Dossier Maurice Rollinat

 

CHARLES BAUDELAIRE DANS LA CORRESPONDANCE DE MAURICE ROLLINAT

Portrait de Maurice Rollinat à l'encre de Chine par Cattherine Réault-Crosnier.

 

Recherche documentaire

non exhaustive, réalisée par Régis Crosnier.

 

Version au 25 septembre 2025.

 

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 28 avril 1871 (écrite à Versailles) (collection particulière).

(…) Avant mon départ de Châteauroux j’avais acheté un nouvel ouvrage de Baudelaire, collection Michel Lévy ! il renferme Les Petits poëmes en prose, et Les Paradis artificiels ! – inutile de vous dire que je me délecte dans cette lecture si féconde en impressions bizarres et creusantes ! Je vous engage à lire ce volume où le talent de Baudelaire est à son apogée, selon moi ! (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à un ami [Joseph de Brettes], datée du 30 mai 1871 (écrite à Versailles), publiée dans Le Figaro du samedi 8 février 1930, pages 5 et 6, dans l’article « La jeunesse fiévreuse de Rollinat » de Jacques Patin.

(…)
Aujourd’hui pourtant, il me semble que le mal diminue par quintes et que mes idées, tout en restant tristes, sont moins suicidantes qu’autrefois. Je me claquemure dans une tempérance invariable. Je suis l’homme du gîte et des endroits déserts. J’aime tout ce qui souffre et je fuis tout ce qui égaye ; je compose de temps à autre quelques poèmes en vers, en prose ou en musique ; je m’amuse à chanter les solennels andantes des grands maîtres, et je me résigne à souffrir en lisant les Fleurs du Mal de Charles Beaudelaire (sic). Voilà un livre inouï de verve et d’architecture poétique. Mais pour le savourer, pour s’y délecter l’âme, il faut souffrir ou avoir souffert des maladies innommables résultant d’une imagination trop sensitive ou d’un cerveau trop ébranlé !… La souffrance, donc, est une clef indispensable pour ouvrir la porte de cette serre bizarre où des fleurs languissantes, mortes ou vénéneuses s’étalent sinistrement dans des vases incomparables pour la richesse des formes et le fini des sculptures. Je te recommande les œuvres de Beaudelaire (sic), à toi garçon sérieux et que le malheur a cruellement éprouvé. Les Fleurs du Mal, la traduction vivante des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, les Petits Poèmes en prose et les Paradis artificiels sont dignes de ton attention et de tes loisirs. Lis sans prévention, pense comme tu sais penser, et après cette lecture sainement approfondie ton esprit verra s’ouvrir des horizons nouveaux, d’où l’inspiration la moins attendue lui viendra fatalement.

Quant à moi, depuis une année, tiraillé par la névrose, nourri de Beaudelaire, j’ai fait un ouvrage poétique où la tristesse domine et qui encadre de son mieux dans des vers consciencieusement et laborieusement repolis des idées neuves, audacieuses et presque toujours impersonnelles. (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 26 juin 1871 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Sans rompre avec Baudelaire qui manie l’étrange et l’innommable avec une originalité quasi créatrice, je suis bien décidé à ne pas abdiquer mes idées personnelles pour imiter servilement les siennes propres ou celles de son sosie poétique Edgar Poë ! – Une certaine bizarrerie de caractère, un gout particulier du Surnaturel, et dans ces dernières années, la névrose qui me ronge, m’ont fait trouver dans ces morbides abreuvoirs une eau précieuse et endormante. J’ai bu le poison avec délices, mais je n’en suis pas mort, et je n’en mourrai pas que je sache…
(…)

 

– Lettre de Theodore de Banville à Maurice Rollinat, datée du 26 décembre 1871, publiée par Régis Miannay dans son article « Banville et Rollinat » paru dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 18 – Année 1979, pages 6 à 9.

(pages 6 et 7)

Monsieur,

Si j’ai tardé à vous répondre, c’est que j’ai tenu à bien lire, à deux reprises différentes, les vers à propos desquels vous voulez bien me demander conseil. Je me hâte de vous le dire tout d’abord il y a dans vos poèmes un grand et incontestable talent, déjà très curieux et très accompli, un tempérament original, de la vie et enfin un grand art de peindre et de faire voir les objets ; mais à mon grand regret que j’ai d’objections à vous faire ! Il me semble que souvent, et notamment dans les pièces intitulées Les Deux Horreurs et Une Confidence Atroce, vous êtes tout à fait sorti des conditions permises de l’art. Et vous ne sauriez pour cela vous autoriser ni de l’exemple d’Edgar Poe ni de celui du grand et regretté Baudelaire, car l’un comme l’autre, ils ont gardé toujours dans leurs plus sinistres compositions la suprême beauté poétique !
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Théophile Gautier, datée du 26 avril 1872, publiée dans Théophile Gautier – Correspondance générale – 1872 et compléments éditée par Claudine Lacoste-Veysseyre, Tome XII, Sous la direction de Pierre Laubriet et avec la collaboration d’Andrew Gann, Librairie Droz, Genève – Paris, 2000, 419 pages.

(pages 38 à 40)

Paris le 26 avril 1872

Illustre et vénéré Maître,

Celui qui vous nommait si justement le « Poète impeccable » était lui-même un grand artiste incompris du vulgaire, odieux aux littérateurs mesquins, et que vous seul avez su apprécie à sa vraie valeur en entrant dans son œuvre avec un désintéressement si pur, et une si incomparable subtilité. Or, ce qui dans Baudelaire choque le plus grand nombre, est précisément ce qui m’intéresse, étant moi aussi un malade bizarre, torturé par la céphalgie, et obsédé à toute heure par des idées monstrueuses.

Sans doute cette morbidesse anormale est dangereuse pour l’esprit, et toute la volonté du Poète qui en est atteint doit tâcher de l’en distraire par une contemplation paresseuse des réalités calmes et consolantes de cette pauvre vie ; mais quelles qu’elles soient, les productions poétiques étant et devant être toujours le reflet d’une situation morale, ont droit à l’étude des vrais littérateurs, lors même qu’elles surgissent d’une inspiration exceptionnellement maladive et quasi malsaine provoquée par un paroxysme de névrose et de désespoir !

J’ose donc vous soumettre quelques uns de mes vers étranges avec l’humble espoir que vous daignerez les lire et me dire sur eux toute votre impression. Je les extraits de Laideurs nues, ouvrage en manuscrit dont la publication tout entière est subordonnée à votre appréciation souveraine.
(…)

 

Remarque de Régis Crosnier : L’expression « Poète impeccable » utilisée par Maurice Rollinat au début de sa lettre renvoie à la formule utilisée par Charles Baudelaire pour dédier son livre Les Fleurs du mal à Théophile Gautier : « Au poète impeccable, au parfait magicien ès langue française, à mon très-cher et très-vénéré maître et ami Théophile Gautier, avec les sentiments de la plus profonde humilité, je dédie ces fleurs maladives » (édition de 1857). L’édition de 1868, comprend une préface de Théophile Gauthier de 73 pages et dans la dédicace l’expression « ès langue française » est devenue « ès lettres françaises ». (Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal précédées d’une notice par Théophile Gautier, Calmann-Lévy éditeurs, Paris, 1868, LXXIX + 348 pages).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Theodore de Banville, datée du 1er juin 1874, publiée par Régis Miannay dans son article « Banville et Rollinat » paru dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 18 – Année 1979, pages 6 à 9.

(pages 7 et 8)

1er Juin 1874

Mon cher Maître,

Il y a deux ans, j’ai eu l’honneur de vous soumettre quelques poésies que vous avez daigné lire avec conscience et à propos desquelles vous avez bien voulu m’écrire une lettre critique aussi pleine de douceur que de sagacité : vos conseils m’ont vivement impressionné et j’ai tâché de les suivre autant que mon imagination maladive et parfois brutale me l’a permis.

Je viens aujourd’hui vous offrir trois pièces de vers que j’ai l’intention de faire insérer dans un volume de poésies qui doit prochainement paraître.

Je sais quelle amitié fraternelle vous aviez pour l’étrange Baudelaire et combien vous admirez le talent magique de Théophile Gautier : vous lirez donc peut-être avec une certaine curiosité les deux poésies filialement émues que m’ont inspirées ces deux grands morts.

La pièce des « Cheveux » sera-t-elle digne de vos suffrages ? Je le désire de tout mon cœur : car j’affirme qu’en vue de mériter votre estime littéraire, j’ai épuisé sur elle toutes les ressources de mon imagination poétique. Je serais bien fier et bien heureux si vous acceptiez la dédicace de ces vers : ainsi votre nom rayonnerait comme un bon soleil dans les brumes de mon humble livre.

Veuillez agréer, mon cher Maître, l’assurance de ma sympathie respectueuse et de ma constante admiration.

M. Rollinat,
10, rue des Grands-Augustins.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Maurice Rollinat écrit : « Je viens aujourd’hui vous offrir trois pièces de vers que j’ai l’intention de faire insérer dans un volume de poésies qui doit prochainement paraître. » Régis Miannay, dans son article « Poésies inédites de Maurice Rollinat »paru dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat » n° 18 – Année 1979, pages 1 à 5, indique qu’il s’agit de : « Ode à Baudelaire », « Le tombeau de Gautier » et « Les Cheveux » (page 1).

– 2 – Maurice Rollinat utilise l’expression « amitié fraternelle » pour parler des liens entre le destinataire de la lettre et Charles Baudelaire. Théodore de Banville, dans son livre Mes Souvenirs (G. Charpentier éditeur, Paris, 1882, 466 pages), consacre un chapitre à Charles Baudelaire (pages 73 à 88). Il écrit notamment « De cet instant, de cette seconde, avant d’avoir échangé une parole, nous étions amis comme nous devions l’être pendant la vie et par delà la mort. » (page 76), puis « Nous devions continuer à être unis par une fraternelle amitié, » (page 77). Seulement, ce livre est paru huit ans après la présente lettre. Nous ignorons où Maurice Rollinat a trouvé cette expression.

C’est Charles Baudelaire qui a écrit la notice sur Théodore de Banville, pages 580 à 586 dans Les poëtes français : recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française depuis les origines jusqu’à nos jours, Tome quatrième : Les contemporains (Librairie de L. Hachette et Cie, Paris, 1863, 763 pages). (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k117449c/f586).

– 3 – Maurice Rollinat écrit : « et combien vous admirez le talent magique de Théophile Gautier ». Théophile Gautier a encouragé Théodore de Banville alors que celui-ci débutait en poésie. Il lui a consacré une étude pages 300 à 305 de son Histoire du Romantisme (Charpentier et Cie libraires-éditeurs, Paris, 1874 – ouvrage posthume, VI + 410 pages) (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206100b/f310). Il écrit notamment : « et de la poésie, [Théodore de Banville] possède la note la plus rare, la plus haute, la plus ailée, le lyrisme. » (page 301).

Théodore de Banville a consacré à Théophile Gautier un poème publié dans Odelettes (Michel Lévy frères libraires-éditeurs, Paris, 1856, XX + 52 pages), pages 47 et 48.

Le jour et le lendemain de la mort de Théophile Gautier (les 23 et 24 octobre 1872), il a écrit une Ode intitulée Théophile Gautier (Alphonse Lemerre éditeur, Paris, 1872, 16 pages) qui commence ainsi : «Théophile Gautier ! poëte / Au regard limpide et vermeil, / Dont l’œuvre fut un hymne en fête / A la vie ivre de soleil ! (…) ».

– 4 – Maurice Rollinat espère avoir son poème « Les Cheveux » édité dans le troisième Parnasse contemporain publié par Lemerre dont la sélection est réalisée par Théodore de Banville, François Coppée et Anatole France. C’est vraisemblablement dans cette optique qu’il offre cette « pièce » à Théodore de Banville et qu’il écrive « sera-t-elle digne de vos suffrages ? ».

 

– Lettre de Theodore de Banville à Maurice Rollinat, datée du 27 juin 1874, publiée par Régis Miannay dans son article « Banville et Rollinat » paru dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 18 – Année 1979, pages 6 à 9.

(pages 8 et 9)

Paris, le 27 juin 1874

Cher poëte,

Mon histoire est toujours la même ! Si je vous réponds après tant de temps, c’est que j’ai été malade pendant presque tout ce mois, au début duquel j’ai été frappé d’une apoplexie du poumon. Et, malgré tout, il a fallu travailler pour le pain quotidien. J’ai lu bien des fois déjà les trois pièces que vous m’avez envoyées, et je vous en parlerais mieux de vive voix que par lettre, tant il y a de choses à dire. Vous êtes en grand, et très grand progrès, et il y a dans ces poëmes un sentiment profond, délicat, qui se communique et s’impose : enfin, vous êtes de plus en plus poëte. Quant à la critique, pas assez de sévérité grammaticale. Vous entassez les pluriels, désignant vaguement des objets, comme si on devait les connaître : le parfum des fioles (de quelles fioles ?) « vent de nuit » où il faudrait : vent de la nuit. Baudelaire, que vous n’imitez pas, mais dont vous aimez à évoquer le souvenir, avait compris avec son intelligence de tout, que plus il traitait de sujets raffinés et d’un spiritualisme de plus en plus dégagé de la matière, plus il devait être un écrivain irréprochable. Quoique j’admire en vous une vraie puissance créatrice, et un remarquable don de conquérir et de posséder le lecteur, je vous ferais de ces sortes de querelle presque à chaque mot. Défiez-vous aussi des images confuses et que le pinceau ni le crayon ne pourraient en aucune façon représenter, comme celles qui composent la strophe dont le premier vers est : « Et tes vers que l’amour marque de ses brûlures… ». La pièce des Cheveux est très belle, elle m’a occupé et charmé, et cependant je ne crois pas qu’on puisse dire à une femme : « Tu t’es perpétuée… ». Le pluriel est tout à fait inexplicable dans le vers où il y a « la fraîcheur des aurores » parce que ces cheveux que vous chantez si bien, ne peuvent, en conscience, aspirer à la fois que la fraîcheur d’une seule aurore. Je vous fais toutes ces chicanes, bien difficiles dans une lettre ! parce que je sens bien que vous cherchez et que vous voulez la perfection, comme c’est votre devoir ! Mais je n’ai pas le courage de les continuer la plume à la main, car je ne suis pas un juge, et ne vaut-il pas mieux que nous causions ensemble, quand vous voudrez ? Ne retenez qu’un seul mot : c’est que vous avez incontestablement grandi et que vous avez conquis le don si rare d’évoquer dans l’esprit de votre lecteur les impressions qu’il vous plaît de lui donner. Croyez-moi bien, avec la plus amicale sympathie,

votre très dévoué

Théodore de Banville

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 1er août 1874 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…) [En regardant une jolie femme au mariage de son frère]

A t’-elle lu dans mes yeux fous la poignante mendicité de ma luxure ? sa voluptueuse inconscience a t’-elle été secouée par l’électricité de ma convoitise ? Eh bien ! Oui ! Je l’affirme, car par un seul regard d’une indifférence voulue – oh ! quelle prude et pénétrante œillade ! - elle m’a prouvé qu’elle m’avait compris jusqu’à m’opposer un refus formel en toute connaissance de cause.

« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »

Désormais, ce vers de Baudelaire sera la forme condensée où je moulerai l’expression de mes regrets en songeant à cette fascinante inconnue.
(…)

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Émile Rollinat s’est marié avec Marie Osouf, le 23 juillet 1874 à Paris (17ème).

– 2 – « Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » est le dernier vers du poème « A une Passante » de Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal, 1868, page 270).

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 2 février 1875 (écrite à Paris) (collection particulière).

Mon cher ami,

Je suis allé dernièrement entendre Mr Blémont à la salle des conférences du Boulevard des Capucines. Le fantastique dans La Littérature, Edgar Poë ! tel était son sujet. – Evidemment, je ne m’attendais pas à une conférence étonnante, mais au moins pouvais-je espérer que ce journaliste Bibliographe parlerait avec toute son âme du plus merveilleux génie qu’ait enfanté le hasard. – Eh bien ! non ! C’est avec un sang froid de vétérinaire, avec une parole fade et hyperboréale, gommeusement accoudé sur une table ou s’étalait un verre à pied académique, qu’il a traité cette matière si grosse de suggestions littéraires et de magies artistiques. Edgar Poë raconté, commenté, lu par Emile Blémont ! quelle honte ! – selon ce Monsieur, on n’a jusqu’à ce jour que des traductions informes du conteur macabre, en y comprenant celle de Baudelaire. – oh ! j’enrageais, et ricanant amèrement dans mon coin, je pensais que Baudelaire hélas ne pouvait pas répondre à ce rimeur ! –

Pourquoi, de son vivant, n’a t’-il pas eu l’idée de parler en public d’un homme pour lequel il avait une admiration si terrifiée ! – comme sa voix bizarre, aux inflexions soulignantes aurait vrillé l’âme des auditeurs ! – lui, que hantait la névrose, et que satanisait l’obsession des plus ténébreux cauchemars, avec quelles douloureuses voluptés il aurait fouillé cette mine surnaturelle dont chaque filon est de l’Étrange ou de l’horrible pétrifiés.–
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 28 avril 1877 (écrite à Paris) (collection particulière).

(…)
Enfin ! Je souhaite que ça réussisse. Le grand point pour moi, c’est d’être imprimé. Fischbacher prend décidément mon second volume. Voici à quelle occasion j’ai eu sa parole. Il nous a réunis dans un grand et superbe dîner chez Magny. Aicard, Colani, Penel, Guymon, Frémine, etc, y assistaient. Après le dîner, on m’a demandé des vers, et j’ai récité précisément les choses les plus violentes, afin de voir si après une pareille récitation Fischbacher et Colani ne prendraient pas une allure à la Lemerre. J’ai bien fait d’être aussi brutal, et ma franchise a pleinement réussi, car l’éditeur et critique m’ont fait les plus chaleureux éloges et ont déclaré qu’un livre composé de pareilles pièces serait un succès, que je pouvais compter sur eux, et qu’à l’automne prochain, ce second volume serait mis en vente. –

Autre résultat : il y avait un piano dans la salle du festin. J’ai chanté tout le Baudelaire que j’ai mis en musique, et Fischbacher m’a promis de me les faire noter, et d’imprimer 13 morceaux à ses frais. Aicard, Colani, Guymon, Penel, ont fait chorus avec lui, et je suis sur de mon affaire. –
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Raoul Lafagette datée du 31 juin 1878 (écrite à Yvours, commune d’Irigny-près Lyon, Rhône) (collection particulière).

[à propos des formes de littérature]

(…) Je ne m’étonne pas, mon cher Raoul, que vous laissiez de côté les sujets trop longs. Comme moi, vous êtes par-dessus tout un dilettante des sensations, et le poëte dans toute l’acception du mot ? – Et Baudelaire ? Et Poë ? sont-ils des diffus, ou des concentrés ?… Continuons donc à rimer des impressions avec une féroce lenteur !…
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet, datée du 28 janvier 1881, publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 145 à 159.

Cannes, le 28 janvier 1881.

Mon cher Buet,

(…) (page 149)
En bonne vérité, en quoi l’éclaboussure zolaesque peut-elle embêter d’Aurevilly ? Un esprit de cette envergure n’est pas critiquable. C’est un météore, un aigle, un phénomène dans l’exception. Poète dans sa prose, comme pas un, dans ses vers, comme les plus grands lyriques, c’est le Prométhée littéraire par excellence, et je ne vois pas qu’une chiure de mouche puisse tacher son merveilleux génie si admiré du grand Baudelaire, et si chéri des vrais dilettantes.
(…)

 

– Lettre de Léon Bloy à Maurice Rollinat, datée du 8 août 1882, publiée par Joseph Bollery, pages 19 à 23, dans Léon Bloy, Ses débuts littéraires du « Chat Noir » au « Mendiant Ingrat » 1882-1892, Éditions Albin Michel, Paris, 1949, 465 pages.

(page 20) (…) Cette expression a même quelquefois la netteté soudaine et métallique d’une lame d’acier posée tout à coup sur le front. Mais le vrai désespoir, non, je ne l’y trouve pas. J’ai écrit et je sais bien que vous en avez réalisé la sensation dans vos interprétations mélodiques de Baudelaire – un vrai désespéré celui-là et encore ! – c’est un muscle de grand artiste que vous avez déployé, voilà tout. Mais encore une fois l’expression intégrale, absolue de l’invincible désespoir, vous ne l’avez pas parce que vous avez mieux. Il est si facile de le reconnaître, ce démoniaque scarabée noir à ses deux antennes dangereuses et magnétiques qui se nomment l’amertume et la cruauté ! Eh ! cher ami, quel homme est moins amer et moins cruel que vous. J’ai toujours dit et je pense profondément ceci. Vous êtes (page 21) un mélancolique, le plus grand de tous, peut-être, mais non un désespéré. Vous êtes un souffrant de la vie, vous n’en êtes pas un ennemi et c’est parce que vous prenez les souffrances de votre mélancolie pour la haine essentielle du désespoir que vous me parlez de votre personne morale si uniformément ténébreuse. Vous pensez beaucoup à la mort précisément parce que votre âme n’est pas ténébreuse. Faire la mort noire, c’est une idée de pompier funèbre. La mort est blanche, lumineuse, pleine d’espérance parce qu’il n’existe pas de néant futur. C’est ainsi, qu’oubliant le désespoir, Baudelaire l’a chantée un jour, et vous après lui, Dieu sait avec quels accents ! La mort est une vierge blonde aux yeux baissés, la pureté inscrutable que les poètes les plus profanes ont célébrée sans le savoir en lui donnant le nom étrange et hermétique de l’amour.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Jules Barbey d’Aurevilly, datée du 9 décembre 1883, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 246 à 250.

Cher Monsieur d’Aurevilly,

Par nature je suis rarement épistolier et j’ai l’affection peu démonstrative. Mais si au dedans de moi que se cachent mes sentiments, croyez qu’ils ne végètent point ; ils se vivifient par leur intériorité même, et demeurent à jamais greffés sur ma pensée qui les alimente.

C’est vous dire que je vous aime de tout mon cœur et que je vous admire passionnément. Ne vous dois-je pas le plus noble service que le Génie puisse rendre à un homme de lettres ? N’ai-je pas eu mille preuves de votre infinie bonté, et parmi les trois grands Ténébreux : Pascal, Edgar Poë et Baudelaire, n’êtes-vous pas pour moi le flamboyant Original qui donne au sujet la profondeur de la conscience, à l’idée la suggestivité du rêve, et à l’expression l’architecture et la coloration fantastiques ? Vous imprégnez chaque page d’une telle spiritualité et vous ensorcelez si bien les caractères d’imprimerie que dans n’importe quelle bibliothèque un livre de vous mêlé à d’autres me fait toujours l’effet d’un fantôme nocturne surgissant parmis de meubles. Aussi, cher monsieur d’Aurevilly, ai-je la religion de votre Art, la même que j’ai pour la Nature, car vous êtes simple et compliqué, violent et mystérieux comme elle ; et je retrouve dans toutes vos œuvres ce trouble sauvage et ce frisson spécial qu’elle ne manque jamais de me communiquer.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Charles Buet, sans date mais vraisemblablement de début 1885, publiée par Georges Normandy dans son article « Maurice Rollinat (Lettres Inédites) » parue dans La Revue (Ancienne « Revue des Revues ») n° 14 du 15 juillet 1912, pages 145 à 159.

Bel-Air [sans date].

Mon cher Ami,

Quand je retournerai à Paris, j’irai certainement reprendre avec vous les bonnes causeries de l’ancien temps ! C’est vous dire qu’il ne faudrait pas juger de mes sentiments par mon silence épistolaire. Je n’oublie aucun de nos camarades, et j’ose dire que, s’ils me connaissent à fond, ils ne doutent pas de mon amitié. Quant à M. d’Aurevilly, il est installé dans ma pensée avec Pascal, Poë et Baudelaire. Cette grande figure surgit constamment devant moi, et son œuvre excitante est le picotin de mon esprit.
(…)

 

– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à Gustave Geffroy, datée de 1887, publié par Régis Miannay, pages 520 et 521 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

Note 46 en référence à un texte de la page 495.

(…) On ne saurait exagérer la portée de la déclaration de Rollinat à L’Ermitage en ce qui concerne Baudelaire. En 1887 il s’intéressa immédiatement à l’édition, procurée par Eugène Crépet, des Œuvres posthumes et correspondances inédites précédées d’une étude biographique. Alors que ce volume avait paru à la fin de mai, il écrivait à Geffroy en juin : « Si vous avez ce livre posthume de Baudelaire, apportez-le donc en venant, j’aurais grand plaisir à le feuilleter » (Coll. R. Miannay). (…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à l’éditeur Heugel, datée du 24 avril 1895, publiée par Georges Lubin dans son article « Quelques lettres inédites de Maurice Rollinat », paru dans le Bulletin de la Société "Les Amis de Maurice Rollinat", n° 8 – Octobre 1968, page 4.

Fresselines (Creuse)
Le 24 avril [18]95

Cher Monsieur Heugel,

Personnellement je n’avais jamais fait de démarches auprès des Calmann-Lévy, et je croyais M. Hartmann muni, une fois pour toutes, des autorisations nécessaires. Puisque nous l’ignorons, j’écris par le même courrier à Calmann-Lévy sans lui désigner, ainsi que vous m’en avisez, l’éditeur qui doit publier ma musique.

Dès que j’aurai reçu sa réponse, je m’empresserai de vous la transmettre.

Agréez l’expression de mes meilleurs sentiments,

Maurice Rollinat.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, Documents inédits (Laboureur & CIE, Imprimeurs-Editeurs, Issoudun, 1939, 337 pages), écrit page 235 :

« Au sujet de la musique écrite sur quelques poésies des Fleurs du Mal, Rollinat faillit avoir de gros ennuis. En 1895, la maison Calmann-Lévy, propriétaire de l’œuvre de Baudelaire, s’avisa que son écrivain n’était pas tombé dans le domaine public et réclama au musicien des droits d’auteur pour les paroles publiées sans autorisation.

Stupéfaction et colère de Rollinat : « Comment ! disait-il, je fais connaître Baudelaire, et on me réclame de l’argent ! on me menace d’un procès ! »

La mauvaise humeur ne suffisait pas. Et Rollinat, pour se tirer de cette situation écrivit à un ami (probablement Armand Dayot) : « Par la copie de la lettre d’Heugel que je t’envoie ci-joint, tu verras ce qui m’arrive. Personnellement, je n’ai jamais fait de démarches auprès de Calmann-Lévy et j’ignore si mon premier éditeur Hartmann était muni de l’autorisation nécessaire. Toi qui es si débrouillard et qui disposes de tant d’influences, tâche donc d’obtenir de Calmann-Lévy une autorisation générale de publier toute la musique que j’ai composée sur des poésies de Baudelaire, afin de n’avoir pas d’ennuis pour celle parue et à paraître ».

L’ami sollicité réussit sans doute dans ses démarches, car le procès n’eut pas lieu et Maurice Rollinat continua de publier Baudelaire mis par lui en musique. »

– 2 – Dans son article « "La Voix" littéraire – Un vieux procès » paru dans La Voix du Centre du 30 janvier 1926, Émile Vinchon, après avoir présenté le différent qui oppose Maurice Rollinat à la maison Calmann-Lévy, introduit la lettre de la manière suivante : « La mauvaise humeur ne suffisait pas. Il fallait répondre, agir. Une curieuse lettre de Rollinat, dont je dois la copie à l’obligeance d’A. Clémenson, éclaire un peu la chicane où la bonne foi du musicien apparaît absolue. Si un être au monde ignora la mauvaise foi, ce fut Maurice Rollinat. A qui est adressée cette lettre ? Probablement à Armand Dayot. Elle est datée de Fresselines, 30 avril 1895, et commence ainsi : »

 

– Lettre de Maurice Rollinat à l’éditeur Heugel, datée du 18 février 1897, publiée par Georges Lubin dans son article « Lettres inédites de Maurice Rollinat à divers correspondants » paru dans le Bulletin de la Société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 11 de novembre 1972, pages 1 à 10.

(page 2) (…)

Fresselines (Creuse)
Le 18 février 97.

Cher Monsieur Heugel,

Je pensais qu’Edgar Poë, comme auteur Américain, ne relevait pas de la maison Calmann-Lévy d’autant plus que « Le Rêve » cette pièce de lui que j’ai interprétée en vers n’a jamais été traduite par Baudelaire et par conséquent ne figure dans aucun de ses livres.

Gabriel Mourey, Hennequin, Blémont, Stéphane Mallarmé, William Hugues et bien d’autres ont traduit de l’Edgar Poë et je ne (page 3) suppose pas qu’ils aient dû pour le faire en demander l’autorisation à Calmann-Lévy.

Si pourtant, vous pensez que la chose peut susciter quelques difficultés, je vous prierai de vouloir bien me retourner « Le Rêve » et, à la place, je vous enverrai une autre mélodie chantée dont le sujet sera entièrement de moi.

Merci encore, cher Monsieur, et bien cordialement,

Maurice Rollinat.

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Isaure Rollinat, datée du 25 juin 1898, publiée dans Fin d’Œuvre, pages 312 à 314.

Ma chère maman,

Je vous écris de Paris où je suis depuis quelques jours afin de styler mes interprètes qui doivent (page 313) mardi prochain, salle de l’Athénée, dire et chanter mes œuvres, au bénéfice d’un descendant des Leczinski, lequel en 1870 a versé son sang pour la France, et est tombé depuis dans la plus profonde misère.

J’ai trouvé tout le monde sympathique à cette bonne action et les directeurs de journaux m’ont prouvé leur bonne volonté en insérant des notes et des annonces flatteuses.

Quant aux chanteurs et diseurs, s’ils ne réalisent pas absolument mon idéal, ils sont cependant suffisamment pris et intelligents pour communiquer aux auditeurs la sincérité de leur émotion. Un acteur du théâtre Sarah Bernhardt récite d’une façon très empoignante la « Peur » et le « Vent » qui sont en somme mes pièces capitales et qui donnent à elles seulent (sic) le résumé de ma poésie. La « Causerie » sur des paroles de Baudelaire sera jouée et chantée par Mme Georgette Leblanc, une artiste fougueuse, aussi subtile que possible, avec le diable au corps et l’entrain dramatique.

Bref, je ne suis pas mécontent, et, sans être optimiste, j’espère que la soirée sera intéressante et suivie. Malheureusement, il y a déjà beaucoup de frais, et il faudrait vraiment que la salle fût pleine pour que le malheureux Leczinski ait un réel bénéfice. Je forme des vœux pour cela, démarches et (page 314) visites nécessaires, je n’ai rien épargné, j’ai fait tout ce que j’ai pu.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Yvette Guilbert, datée du 28 décembre 1900, publiée par Yvette Guilbert dans, Mes lettres d’amour (Les éditions Denoël et Steele, Paris, 1933), pages 66 et 67.

Chère grande artiste,

Je suis profondément touché d’apprendre, par vous-même, que vous allez interpréter l’œuvre de Baudelaire et la mienne.
(…)

 

– Lettre de Maurice Rollinat à Armand Dayot expédiée le 1er janvier 1901.
D’après une copie manuscrite – collection de la médiathèque Équinoxe (Châteauroux – Indre), dossier « Maurice Rollinat – Correspondance II ».

(…)
Yvette [Guilbert] m’écrit qu’elle a chanté hier devant 40 personnes pour l’inauguration de son hôtel et qu’elle a eu en chantant mes œuvres un énorme succès…

Tant mieux donc pour nous deux, et aussi pour la mémoire du Grand Baudelaire, si elle peut réussir chez Bodinier ! Il est évident que la femme qui a su chanter comme elle l’a fait dans le temps, l’Idiot, et le Convoi funèbre, devra pincer plus ou moins les nerfs et le cœur du public sensitif et raffiné de Paris avec des cris soufferts et des plaintes vécues comme la Causerie, l’Harmonie du soir, la Folie, La Maladie et le Madrigal triste.
(…)

 

– Allusion à une lettre de Maurice Rollinat à un correspondant inconnu, datée de mai 1902, publiée par Régis Miannay, page 521 de Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique (Imprimerie Badel, Châteauroux, 1981, XVII + 596 pages).

Note 46 en référence à un texte de la page 495.

(…) En mai 1902 Rollinat exprimait, à un correspondant inconnu, son intention d’envoyer une somme d’argent aux admirateurs de Baudelaire qui avaient ouvert une souscription pour édifier un monument au cimetière Montparnasse (Coll. R. Miannay).