Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT À LA PÊCHE |
Recherche documentaire
non exhaustive, réalisée par Régis Crosnier.
Version au 17 septembre 2023.
– I – Dans la correspondance de Maurice Rollinat ou de Cécile Pouettre
– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette, datée du 28 octobre 1874 (écrite à Paris) (collection particulière).
(…)
Et puis, je pourrai pêcher tout mon saoul ! J’aurai
un complet arsenal d’ustensiles de pêche : hameçons, appâts
préparés, canne à ligne, lignes de toute espèce, corde à anguilles,
etc. Si vous n’aimez pas passionnément la pêche à la ligne, vous ne
pouvez pas imaginer, mon cher ami, tout le charme qu’elle me donne à cet
égard, je fais l’étonnement de ma mère, d’Émile, et de tous ceux qui
me connaissent. On se demande comment le Maurice inquiet et si turbulent de
nature peut s’immobiliser pendant des heures entières sur une berge
monotone en face d’une eau toujours la même. Je n’essaierai pas d’expliquer
ma passion pour la pêche à la ligne. J’en raffole, voilà tout !
– Pourquoi ? – sans doute, parce que je hume toute l’étrangeté
qui se dégage d’une rivière dormante jusqu’à sembler morte, ou que
les émanations rafraîchissantes d’une eau torrentueuse magnétisent et
engourdissent mes névroses. C’est avec une perfidie si savoureuse que le
pêcheur-poëte s’installe au bord d’une nappe d’eau inerte émaillée
ça et la de nénuphars, en pleine solitude, sur un tertre semé de menthes
sauvages, sous des ramées centenaires tamisant le flambant azur !...
Je connais des bras de Creuse profondément encaissés entre des rocailles assez couvertes d’humus pour que les végétaux y puissent pousser et croître avec une entière sauvagerie. Aussi, quels coudriers ! Quelles châtaigneraies suspendues ! Quelles touffes de buis fauves sur les mystérieux escarpements ! Pourtant à travers ce fouillis d’herbes et d’arbustes qui semble fait pour la tristesse, de charmants oiseaux piaulent et voltigent. Au grand soleil, sur les cimes les plus vertes, les petites grenouilles chantent le beau temps, et dans les troncs des plus gros châtaigniers les piverts goguenards viennent ficher leurs longs becs acérés comme des épingles, en faisant parfois vibrer l’écho lointainement sonore de leurs plaisantes criailleries. Tout un petit monde invisible d’insectes bourdonne ou sifflote, et en frôlant les tas de feuilles sèches les remplissent de petits bruits si peu audibles pour l’oreille humaine qu’on dirait des soupirs de soupirs s’exhalant dans une brume rêvée !
On a dit que les harpes avaient quelquefois des sons qui
rappelaient le bruit des gouttes d’eau tombant une à une. C’est vrai,
et c’est surtout sur ces côtes boisées que j’essaie de vous peindre,
qu’il m’est arrivé d’entendre pleurer les fontaines herbeuses sortes
de cressonnières naturelles où vont boire les petits oiseaux. Ce sont des
harpes monocordes, sans doute, mais comme leur note unique émeut
délicieusement le poète ! Quelle perle chantante ! Quelle
mélodieuse monotonie ! Ainsi donc, voilà où je vais pêcher à la
ligne quand j’habite la campagne berrichonne. Figurez-vous alors, Mon Cher
Raoul, le bonheur inouï que j’éprouve en m’asseyant à l’ombre sur
une roche plate au bord de ces petits lacs limpides où foisonnent à toute
heure les plus téméraires gougeons !
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Camille Guymon, datée du 11 septembre 1877, publiée dans Le Divan d’avril-juin 1940, pages 224 à 226 (écrite à Bel-Air).
(…) Oh ! être seul, tout seul, dans un chemin la nuit ! Pourquoi donc ai-je un battement de cœur si particulier toutes les fois que je reviens de la pêche et qu’en traversant certains prés, je hâte le pas comme un malfaiteur ?
A quoi se passent mes journées, mon cher Camille ? à la pêche rêveuse, à la promenade agitée. Je regarde, j’écoute, j’observe. Je dirais même que j’épie la nature tant mes investigations sont téméraires et quasi dangereuses. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette, datée du 14 septembre 1877 (écrite à Bel-Air) (collection particulière).
(…)
La pêche, dont je raffole, est ma principale occupation.
J’ai des soupirs de remords à chaque poisson que j’enlève, mais je me
dis qu’ils mangeaient le ver, lequel mangeait le sol, et me voilà absous
de vouloir dévorer ces infortunés gougeons, tant il est vrai que l’homme
se sert de tous les prétextes pour justifier à ses propres yeux son
abominable barbarie. –
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette, écrite à Bel-Air et expédiée d’Argenton-sur-Creuse le 26 août 1878 (collection particulière).
(…)
Ma femme m’accompagne le plus souvent dans mes
excursions, comme aussi je rôde en solitaire sans jamais me fatiguer. (…)
En un mot, Bel Air me charme, et j’y passerais ma vie !
La pêche dont je raffole est ma principale occupation,
et je dois vous dire que j’excelle à tirer ma ligne avec une opportune
brusquerie. Je deviens un vrai pêcheur. J’en ai la patience et le
mutisme, aussi les gougeons craquent-ils fréquemment sous les dents de ma
femme qui les adore. – Jusqu’à présent, j’ai tellement travaillé
que je n’ai pu m’adonner à la pêche du gros poisson, mais maintenant
je vais m’y mettre, et comme un certain Moreau de Gargilesse, je veux
capturer des barbillons de 5 livres.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette, datée de juillet 1881 (reçue le 22 juillet – cachet de la Poste) (écrite à Paris) (collection particulière).
(…)
C’est pourquoi je vais m’enfuir dans mes brandes,
muni d’une canne à pêche à six bâtons bien emboîtables, et d’hameçons
irlandais pointus comme l’astuce et tortueux comme l’hypocrisie. Les 2
qualités abominables qu’il faut au pêcheur à la ligne pour accrocher le
museau gougeonesque.
J’ai été si ballotté par la vie, si déçu toujours, que c’est seulement à Bel Air, dans ce pays primitif où l’agriculture elle même a un caractère de sauvagerie, que je me sens redevenir doux et placide à la façon des bêtes qui broutent.
La turbulence de l’eau douce, ses rapides, dans ses
masses courantes et mousseuses n’a rien qui me rappelle le tohu-bohu des
foules, et c’est un mélancolique murmure que celui des feuilles et des
insectes cliqueteurs perdus et disséminés dans la campagne infiniment
verte. À Bel Air, je vis mieux, corps et âme, et la bête et l’esprit
ayant chacun leur compte, me laissent plus rasséréné, en meilleur
équilibre pour jouir des sensations et des pensées qui m’arrivent.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Léon Bloy, non datée (expédiée de Bel-Air, vraisemblablement en 1881 ou 1882), publiée par René Martineau dans Léon Bloy (Souvenir d’un ami) (Librairie de France, Paris, 1924, 150 pages), pages 41 à 44.
(…)
Tout le jour je pêche à la ligne ou bien j’écoute
vivre la nature et la nuit, je l’entends rêver. Car, au clair de lune
comme dans les plus épaisses ténèbres, j’ai surpris çà et là des
chuchotements qui n’ont pas le caractère diurne et dont le sens bien qu’inintelligible
tout d’abord, n’en devient pas moins horriblement précis pour qui sait
lire dans les broussailles et communier avec les pierres.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Jules Barbey d’Aurevilly, datée du 9 décembre 1883, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 246 à 250.
(…)
Je suis si dénué d’ambition, et je tiens si peu à ce
qu’on ne m’oublie pas, que je trouve dans mon désert un apaisement
singulier. Je connais deux ou trois braconniers, espèces de songeurs en
blouse, qui ont un langage grogné, mimé, très furtif et coupé de longs
silences. Leur gesticulation ressemble à des mouvements d’arbre, leurs
yeux luisent comme ceux des loups, et leur son de voix tient assez de ce
vague murmure qui sort des objets inanimés. Avec eux, j’excursionne, je
chasse, je pêche au filet, et la nuit, qui vient sitôt maintenant, nous a
surpris plus d’une fois sur des berges scabreuses ou dans des vallées
inquiétantes. Chemin faisant, ils m’instruisent de leurs observations
vulpesques et satanisent le paysage par les diableries qu’ils me content
au bruit claquant, lourd et régulier de leurs grands pas saboteux.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat utilise l’adjectif « vulpesque » vraisemblablement dérivé du nom latin « vulpus » qui se traduit par « renard ».
– Lettre de Maurice Rollinat à Louis Mullem et Gustave Geffroy, datée du 17 août 1887, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 265 à 268.
(…) Cécile et moi continuons nos promenades piscatoresques au bord de la Creuse. Je me suis mis à pratiquer la pêche à la sautille, et j’ai failli prendre un chevenne d’une bonne livre. Mais il faut laisser bien mordre, et ferrer juste à temps. Cela va me demander un certain apprentissage que facilitera ma patience. (…)
Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat utilise l’adjectif « piscatoresque » vraisemblablement dérivé du nom latin « piscator » qui se traduit par « pêcheur ».
– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée de janvier 1888, publiée dans la Revue du Berry, janvier 1905, pages 7 et 8.
(…)
J’attends avec impatience le 1er février
pour me servir de ta belle ligne. L’autre jour, pêche merveilleuse à la
râclure de boyaux de porc. 5 livres de chaboisseaux en 11 minutes. (4
poissons ! dont un de 2 livres ½ : c’est ma plus belle capture
de l’année !)
– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée de 1888 (vraisemblablement mars 1888), publiée dans Fin d’Œuvre, pages 268 à 270.
(…)
On me dit partout que la truite monte aux raides, et qu’elle
va pulluler cette année : tu sais qu’avril est le meilleur mois pour
cette pêche : si tes rhumatismes ne te font pas trop souffrir, arrive
donc le plus tôt possible.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Saint-Pol Bridoux, datée du 15 avril 1888, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 270 à 272.
(…)
A tout à l’heure, n’est-ce pas ? mon cher
Saint-Paul. Profite du beau temps, et toi qui t’es improvisé si fin
pêcheur de truites, dis-toi bien qu’avril est la meilleure époque pour
les nombreux accrochements de ce joli poisson. Pas plus tard qu’hier dans
la Sedelle, Cécile en a pris une toute mignonne, mais bien dodue, dont ma
sauce au beurre chapeluré a fait un mets délectable.
Voici ce que nous te proposons si cela ne doit pas te
fatiguer : tu t’arrêterais à Saint-Sébastien où nous serions avec
la voiture. De là à la Sedelle, il n’y a qu’une petite trotte. Nous
pourrions déjeuner au bord de l’eau et pêcher la truite jusqu’au soir.
Il est bien entendu que je me serais muni de toutes les provisions
nécessaires pour que ce petit-déjeuner en plein paysage soit une
réconfortante et savoureuse opération. Si tu préfères venir directement
par Dun, à ton gré. J’irai te chercher à l’endroit que tu me
désigneras. Cécile se joint à moi pour te biger bien affectueusement.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy, datée du 16 juin 1888, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 272 à 274.
(…)
Entendez-vous donc bien avec Mullem et Bonnetain, pressez
Jourdain et Claude Monet, et arrivez-nous le plus tôt possible. La pêche
est ouverte depuis le 15 courant, nous pourrons agrémenter notre flânerie
lézardesque de quelques coups de ligne dans les dormants, les raides et les
remous.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy, datée de janvier 1889, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 274 à 276.
Mon cher Geffroy,
Rien ne peut nous faire plus de plaisir que la nouvelle de votre prochaine venue avec Mullem et Rodin : entendez-vous donc sûrement et arrivez-nous à la fin du mois. Je comprends d’autant mieux vos tristesses, que moi-même je suis fortement englué dans le marasme. Le goût de la pêche m’en décolle un peu en ressuscitant pour quelques heures ma défunte activité. De temps à autre aussi, je travaille ferme, soit d’observations, soit de formules. Ne faut-il pas que j’évite le plus possible le face à face avec moi-même, ce moi-même si narquoisement funèbre et nihiliste, inutilisant jusqu’aux choses qui pourraient le distraire, ramenant tout à la mort et pourtant si cramponné à la rampe de la vie !
Au moins, pendant que je pêche et que je compose, je n’entends
pas ricaner l’à quoi bonisme, et je trouve excellentes les siestes du
coin du feu, de la table et du lit, après que j’ai longuement fatigué
mon corps ou ma pensée.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet, datée du 25 mai 1889, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 278 à 281.
(…)
Je me suis mis très sérieusement à la pêche à la
truite dans les ruisseaux, et j’ai réussi au-delà de toute
espérance. Hier, j’ai capturé quatre de ces jolis poissons, et je
constate qu’avec un peu d’exercice j’arriverai prochainement à la
dextérité qui se joue des obstacles. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Paul Bonnetain, datée d’avril 1890, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 287 et 288.
(…) Je suis très touché du vif intérêt que vous voulez bien me témoigner, et je vous en suis mille fois reconnaissant. Cet hiver, j’ai traversé tant d’épreuves de toute nature que, pour me distraire, j’ai vécu constamment dehors, faisant des lieues au bord de la Creuse, où je pêchais le chevenne à la ligne flottante. Aussi, ai-je dû renoncer à la Prose qui, au rebours de la Poésie, me condamne à l’emprisonnement dans ma chambre. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet, datée de janvier 1891, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 291 à 293.
(…)
Ici le froid, comme partout, sévit terriblement, la
campagne est littéralement couverte de neige : aussi loin que s’étendent
les regards, on ne voit qu’une nappe blanche, plus ou moins plate ou
mamelonnée, d’où émergent seulement les grands arbres maigres. Les deux
Creuses, depuis deux mois, continuent à garder leur carapace de
glace : sur leurs bords on coupe des bois que l’on débite au milieu
des écluses gelées à une profondeur de dix-huit centimètres. Par
conséquent, plus de pêches praticables : j’en profite pour
travailler au coin de mon feu. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson, datée du 9 juin 1892. Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat – Étude biographique et littéraire, pages 195 et 196.
(…)
Le séjour à Paris m’avait fatigué beaucoup, je m’en
ressens surtout maintenant, mais je me suis remis au régime, j’ai repris
ma bonne existence de pêche et de flânerie artistique et j’espère
retrouver promptement la tranquillité du corps et de l’esprit.
(…)
– Lettre de Cécile Pouettre à Lucien Descaves datée
du 24 octobre (vraisemblablement 1894).
D’après une copie manuscrite – collection de la
médiathèque Équinoxe (Châteauroux – Indre), dossier « Maurice
Rollinat – Correspondance II ».
(…)
Vous devriez venir réveillonner avec nous, vous verriez
la Creuse sous son aspect sévère qui n’est pas moins intéressant. Je ne
crois pas que nous allions à Paris cet hiver. Maurice n’en a nul désir.
Il rêve en ce moment la continuité de sa vie actuelle. La pêche est
fructueuse et c’est tout pour lui !
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Cécile Pouettre (à
Paris suite au décès de sa mère) non datée (mais du 1er juin
1895).
D’après une copie manuscrite – collection de la
médiathèque Équinoxe (Châteauroux – Indre), fonds « Émile Vinchon,
n° 9 ».
(…)
Ici notre vie se sauve de la tristesse par la règle et l’activité :
nous mangeons à heures fixes et partons pour la pêche qui nous occupe le
corps en nous apaisant l’esprit. Detroy est vraiment l’ami qu’il me
fallait dans la circonstance, à la fois mélancolique et drôle, sachant
respecter le malheur tout en célébrant la bouffonnerie. Nous avons pris
encore assez de poissons : les anguilles dominent. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Cécile Pouettre (à
Paris suite au décès de sa mère) non datée (mais avant la mi-juin 1895).
D’après l’original – collection de la médiathèque
Équinoxe (Châteauroux – Indre), fonds « Émile Vinchon, n° 9 ».
(…) Hier, j’ai encore pris 2 anguilles et une tanche, juste à l’endroit où tu en avais pris une dans le temps, au trou aux carpes. Detroy était épaté ! il dit que c’est désormais la seule pêche fructueuse à faire dans nos rivières de plus en plus basses et appauvries. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Cécile Pouettre (à
Paris), non datée (mais postérieure à mai 1895).
D’après une copie manuscrite – collection de la
médiathèque Équinoxe (Châteauroux – Indre), dossier « Maurice
Rollinat – Correspondance II ».
Ma Chère Petite Cilette,
J’arrive à dix heures du soir avec l’excellent Paul, venant de pêcher le gardon dans la Bouzanne.
Nous sommes partis ce matin à 7 heures, par un temps
magnifique qui s’est maintenu toute la journée. Les bords de la Bouzanne
ne valent pas ceux de la Creuse, et je n’irai certes pas tendre mes lignes
à grelot dans cette rivière herbeuse et nénuphareuse comme j’en avais l’intention.
C’est du mauvais pittoresque, bourgeois et monotone, et qui paraît plus
fade quand on connait nos admirables sites. En somme, j’aurai pris le
grand air, et c’est tout : aucune grande impression ne me restera de
cette longue pêche en pays plat.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : « L’excellent Paul » est René Paul, un ami de Maurice Rollinat (René Paul est né le 27 août 1848 à Chabanais, Charente ; il s’est marié avec Gabrielle Aufrère, le 7 juin 1875 à Châteauroux). René Paul est le dentiste de Maurice Rollinat, il exerce à Châteauroux.
– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lenseigne, datée du 4 juin 1896, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 297 et 298.
(…)
Pour moi, je suis toujours très souffrant, faible, en
proie aux malaises, dans une espèce de convalescence indéfinie. Je me
soigne d’une façon méticuleuse, j’ai adopté un régime alimentaire,
que je suis sans écart, et je vis animalement, me désintéressant par ma
volonté de tout ce qui pourrait m’exciter ou m’inquiéter l’esprit,
ne dépensant plus d’intelligence que pour les ruses de la pêche, qui
reste désormais ma seule et unique préoccupation.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Georges Lenseigne, datée du 31 mars 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 298 et 299.
(…)
Hélas ! je suis toujours souffrant, et comme j’ai
dû renoncer au travail intellectuel parce qu’il me fatiguait trop, il m’arrive
souvent de trouver la vie fade et le temps bien long ! Heureusement, il
me reste l’amour du plein air, le goût de la promenade et la passion de
la pêche à la ligne, qui me permet tout à la fois d’exercer mon
activité physique, et de cueillir au passage quelques jolies rencontres et
observations naturistes.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Émile Goubert, datée du 4 octobre 1897, en vente aux enchères à Lyon, le 11 avril 2018.
(…)
Grâce à toi je ne vais pas trop mal et je peux m’en
aller bravement à la pêche au chevenne qui va devenir fructueuse pour peu
que le froid augmente ou que le brouillard s’accentue.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot, datée du 9 novembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 305 à 307.
Mon cher vieux,
Merci de ta bonne lettre. Je ne vais pas trop mal grâce
à mon régime que je suis avec la plus stricte méticulosité. J’ai
repris un peu mon travail que j’entremêle sans fatigue à mes pêches
toujours pratiquées avec un nouveau plaisir, et dont le charme constant
indemnise la fréquente infructuosité. En somme, tout compte fait de mes
souffrances – épreuves et désillusions – j’ai encore du goût et de
la curiosité à vivre au milieu des choses éternelles, apaisé par la
solitude, distrait et consolé par la monotonie même de mon petit
train-train et de mes occupations poético-piscatoresques.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Maurice Rollinat utilise l’adjectif « piscatoresque » vraisemblablement dérivé du nom latin « piscator » qui se traduit par « pêcheur ».
– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat, datée du 24 novembre 1897, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 303 à 305.
Ma Chère maman,
Voici maintenant seulement les brouillards d’hiver, mais sans froid vif. Ici jusqu’à présent il avait fait un temps exceptionnellement printanier : Comme aux jours des plus fortes canicules, les mares s’étaient desséchées, la Creuse avait baissé, et on hésitait à mettre le bétail au pacage, par le plein soleil, tellement la mouche, assez rare cet été, fourmillait rageuse et mauvaise, par cette fin d’automne miraculeuse. A Fresselines, d’ailleurs, les feuillages se conservent plus longtemps que dans les pays de plaines, si bien que par ces journées chaudes, embrasant l’espace et illuminant le fond des ravins, j’avais vraiment la sensation d’un magnifique et interminable mois de juillet. Comme la pêche était devenue à peu près nulle par ces temps si clairs, j’en ai profité pour écrire quelques musiques et pensées, tout en entremêlant mon travail de flâneries et d’excursions. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat, datée du 25 octobre 1898, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 316 et 317.
Ma chère maman,
Depuis votre dernière lettre, la température a fort heureusement perdu de sa rigueur chaude ; les pluies ont un peu rafraîchi la pauvre terre crevassée et non moins avide de boire que les corps, les plantes et les pierres. Moi, si nerveux, si impressionnable, j’ai senti une amélioration dans mon état presque subite aussitôt que j’ai pu reprendre mes promenades et mes pêches sans avoir à me cacher du soleil comme je l’avais fait tout l’été. Malheureusement mes rivières sont de plus en plus dévastées par les braconniers du bourg et des environs. Cette pauvre Creuse qui, malgré son nom, est à l’ordinaire très peu profonde, se défend mal contre le tramail, l’épervier, la nasse, et tous les filets qu’on y tend, sans compter la pêche à la main et les barrages qui, pratiqués jour et nuit par des professionnels du brigandage, arrivent à la dépoissonner totalement. Mes promenades, siestes et songeries au bord de l’eau, furent autrefois agrémentées par des surprises et des émotions de capture ; mais maintenant, je suis forcé de me remettre à la pêche du goujon, si je veux absolument prendre quelque chose. Encore, ces malheureux petits poissons, à force de râfles perpétuelles, ont-ils fini eux-mêmes par devenir tout à fait rares ! Si le pays n’était pas si beau et si commode à tout point de vue, il y a longtemps que j’en aurais cherché un autre avec une rivière moins dévastée. Enfin ! j’en ai pris mon parti, et je me résigne à cela comme au reste. (…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Anatole Sainson datée
du 5 février 1899.
Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat
– Étude biographique et littéraire, page 135.
(…)
La pêche à la raclure m’est très favorable et je
commence à connaître les bons endroits. Je suis persuadé que vous
sortirez des monstres des petits gouffres que je vous indiquerai.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Alphonse Ponroy datée
de mai 1899.
Extrait publié par Émile Vinchon dans Maurice Rollinat
– Étude biographique et littéraire, pages 134 et 135.
(…)
Je n’ai guère l’occasion d’aller à Crozant depuis
surtout que je n’ai plus de voiture et que je remplace pour la pêche à
la truite la Sédelle si lointaine par la petite Creuse et les ruisseaux qui
sont à ma porte.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Saint Pol Bridoux datée de décembre 1900, écrite à Fresselines (collection particulière).
(…)
Jusqu’à présent, les Creuses se sont tenues grandes,
et comme la pluie n’a pas dit son dernier mot, Elles devront monter
encore. Il y aura donc de l’eau au printemps et beaucoup de truites d’après
le dire des meuniers.
Fais donc en sorte, cette année, de nous arriver avec
Nelly et André, dès le mois de mai. Nous vous ferons voir le pays ;
nous irons pêcher sur la Sédelle, La Brézentine et dans la grande Creuse
à Pilaudon.
(…)
– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat datée
de mai 1901.
D’après une copie manuscrite – collection de la
médiathèque Équinoxe (Châteauroux – Indre), dossier « Maurice
Rollinat – Correspondance II ».
(…)
Je ne sais quelle température vous avez en ce moment à
Châteauroux, mais ici, elle est abominable, continuant en pluies, vents,
orages et bourrasques les cinq mois de froidure dont pour ma part j’ai
tant souffert. La campagne qui serait si réjouie et si charmante avec un
vrai soleil et un bel azur est au contraire languissante et presque laide
avec ses pauvres floraisons tourmentées, secouées par les rafales, noyées
par les averses, en quelque sorte obscurcies et décolorées par l’ombre
des airs hostiles et le reflet fumeux des mauvais nuages. Je comptais bien
pourtant qu’Avril et Mai seraient les chers magiciens de mon cœur et de
mes yeux et qu’ils m’indemniseraient par leur suave douceur de tout le
mal enduré pendant cet hiver maudit.
Et puis, je comptais, puisque les deux Creuses s’étaient
tenues grandes depuis six mois, qu’il y aurait beaucoup de truites au
printemps, et que je pourrais faire quelques belles pêches. Or, le temps
est si peu de saison que l’on ne voit pas plus de moucherons sur l’eau
que de fourmis par les chemins, par conséquent, aucune circulation de
poisson ! J’en suis donc réduit en fait de pêche à la ligne à
tromper simplement du fil dans l’eau, sans aucun espoir de réussite.
Enfin ! la sortie est encore une distraction et je suis heureux dans
mes souffrances, d’avoir encore de bonnes jambes qui me permettent de
monter et de descendre comme une chèvre par les côtes et les ravins.
(…)
– Lettre de Maurice à Charles Frémine, datée de juillet 1903, publiée dans Le Siècle du 24 octobre 1903, page 2, article « Maurice Rollinat » non signé.
Fresselines, juillet 1903.
Merci de ta bonne lettre, mon cher Frémine, et puisse ce petit séjour en Creuse avoir un peu ragaillardi le corps et l’esprit.
Quel malheur que tu ne sois pas resté un jour de plus à Fresselines. Tu aurais assisté avec plaisir et émotion à la prise d’un poisson magnifique que j’ai accroché au pont de Puy-Guillon, dans la grande nappe où le docteur avait pris ses anguilles. Oui, mon ami, le lendemain de ton départ, le dimanche par conséquent, j’étais allé à Puy-Guillon, en compagnie du cadavéreux Morphina – comme j’appelle notre étrange médecin vestonné de cuir – ; l’eau était forte, très troublée et tourmentée, avec des petites vagues tournoyantes qui se rabattaient et se creusaient sous les coups de rafale ; j’ai eu comme l’intuition d’une capture ; j’ai démouliné presque tout mon fil et je l’ai lancé le plus loin que j’ai pu avec une pierre bien calibrée.
Le courant qui bouillonnait devant la masse du remous m’empêchait, en dérangeant ma ligne, de voir l’effet d’une traction directe sur le scion et le moulinet, mais à un moment donné, m’apercevant que mon fil, tout là-bas, changeait de place et remontait vers les piles du pont, je ferrai vigoureusement à tout hasard, et je sentis une résistance reculeusement lourde et vivante. J’appelai le docteur qui prenant l’épuisette, pariait pour une grosse anguille, alors que moi, je l’avoue, j’espérais mieux, en tirant toujours avec une prudence inquiète et la plus stricte précaution.
Enfin, le poisson fut visible à fleur d’eau ! Je
ne m’étais pas trompé ! C’était une truite superbe, qu’empocha
prestement l’épuisette et qu’au milieu de l’admiration de tous les
passants de rencontre, je rapportai heureux et fier à la maison. Elle
pesait deux livres, était saumonée de peau et de chair, fut
cuisinée onctueusement par Victorine, et nous a fait vivement regretter ton
absence par la toute particulière exquisité de son goût, dont tu te
serais pourléché comme une chatte.
(…)
– II – Dans des articles de presse ou de revues
– L’Hirondelle – Revue littéraire,
pédagogique et artistique – Organe hebdomadaire de l’Académie de l’Ouest,
n° 44 du 31 octobre 1885, pages 345 et 346 et n° 45 du 7 novembre 1885, pages
354 et 355.
Article « Maurice Rollinat – L’Homme et l’Artiste »
d’Alphonse Ponroy
(page 346) (…) C’est un pêcheur, et les bords si pittoresques de la Creuse en savent quelque chose ; car il les aime follement les sentiers qui en bordent le cours, le cours parfois imposant, parfois tapageur, et il faut voir comme il les adore les rochers, les côtes qui s’élèvent de chaque côté de la rivière aux belles eaux et aux truites exquises. (…)
– Le Figaro – Supplément littéraire du dimanche
du samedi 9 février 1889, pages 22 et 23 (soit les deuxième et troisième du
supplément littéraire).
Article « Poète aux champs » de Gustave Geffroy.
(…)
S’il est satisfait de son travail, il retourne à la
pêche à la ligne, il fouette l’eau, il emploie la mouche artificielle,
la cerise, le ver, le fromage. Il dévaste la rivière. Il descend à ce
confluent des deux Creuses que les gens du pays appellent les
Eaux-Semblantes. Il trouve là carpes et barbillons, goujons et chevennes,
dits chaboisseaux. Il fume la pipe en merisier, qu’il a célébrée dans
une musique légère comme une fumée, il parcourt ces rives bordées de
champs nus ou ombragés par des végétations de parc. Il ne cesse pas de
travailler, il épie sans cesse le poisson, l’oiseau, la grenouille, le
crapaud, la couleuvre, l’insecte. Il connaît tous les vols, tous les
coups de nageoire, tous les sautillements, tous les rampements, tous les
vagues grouillements de l’eau et de la terre, il fait de son œuvre le
catalogue des mouvements brusques des bêtes qui se cachent, des allures de
lenteur et de gentillesse des bêtes domestiques, des bruits qui sortent du
feuillage, des silencieuses mœurs des bêtes de rivière. Il veut ajouter
aux mouvements et aux bruits des êtres organiques les manières d’être
de la matière inerte, il pénétrera le bois mort, il connaîtra l’âme
durement agrégée de la pierre.
(…)
– Journal des Goncourt – Mémoires de la vie littéraire – Tome huitième (Bibliothèque Charpentier, G. Charpentier et E. Fasquelle éditeurs, Paris, 1895, 301 pages).
(page 93)
Jeudi 10 octobre [1889]. – Ce soir, Rollinat,
qui se trouve à Paris, est venu dîner chez Daudet. Il a une figure toute
jeune, toute rose, toute poupine, et le macabre de ses traits a disparu. Il
parle, avec une espèce d’enthousiasme lyrique de ses chasses, de ses
pêches : des pêches au chevaine, où l’hiver il casse la glace,
enfin de cette vie active et en plein air qui a remplacé la vie factice,
artificielle, enfermée et sans sommeil de sa jeunesse : vie, il n’en
doute pas, l’aurait tué. Maintenant, il ne sait plus travailler à une
table ; et si on lui en apporte une, il la brise et en jette les
morceaux au diable. Il lui faut les chemins sauvages sur les bords de la
grande et de la petite Creuse, où il parle tout haut ses vers, où comme
disent les paysans, il plaide.
(…)
– Journal des Goncourt – Mémoires de la vie littéraire – Tome neuvième (Bibliothèque Charpentier, G. Charpentier et E. Fasquelle éditeurs, Paris, 1896, 428 pages).
(page 193) (…)
Dimanche 4 février [1894]. – (…)
Ce soir, Rollinat, venu pour placer ses morceaux de musique à Engel [sic Eugel], qui lui a fait un traité par le-(page 194)quel, il ne peut lui en fournir que la demi-douzaine par an, nous joue ces morceaux. Il les interrompt, de temps en temps, nous faisant face par une virevolte du tabouret du piano, et nous parlant de sa vie plantureuse de là-bas, des chevennes de trois livres, qu’il met bien ficelés à la broche, et dont il arrose la peau craquante d’une livre de beurre, avouant que pour lui, « bien manger a une grande importance ». (…)
– Lemouzi : organe mensuel de l’École
limousine félibréenne, n° 45, avril 1899, pages 41 et 42.
Article « Un dimanche à Fresselines » de Montal.
(page 42) (…)
– Si nous allions faire un tour de pêche, me
dit-il, que je vous fasse au moins goûter tous les plaisirs de Fresselines.
Et nous suivîmes les sous-bois qui longent la Petite Creuse, si propices aux rêveries du poète. Pendant qu’il jetait son fil de crin à l’eau, je songeais combien de ce paisible pêcheur l’âme d’artiste s’identifiait avec son agreste milieu ; combien il s’était imprégné dans ses beaux livres, la Nature et les Brandes, de ce charmant coin de la Marche limousine.
Rollinat fit bientôt une ample levée de poissons. Et ce fut avec une enfantine joie qu’il me montra, dans son panier, cette capture.
Et rejetant à la rivière le menu fretin, vivant encore,
– tout de même, ajouta-t-il avec une sensiblerie bien féminine, ça me
peine de faire souffrir une bête quelle qu’elle soit, utile ou nuisible.
Le rouge me monte au visage, à l’idée que je tue. Cet être ne s’est
pas fait tout seul, et nous ignorons sa destinée.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Montal (1837 – 1903) est un pseudonyme utilisé par un acteur (cf. http://data.bnf.fr/14653046/montal/). Georges D’Heylli dans son Dictionnaire des pseudonymes (Dentu et Cie éditeurs, Paris, 1887, 561 pages) indique page 298 : « Montal : Acteur des théâtres de drame, né Boulairon ». Il a joué notamment dans Le prêtre, drame en cinq actes de Charles Buet, créé au Théâtre de la Porte Saint-Martin le 28 mai 1881 (source BNF).
– Le Temps du 25 octobre 1899, page 2.
Article « Maurice Rollinat, pêcheur de truites »
d’Adolphe Brisson.
– Surtout, m’avait dit Maurice Rollinat, si vous
passez aux environs de Fresselines, n’oubliez pas de sonner à ma porte.
Je vous donnerai à manger des truites que j’irai pêcher dans la Creuse
à votre intention.
(…)
Rollinat me tend les mains. (…) – Ma foi ! vous tombez à pic !… J’ai pris hier une friture dont vous vous régalerez. Nous avons le temps de faire un tour, tandis qu’on met le couvert.
Il a saisi son gourdin, bâton noueux coupé dans les bois du voisinage. Et déjà il arpente la grand’rue de Fresselines. Son pied, vigoureux et ferme, y résonne. Je le suis de mon pas plus discret et moins assuré de citadin. Et il exalte, en termes dithyrambiques, les splendeurs de son pays. Il me dit le charme de la rivière, aux eaux de velours, aux remous perfides où file la truite, où frétille le goujon ; la grâce de ses rives verdoyantes, des ponts vermoulus qui les relient, des moulins qui y sont blottis comme des nids dans les feuilles. Nous dominons les deux vallées de la grande et de la petite Creuse, dont les rubans d’argent se rejoignent. Devant nous se dressent les tours blanches du château de Puyguillon, que soutiennent dans les airs des blocs de rochers cyclopéens. Le spectacle est magnifique ; le poète ne se lasse pas de l’admirer ; et quoique ses yeux en possèdent tous les détails, il goûte un nouveau plaisir à me les décrire.
– Distinguez-vous là-bas, cette cabane, au milieu
des arbres ? Je l’ai d’abord habitée. J’y ai composé mon volume
des Apparitions. Puis, la trop grande humidité et la menace des
rhumatismes m’ont contraint de regagner le sommet du coteau. Mais je
redescends chaque mois dans ce vallon. C’est le lieu que je préfère
entre tous. Je remonte le cours du torrent. A cinq cents mètres d’ici je
trouve la solitude, le désert ; je suis loin des hommes, loin du
monde, seul avec la nature ; je me couche dans les herbes je place mes
lignes ; je tire de ma poche un crayon et un carnet ; je pense, je
rêve, je jette des idées et des rimes sur le papier.
(…)
– Le XIXe siècle, lundi 1er
janvier 1900, page 1.
Article « Promenades & rencontres – La canne à
pêche » de Charles Frémine.
(…)
Au fond de la Creuse, je m’y revois cet été, ce mois
de juin, dans un de ses vallons les plus ombreux, les plus resserrés, à l’abri
d’une haute roche surplombante sous laquelle je m’étais réfugié
pendant qu’une averse cinglante fouettait la rivière. C’était à
Fresselines, au joli village qu’habite le poète et qu’il a déjà rendu
célèbre.
Nous étions tous les deux à la pêche à la ligne. Chez Rollinat la pêche est devenue une passion, qui souvent l’emporte sur la poésie et la musique. Sans m’avoir jamais aussi complètement possédé que lui, elle ne laissait pas autrefois de me tracasser fortement et encore aujourd’hui il suffit d’une occasion – une bonne – pour la raviver.
Nous étions donc à la pêche à la ligne. Rollinat, familier de la rivière, armé d’engins formidables, à grelots, à tourniquets, qu’il manœuvre et déploie avec une dextérité remarquable, s’en était allé tâter les grosses pièces – la truite et le saumon, la carpe et le barbillon – du côté de Puyguillon, et depuis pas mal de temps déjà, je l’avais vu disparaître sous une noire cépée de grands aulnes, me laissant tout seul dans le creux de ma roche, mais à portée toutefois d’une superbe canne à pêche dont la ligne immergée sous un saule gibbeux attendait sans trop d’impatience la morsure d’un goujon.
Et pendant que l’averse continuait, du fond de ma caverne, je regardais le paysage à travers la pluie, le vieux moulin sur l’arche du pont, le château crénelé sur la colline, et la Creuse assombrie, écumeuse, fuyant sous des écroulements de rochers et de verdures, entre sa double ligne d’âpres escarpements, de coteaux effarés, ravinés, comme figés dans la stupeur de leur perpétuel vis-à-vis. Et je pensais que c’était là haut, dans cette chaumière isolée au bord de la route, à l’écart du village, que Rollinat vivait depuis tantôt vingt ans, loin de Paris et loin des villes, et j’admirais son esprit de sagesse, sa force de résistance et de volonté, à mener cette existence de travail et de solitude, sans un moment de découragement et d’ennui, au milieu de ces rudes campagnes qui virent éclore tant de beaux vers, et qu’il ne se lasse pas plus de chanter que d’étudier et d’admirer :
Homme, cache ta vie et répands ton esprit !
Il revint au bout d’une heure, tout trempé et tout ému :
– Tiens ! regarde, me dit-il, ce qui vient de m’arriver, mon hameçon cassé net… un monstre ! Et cinquante brasses de corde au fil de l’eau ! Tout brisé, tout rompu. Non ! on ne sait pas les bêtes qu’il y a dans cette rivière !
Il s’assit sur un pliant à côté de moi, et comme il me racontait, par le menu, son aventure, en roulant une cigarette :
– Tiens ! regarde, fis-je à mon tour, ma canne à pêche qui s’en va à la dérive !
– Les eaux ont grossi ; c’est le courant qui l’entraîne.
– Et peut-être un poisson.
Mais la canne – une canne de près de six mètres de long – se mit tout-à-coup à remonter le courant.
– Diable ! fit Rollinat en se levant et courant à la rivière, voilà qui devient intéressant !
Nous étions tous les deux sur la berge, allant et venant, ne sachant que dire, mieux qu’étonnés, émerveillés du phénomène.
Et c’était en effet une chose extraordinaire que cette canne à pêche, que cette longue tige de bois qui marchait, qui se dirigeait sur l’eau à l’encontre de toutes les lois de la nature. Par moment, elle s’arrêtait, comme hésitante, piquait de l’avant, s’enfonçait à demi, puis reprenait résolument sa course De plus en plus surpris, nous la regardions filer. Avec ses nœuds de bambou, ses viroles de cuivre, sa couleur luisante, d’un brun marron, on aurait pu la prendre pour quelque étrange reptile, et, par instants, elle nous apparaissait comme une couleuvre démesurément allongée, glissant et fuyant sur la rivière embrumée de pluie.
Elle remonta ainsi le courant sur un parcours d’environ deux cents mètres, puis, virant de bord, se dirigea vers l’autre rive.
– Nous ne l’aurons pas, me dit Rollinat. En cet endroit la rivière est profonde, dangereuse ; tout à l’heure, ce sera un torrent, Nous ne pouvons songer à nous mettre à l’eau. Et puis voilà la nuit qui vient et la pluie qui redouble. C’est un vrai guignon !
Justement, au roulement d’une carriole qui dégringolait la côte en face de nous, la canne à pêche revint de notre côté.
– Attention, dis-je tout bas à Rollinat, ne faisons pas de bruit, c’est une canne qui a des oreilles ; prends une de tes cordes, la plus longue, la plus solide, attaches-y un fort caillou et quand la canne sera bien à ta portée, qu’elle se présentera par le travers, lance-le, de manière à l’envelopper.
En deux tours de main, l’engin fut prêt. Fort habilement, Rollinat le lança au bon endroit, ramena la corde de façon à prendre la canne par le milieu et, doucement, le caillou traînant au fond de l’eau, formant fil-à-plomb, attira le tout à soi.
La canne plongeait maintenant désespérément, cherchait à se dérober.
Rollinat la saisit vivement, souleva la ligne.
Une truite était au bout – une truite énorme, déjà lassée, montrant à fleur d’eau son dos tigré, son flanc piqué de rubis.
– L’épuisette ! donne moi l’épuisette ! cria Rollinat.
Adroitement présentée, la bête s’y laissa prendre.
– Hardi ! enlève ! cette fois tu la tiens !
Et nous voilà riant, courant au milieu du pré.
Nous nous arrêtons, nous regardons : Et la truite ? Disparue, fondue, évanouie ! L’épuisette était vide !
– Hein ? me dit Rollinat, devenu soudain très pâle, n’est-ce pas fantastique ? Et sommes-nous assez mystifiés ? Car enfin, tu l’as vue comme moi, tu m’as vu la sortir de l’eau, l’emporter dans le filet ! Et puis plus rien ! Comment t’expliques-tu l’escamotage ?
L’explication, peut-être pourrait-on la trouver dans ce fait – reconnu à l’examen – que l’épuisette était percée – un trou à fourrer le poing ; mais il n’y a pas d’effet sans cause, et malgré l’évidente matérialité de celle-ci, encore maintenant, quand je pense à cette histoire, au paysage qui l’encadrait, à cette promenade singulière de ma canne à pêche sur l’eau fouettée de la rivière, je ne puis m’empêcher de croire qu’il ne s’y mêlât un grain de sorcellerie.
– Le Journal du 1er novembre 1903,
page 1.
Article « L’évadé » de Lucien Descaves.
(…)
Je passai là une semaine inoubliable. Chaque jour,
Rollinat sifflait ses chiens, la Margot, Pistolet et Petit-Loup, et s’en
allait à la pêche, pêche à la truite, au brochet, à l’anguille… ou
aux rimes. Car il ne travaillait qu’en plein air. Capable de longues
stations, dans l’attente du poisson, aux bords de la Creuse, il n’avait
jamais pu s’astreindre à noircir du papier, le derrière sur une chaise,
entre quatre murs. La ligne du pêcheur était moins lourde à sa main qu’une
plume.
(…)
– Journal des débats politiques et littéraires
du 3 novembre 1903, page 1.
Article « Maurice Rollinat intime » de
Jacques-André Mérys.
(…) Maurice Rollinat vivait là en paysan. Il avait la
passion de la pêche. Nous partions vers trois ou quatre heures du soir, le
pliant sous le bras, chargés de lignes, de sacs, de grelots avertisseurs,
munis de vers de terre pour appâter. Nous nous enfoncions entre les talus
des chemins creux, parmi les jacinthes et les stellaires. Un bâton à la
main, se dandinant de sa démarche élastique et pliante, il causait,
gesticulait, le chapeau mou enfoncé jusqu’aux yeux. Il se hâtait, plein
d’espérance. On s’arrêtait sur le bord de la Petite-Creuse dans ce qu’il
appelait son cabinet de travail, on allait jusqu’au moulin de Puyguillon
ou jusqu’aux Eaux-Semblantes. Les lignes posées, on s’installait dans l’herbe
molle devant ce tranquille paysage de bois, de rochers, d’eau courante, et
on causait.
(…)
– Revue du Berry du 15 mars 1904, pages 73 à
85.
Article « Souvenirs de Fresselines » d’Albert
Chantrier.
(page 81) (…)
Les bonnes promenades que nous avons faites ensemble et
nos parties de pêche à : Chante Milan, les Roches [qu’il appelait
Sarah Bernhardt à cause d’une vague ressemblance avec un profil de
rocher], ses eaux tremblantes, Puy-Guillon. (…)
Et nos parties de pêche, les lignes de fond, qu’il plantait çà et là le long de la rive, avec un soin et une recherche sans égal.
Puis en attendant, il arpentait le terrain, scandant des alexandrins par de grands gestes, façon de travailler qu’il affectionnait tout particulièrement et qui faisait dire aux habitants : « V’la M’ssieu Maurice qui plaide (sic). » Avec le bout de ma longue ligne, lorsqu’il tournait le dos, je secouais violemment le grelot le plus proche, et me remettais hypocritement dans l’attitude du contemplatif pêcheur de goujons.
Alors Rollinat arrivait en courant, remontait le moulinet, et, s’apercevait facilement au bout de quelques mètres qu’il n’y avait rien au bout.
Anathèmes et malédictions tombaient drues sur la gent
Murénidéenne.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Albert Chantrier parle des « eaux tremblantes » comme lieu de pêche de Maurice Rollinat. Les eaux au confluent des deux Creuse sont appelées les « Eaux semblantes » ; elles donneront le titre de deux tableaux de Claude Monet peints à Fresselines en 1889. Est-ce la même chose ?
– Le Grand Écho du Nord et du Pas-de-Calais du
29 avril 1908, page 1.
Rubrique « Échos de Partout ».
Pêche fermée :
On vient de fermer la pêche. A l’heure où l’armée des gaules regagne ses greniers, voici une jolie anecdote inédite sur le poète Maurice Rollinat, qui fut un fervent pêcheur à la ligne.
Rollinat s’était retiré dans le département de la Creuse, loin du bruit de Paris. Il adorait la pêche à la ligne, et l’été, en compagnie d’amis, il s’acheminait vers les bords de la rivière. Rollinat aurait voulu « être en pêche » avant même que d’être parti, tant son impatience était vive. Un jour, à la traversée d’un bois charmant, il quitta brusquement ses invités et, coupant au plus court, il leur donna rendez-vous au bord de la Creuse, à un endroit déterminé.
Une heure après, on arrive au rendez-vous. Pas de Rollinat. Seules, des lignes abandonnées sur la berge. Chacun s’affole. On propose des sondages, on cherche. Rien ! Enfin, deux groupes remontent la Creuse en sens différents, connaissant l’humeur vagabonde et étrange du poète.
A un coude de la Creuse, on trouva Rollinat assis sur une grosse roche qui surplombait le courant rapide. Les cris de ses amis le tirèrent de sa méditation. Pour une fois, la Muse avait vaincu la Pêche, et le poète crayonnait des vers où il s’essayait à noter le bruit des flots. Tout comme le héros de M. Edmond Rostand, Rollinat pêchait des « rayons de lune ».
Remarque de Régis Crosnier : Lorsque l’auteur de l’article écrit : « Tout comme le héros de M. Edmond Rostand, Rollinat pêchait des "rayons de lune" », pense-t-il à la pièce Cyrano de Bergerac, où à l’acte V, scène VI, Cyrano dit à Roxane : « … Mais je m’en vais, pardon, je ne peux faire attendre : / Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre ! » (page 224 de l’édition de 1898, Eugène Fasquelle éditeur, Paris, 225 pages).
– Mémorial Maurice Rollinat, Éditions du
Gargaillou, 1927, pages 60 à 67.
« Causerie de M. Alluaud ».
(page 63) (…)
Enfin, tout en parlant, Rollinat s’équipe – son
arsenal de pêche est important – et harnaché à pleines épaules, il
ouvre la marche.
Passant par derrière la maison, par le pré, nous descendons vers la petite Creuse.
Là, le pêcheur déploie son arsenal, met nerveusement en batterie deux ou trois lignes garnies de gros vers et fortement plombées, il les lance au loin avec la main.
Voilà Rollinat à son plaisir favori. L’extrémité de la canne est munie d’un grelot qui tintera à la moindre touche.
Mais éloignons-nous discrètement. Je sais qu’il n’aime pas le bruit autour de ses lignes.
Assis sur un pliant, ou dans des attitudes si bien vues par Fernand Maillaud dans ses croquis parus dans la Revue du Berry, le poète-pêcheur contemple la rivière, prend des notes sur son (page 64) inséparable calepin de toile marron puis se lève, rabat sa moustache d’un geste qui lui est familier, faisant une légère moue songeuse.
Il fait les cent pas, parle ses vers, ce qui faisait dire à un paysan : « Oui, il est là-bas, M. Maurice, au bord de l’eau, il plaide ».
Mais tout à coup un grelot tinte, puis se tait. Rollinat s’est dressé, quelle est celle des trois lignes qui a sonné ?
« Vous avez bien entendu, n’est-ce pas ? » il appelle doucement, pas de bruit, et le grelot résonne de nouveau. C’est à cette ligne ! l’extrémité de la canne ploie par saccades, le fil se tend. Rollinat se précipite, prend la canne en mains, la lève avec précaution, ça tire toujours, il soliloque. « Ah ! le mystère de l’eau !! quelle émotion ! Truite ! barbillon ! anguille !? ». La situation est indescriptible, il faut avoir vu Rollinat à ce moment-là !
« Oh ! ça tire ! » il veut être calme sans y parvenir. « C’est une truite, ah ! non ! ça pique au fond. C’est un barbillon ; il pique son nez au fond, c’est un monstre ! je ne l’aurai pas, il va se décrocher ! »
Detroy crie : « C’est peut-être ben un goujon ».
Ah ! il fallait voir l’œil de Rollinat à cette boutade !
Mais la bête se fatigue dans la lutte habilement menée par le pêcheur ; elle est tirée hors de l’eau.
Rollinat à genoux la contemple, la décroche ; sa main tremble, son cœur bat encore.
« Ah ! mes petits amis ! c’est-il beau,
c’est-il beau ! voyez-vous voilà ma vie. Il n’y a que ça qui m’amuse
et il parle de cette joie, du mystère de l’eau, de la banalité des joies
du boulevard ».
(…)
– Le Berry médical du 3ème
trimestre 1951, pages 27 à 32.
Souvenirs d’Eugène Alluaud écrits en 1926
« Quelques notes sur Maurice Rollinat intime ».
(page 29) (…)
– Que fait-on ce matin ? dit Rollinat. Où
pêcher ?
– Passant par derrière la maison, descente dans le Chemin Creux vers la « Petite Creuse », au Puyrageaud, pré de Mlle Lanier.
– Lignes à grelots, arsenal de pêche en bandoulière dans une ou deux musettes de toile bleue.
– A la pêche, les amis discrètement s’éloignent, car Rollinat va travailler assis sur un pliant, prendre des notes sur son calepin, fait les cent pas le long de la berge, parlant ses vers ; ses lignes sont tendues sur des piquets, au bout de la canne un grelot.
– Un grelot résonne ! Emotion ! Truite,
barbillon, anguille ? Mystère de l’eau qui enchante le poète.
(…)
– Bulletin de la Société « Les Amis de
Maurice Rollinat » n° 55 – Année 2016, pages 39 à 51.
« Conférence de Fernand Maillaud sur Maurice
Rollinat » (texte non daté) de Fernand Maillaud.
(page 41) (…)
Le matin il n’était prêt et visible qu’à l’heure
du déjeuner vers une heure. Après déjeuner il se préparait pour la
sortie de chaque jour, quand la pluie ne l’en empêchait pas. Il se
harnachait alors pour la pêche – et c’était compliqué ; on eut
dit qu’il partait pour un long voyage. Il emportait sacs et musettes à
tenir trente livres de poisson, pardessus et pèlerine, un paquet de lignes,
d’épuisettes, de moulinets et de grelots solidement amarrés.
Nous descendons vers les Creuses, dont on entend le ressac de chez lui ; il parle de tout ce qu’il voit et l’exalte. Son pas, dans le chemin creux qui mène à la rivière, est sonore et rapide ; il porte de petits sabots ferrés, car il a (page 42) des pieds d’enfant dont il est très fier, héritage dit-il d’une race aristocratique et usée.
Nous descendons toujours les chaos du chemin raboteux qui mènent à la fougueuse rivière ! Un chariot nous croise avec ses deux bœufs ; le chemin est si étroit qu’il faut se ranger contre le buisson : « Bonjour M’sieu Maurice, vous v’la parti plaider ! » (les paysans disaient en l’entendant réciter ses vers : « V’la M’sieu Maurice qui plaide »).
Nous voici à la Creuse aux eaux dorées et profondes ; belle rivière grondeuse, écumante, avec des remous terribles où se cachent d’énormes saumons, dit Rollinat (mais que je n’ai jamais vus). « Suivez-moi dans le mystère (à ce moment, il lève un doigt au ciel), dans l’inviolé, le virginal de la mousse et de la solitude, dans le songe apeurant du crépuscule, des feuilles et des bourbiers où le soleil ne pénètre jamais et où rêve la grande fée du silence. C’est là que j’ai fait les plus belles pêches ! »
Il me fait franchir l’eau sur des pierres branlantes au bord du torrent. Nous passons quelquefois sur une terre mouvante ; enfin nous voici au creux du fourré, au bord de l’eau, sous une verdure des premiers âges. Il a déposé son matériel, il tend ses lignes, met son appât, ses sonnettes d’appel, et enfin s’assied sur son pliant. Je m’éloigne sentant son besoin de solitude. Nous sommes redevenus pour un moment l’homme qui craint l’homme ! et du fond des âges remonte en nous le temps des grandes forêts sans clairières. Je cherche le chemin qui va m’élever sur les hauteurs ; je reviendrai à la nuit…
L’enivrement du Travail et la beauté du spectacle ont passé comme un rêve et je redescends ; j’arrive doucement et je vois Rollinat écrivant, un carnet sur ses genoux. Il m’a entendu mais ne bouge pas ; ce n’est qu’un (page 43) moment après qu’il met dans sa poche un de ces petits carnets de quatre sous acheté au bazar, toujours les mêmes depuis plus de quarante années avec sa couverture en toile havane, où est imprimé « Notes » et que j’ai revu avec tant d’émotion après sa mort chez Gustave Geffroy. C’est là-dessus que fut écrite sa musique fiévreuse, pleine de rêve, de ruisseaux, de mousses, de cris de chouettes, de clairs de lune, de brises, de souffles, de parfums et de l’odeur des genêts sous le soleil ! de tous les cris, de tous les bruits des forêts ! du chant des perdrix à celui des ruisseaux et encore de ce je ne sais quoi, qui est l’âme de la terre et qu’aucune musique n’exprime avec la force et l’obsession de la sienne ! Sa musique qui est lui-même tout entier, qui l’évoque corps et âme et qui me bouleverse.
Nous remontons ; la nuit tombe, nous écoutons.
Rollinat fait claquer ses sabots et s’extasie sur le paysage « quel
sacré pays ! c’est comme au commencement du monde ! Ah, c’est
la suprême sauvagerie ! Comme nous sommes loin des hommes et de Paris
avec ses mensonges et ses petitesses ! Ici, quel bain d’éternité
pour le conscient, l’inconscient et le subconscient ! Et quoi qu’on
ait dit, oui, je suis le grand silencieux ! »
(…)
(page 45) (…)
De retour de la pêche, toujours à la nuit tombée
Rollinat visite ses lignes, ses moulinets, ses épuisettes. Tout le
matériel est soigné, rangé ; il aime l’ordre et le soin, il est
tout le contraire d’un bohême ; c’est un bourgeois bien économe
et redoutant comme la pire des calamités la plus petite dette. Il n’admettait
pas non plus qu’on pêchât autrement qu’à la ligne. Là seulement,
disait-il, tout le retors, toute la ruse, tout le machiavélisme peut et
doit intervenir ; car le poisson est plus rusé encore.
(…)
(NB : Ne figurent pas dans cette recherche les travaux des biographes de Maurice Rollinat comme Émile Vinchon, Hugues Lapaire ou Régis Miannay.)
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