteau. » Or, Maurice Rollinat a habité à Puy Guillon de mi-septembre 1883 à mars 1884, avant de s’installer à La Pouge. Il ne s’agissait pas d’une « cabane, au milieu des arbres », mais d’une maison au milieu du hameau, même si celui-ci est entouré d’arbres. Il y a commencé son livre L’Abîme qui est paru en 1886. Son volume Les Apparitions n’a été publié qu’en 1896.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Gabillaud, expédiée le 22 décembre 1899, publiée par Georges Lubin dans son article « Lettres inédites de Maurice Rollinat à divers correspondants » paru dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 11 de novembre 1972, pages 1 à 10.

(page 4)

Mon cher Poëte,

Vous avez raison d’aimer et de chanter les bords de la Creuse ; nous pouvons être fiers de nos paysages du centre si uniques, si personnels par l’impression de solitude magique et de savoureuse intimité qu’ils dégagent.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat, datée du 24 février 1900, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 321 et 322.

(page 321)

Le 24 février 1900.

Ma chère maman,

Je ne sais comment va la population de Châteauroux, mais ici, et dans les environs, tout le monde est malade, le mal de tête règne et la fièvre est installée. Moi-même, en dépit de mon hygiène et de mes soins méticuleux, j’ai senti redoubler les rhumatismes et je souffre actuellement de migraines violentes accompagnées de malaise général et de frissons fiévreux. Pourtant, jusqu’à présent je n’avais pas été trop mal et je m’étais supporté suffisamment pour pouvoir travailler chaque jour la composition musicale pendant des quatre heures de suite. Aussi ai-je beaucoup augmenté mon répertoire en même temps que j’ai acquis plus de science et de doigté. Grâce à mon piano je ne me suis presque pas aperçu de l’hiver, et ces journées froides, humides et pluvieuses ont passé plus vite peut-être que les plus belles journées de printemps ; (page 322) d’ailleurs, je réserve le travail de littéraire pour les époques tièdes et chaudes, étant donné qu’il m’est pénible de faire des vers ou de la prose assis à une table, tandis qu’en plein air, au bord de l’eau, tout en surveillant mes lignes, c’est un plaisir pour moi de rêver ma pensée et de l’écrire au crayon sur mon calepin. Je ne publierai du reste mon prochain volume qu’après l’Exposition ; j’ai donc du temps devant moi pour le préparer et si, comme je l’espère nous avons un bel été, au lieu d’aller à Paris manger de l’argent et me fatiguer, j’en profiterai pour pêcher et excursionner tout à mon aise, ce qui est pour moi la distraction suprême et le vrai moyen de féconder mon observation et de rajeunir mes idées. Au revoir, ma chère maman, je vous recommande la plus grande prudence par cette température si variable ; ne vous découvrez pas d’un fil avant que le soleil n’ait repris toute sa force ; mangez bien, de la viande et du poisson surtout qui sont les réconfortants par excellence des muscles et des os. Bonne santé je vous souhaite, en vous embrassant de tout cœur.

 Votre fils respectueux et dévoué.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Frémine, datée de janvier 1903, publiée par Jean-Bernard dans son article « Lettre parisienne » paru dans Le Petit Troyen du 7 septembre 1904, page 3.

Fresselines, janvier 1903.

Je t’en veux si peu mon cher Fremine, que je t’envoie du plus profond du cœur tous mes meilleurs souhaits et souvenirs dans une bonne embrassade bien fraternelle ; mais j’avoue que je serais content de toi si tu venais me voir ce printemps ou cet été.

Tu sais qu’à la maison tu seras aussi libre que chez toi, tu pourras t’isoler, travailler dans ta chambre, rester au gîte ou sortir, quant aux pêches de goujons, elles te seront facilitées par les distances si courtes de ma maisonnette aux deux Creuses et permettant de marcher sans fatigue et d’emporter un bon pliant sans finir par le trouver lourd. C’est entendu n’est-ce pas ? nous comptons sur ta bonne venue vers mai ou juillet.

Je te remercie des superbes vers que tu m’as dédiés : ils sont vibrants de couleur et de clarté, frais et chantants, pleins de souffle, comme ceux de ta belle jeunesse ! Bravo ! et tous mes meilleurs souhaits pour le succès de ton livre : « Au Pays Normand ».

Depuis que je t’ai vu, j’ai travaillé terriblement : la Musique m’a passionné, possédé, ensorcelé. J’ai fait près de cent œuvres nouvelles et vraiment ! – sotte vanité d’auteur à part – je crois qu’il y a là dedans, quelque chose de neuf, d’inattendu dans le sauvage, le douloureux, le lugubre, le fantastique dans la tendresse et le mystère de l’Amour.

Je me suis aussi depuis deux ans abîmé dans la réflexion, dans le creusement d’idées poussées jusqu’à leur quintessence, pour les conter ensuite dans une formule appropriée, d’une réduction nette et précise ; puis j’ai écrit des quantités de choses de tout genre : Bref ! j’ai en ce moment deux gros livres de prose que je compte envoyer vers la fin de ce mois chez Fasquelle. Au cas – et ça se pourrait très bien – où j’irai les porter moi-même, tu peux être sûr que je ne manquerai pas d’aller te voir pendant mon séjour dans la capitale.

En attendant, mon cher vieux, bonne santé ! bon travail ! le meilleur illusionnement possible dans la si plate et triste vie ! Cécile se joint à moi pour t’envoyer dans une bonne bigeade ses meilleurs vœux et ses amitiés.

Je t’embrasse encore bien affectueusement.

Ton fidèle,

Maurice Rollinat.

 

Remarques de Régis Crosnier :

Dans cette lettre, Maurice Rollinat écrit : « Je te remercie des superbes vers que tu m’as dédiés : ils sont vibrants de couleur et de clarté, frais et chantants, pleins de souffle, comme ceux de ta belle jeunesse ! Bravo ! et tous mes meilleurs souhaits pour le succès de ton livre : "Au Pays Normand". » Nous n’avons pas pu identifier de quels vers il s’agissait.

Quant au livre, le titre « Au Pays Normand » ne figure pas dans le catalogue général de la BnF. Nous y trouvons en ouvrages publiés après janvier 1903 :
– Poèmes et récits, Librairie d’éducation nationale, Paris, 1904, 279 pages ;
et – Promenades et rencontres, Librairie générale, Paris, 1905, 356 pages.

Les deux livres de prose que Maurice Rollinat annonce à Charles Frémine sont : En Errant, proses d’un solitaire, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, paru dans les premiers jours de novembre 1903 juste après son décès, 325 pages ; et Ruminations, proses d’un solitaire, Bibliothèque Charpentier, E. Fasquelle, Paris, novembre 1904, 296 pages (publié grâce à Gustave Geffroy).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Frémine, non datée (vraisemblablement début 1903), publiée dans Le Siècle du 24 octobre 1903, page 2.

Je bûche ferme. J’ai en chantier plusieurs livres de vers et de prose. Je m’engloutis surtout dans la musique qui me donne des joies et des sensations surnaturelles. Je tâche d’exprimer avec des sons tout l’imprécis, l’informe, le flottant, l’informulable de ma pensée.

Je fais maintenant des morceaux pour piano seul et je m’ingénie à rendre, par des notes évocatrices, la magie calme ou tourmentée, le clair ou le ténébreux, l’horreur ou la suavité de la nuit, ses silences, ses murmures stridents ou plaintifs, les surgissements vagues de ses silhouettes dans des paysages de pénombre.

Je m’intéresse tellement à cette composition où le raisonnement n’a aucune part, toute de sentiment mystique, d’une pression confuse et nerveuse, que je m’oublie à travailler pendant des six ou sept heures de suite, et que je quitte mon piano comme si je sortais d’un songe !

Tu vois que je ne m’ennuie pas à la campagne et je peux bien dire que je devrai à ma passion de la musique le charme et la consolation continus dans l’inspiration de ma solitude…

Maurice Rollinat.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Frémine, datée de juillet 1903, publiée dans Le Siècle du 24 octobre 1903, page 2.

Fresselines, juillet 1903.

Merci de ta bonne lettre, mon cher Frémine, et puisse ce petit séjour en Creuse avoir un peu ragaillardi le corps et l’esprit.

Quel malheur que tu ne sois pas resté un jour de plus à Fresselines. Tu aurais assisté avec plaisir et émotion à la prise d’un poisson magnifique que j’ai accroché au pont de Puy-Guillon, dans la grande nappe où le docteur avait pris ses anguilles. Oui, mon ami, le lendemain de ton départ, le dimanche par conséquent, j’étais allé à Puy-Guillon, en compagnie du cadavéreux Morphina – comme j’appelle notre étrange médecin vestonné de cuir – ; l’eau était forte, très troublée et tourmentée, avec des petites vagues tournoyantes qui se rabattaient et se creusaient sous les coups de rafale ; j’ai eu comme l’intuition d’une capture ; j’ai démouliné presque tout mon fil et je l’ai lancé le plus loin que j’ai pu avec une pierre bien calibrée.

Le courant qui bouillonnait devant la masse du remous m’empêchait, en dérangeant ma ligne, de voir l’effet d’une traction directe sur le scion et le moulinet, mais à un moment donné, m’apercevant que mon fil, tout là-bas, changeait de place et remontait vers les piles du pont, je ferrai vigoureusement à tout hasard, et je sentis une résistance reculeusement lourde et vivante. J’appelai le docteur qui prenant l’épuisette, pariait pour une grosse anguille, alors que moi, je l’avoue, j’espérais mieux, en tirant toujours avec une prudence inquiète et la plus stricte précaution.

Enfin, le poisson fut visible à fleur d’eau ! Je ne m’étais pas trompé ! C’était une truite superbe, qu’empocha prestement l’épuisette et qu’au milieu de l’admiration de tous les passants de rencontre, je rapportai heureux et fier à la maison. Elle pesait deux livres, était saumonée de peau et de chair, fut cuisinée onctueusement par Victorine, et nous a fait vivement regretter ton absence par la toute particulière exquisité de son goût, dont tu te serais pourléché comme une chatte.

Cela m’a redonné du courage ; mais, hélas ! les horribles chaleurs sévissent et les deux Creuses commencent à croupir avec de herbes dans le fond et de la sanie à la surface. Je n’ai plus qu’à me terrer dans l’ombre louche de mes stores, en attendant les cinq heures du soir où je descends m’asseoir dans le bois du Puy-Rajot, abreuvant mes tristes yeux de ce même verdoiement si monotone ! et retrouvé, pourtant, si neuf ! tous les jours.

Je n’ai pas de nouvelles de mon livre, – je n’y comprends rien.

Ton vieux fidèle

Maurice Rollinat

 

 

(NB : Ne figurent pas dans cette recherche les travaux des biographes de Maurice Rollinat comme Émile Vinchon, Hugues Lapaire ou Régis Miannay.)